CER SNCF Lyon
© Tim Douet

CGT patron : mauvaises pratiques et bons amis

Déficit, découvert, dérives… La CGT est accusée de mener le CER de la SNCF au “chaos financier”. Premier volet de notre enquête en 4 parties.

Rappel : Les 26 et 27 juin derniers, huit syndicats du comité d’établissement régional (CER) de la SNCF, CGT entête, comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Lyon. Leur sont reprochés des faits d’abus de confiance, faux et usage de faux. Durant des années, ils auraient ainsi ingurgité une bonne part du budget de fonctionnement du CER, via un accord de répartition imposé par la CGT et signé par tous.

D’ici au rendu du jugement, le 26 septembre, ces syndicats sont bien entendu présumés innocents. Nous avons toutefois pu explorer des dizaines de pages de documents exclusifs : PV de réunions du CER, courriers alarmistes du cabinet d’expert-comptable, bilans annuels, tracts dénonçant en interne la direction du comité... Mis bout à bout, ces documents jettent une lumière crue sur la façon dont un syndicat majoritaire impose sa loi au sein d’une structure censée servir les intérêts des salariés et qui, en fin de compte, aura servi à financer les syndicats eux-mêmes.

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“Risque réel”

Les problèmes du CER lyonnais commencent au début des années 2000. Le 28 juin 2004, à la veille d’une réunion de la commission budgétaire du CER, un courrier du cabinet d’expertise-comptable Audit-Alpha alerte “de nouveau” le secrétaire du comité, Claude Miachon, sur sa situation financière – “comme nous l’avions déjà fait à plusieurs reprises [les mois précédents]”, est-il souligné.

L’alerte porte sur les deux budgets du CER, celui des activités sociales (qui sert à financer les activités proposées aux cheminots, ainsi que les cantines gérées par le CER) et le budget de fonctionnement du CER proprement dit. Ensemble, ils affichent un inquiétant déficit de 358 845 euros. La situation est pire encore, car une opération de “magie comptable” a permis de réduire le montant officiel de moitié. Le cabinet d’audit juge que “des mesures vigoureuses d’assainissement budgétaire” doivent être prises d’urgence. Le CER SNCF de Lyon est au bord de la cessation de paiement. Les directeurs régionaux successifs de la SNCF à Lyon, à ce titre présidents du CER, signaleront leurs plus profondes craintes devant un comité au bord du gouffre financier. Dans une déclaration datée du 27 juillet 2004, M. Farandou souligne ainsi les faiblesses financières majeures du CER, notamment un découvert bancaire “très important” qui, ajouté aux emprunts, fait grimper la dette financière totale à 1,282 million d’euros, soit une explosion de 62 %. Et insiste sur le “risque réel” qu’une procédure de redressement judiciaire par un débiteur soit ouverte “si la situation n’est pas immédiatement reprise en main”.

“L’argent est dilapidé”

Les autres syndicats élus du CER soulignent eux aussi les dérives de la CGT, “patronne du CER”. Sud Rail qui, suite aux élections professionnelles de mars 2004, devient le deuxième syndicat du CER et reçoit la fonction de trésorier, jette l’éponge trois mois plus tard. Le 2 juillet 2004, un tract signé en commun avec la CFDT déplore une “dégradation progressive du climat social et économique”, un “chaos financier très grave”, le projet de “faire des économies sur la masse sociale”, de “dégraisser du personnel” quand “l’argent est dilapidé”. Et prévient que “le personnel du CER ne veut pas payer l’addition d’une mauvaise gestion”.

Les deux syndicats citent au passage plusieurs (éloquents) exemples de mauvaise utilisation de la subvention destinée à la restauration : embauche à outrance, multiplication des postes – “Faut-il les assimiler à des embauches de complaisance ?” –, exclusivité des fournisseurs – “prix quatre fois plus élevé” –, appels d’offres non respectés, parc de voitures utilisé à des fins personnelles, frais de déplacement à outrance, appel à des entreprises extérieures “alors que nous avons un personnel d’entretien”.

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Frais de bouche et formations détournées

Au cours du procès, fin juin, de nombreuses dérives seront évoquées, pas uniquement attribuables à la CGT d’ailleurs : alcool facturé au CER mais destiné aux syndicats (avec humour, le président du tribunal proposera ses services à la CGT pour le choix de son whisky), tracts des délégations remboursés par le CER, 120 repas servis aux retraités de la CGT... sans oublier ce secrétaire qui mange trois fois au restaurant dans la même journée, aux frais de la princesse. Ni, bien sûr, l’argent des formations des membres du CER, qui revenait en boucle dans les caisses des syndicats via leurs instituts de formation, voire directement dans celles de la fédération.

La question des formations est au cœur des audiences devant le tribunal correctionnel, car les factures réglées rubis sur l’ongle par le CER se révèlent des plus lacunaires. Philippe Colin (CFDT) s’étonnera même, au cours de l’enquête, de la présence de son nom dans la liste des participants. Des élus CGT confieront carrément au procureur que cette facturation permettait “d’alimenter le fonctionnement de la délégation syndicale. Il s’agit ici d’un moyen de justifier des sorties de fonds du CER auprès de l’organisation syndicale et permettre son fonctionnement”. Certaines formations étaient des réunions syndicales déguisées.

“Prestataires frères”

Généreuse, la CGT n’hésite pas à profiter de son pouvoir pour aider les amis. C’est tout le problème des “fournisseurs référencés”, aussi baptisés “prestataires frères”, qui pratiquent parfois des tarifs plus élevés que la concurrence. Imposés par la CGT, il s’avère impossible de les remettre en cause. Un exemple ? Le cabinet d’expertise-comptable du CER : Audit-Alpha, rebaptisé Adexi Étoile puis Sémaphores, appartient au groupe Secafi Alpha. Il s’agit ni plus ni moins du plus gros cabinet de conseil des comités d’entreprise et des CHSCT en France, avec notamment un portefeuille de 1 800 CE, selon Jean-Luc Touly, ex-CGT et auteur d’ouvrages consacrés aux syndicats (le prochain, La Face cachée des syndicats, signé avec Roger Lenglet, sort ce mois-ci). Son patron, Pierre Ferracci, serait d’ailleurs membre du PCF et lié à la direction de la CGT.

Décrié avec constance par les autres syndicats du CER, ce cabinet n’en restera pas moins l’expert-comptable attitré du comité d’établissement régional. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Sud Rail a renoncé au poste de trésorier en 2004 : le syndicat a tenté de faire nommer un autre cabinet comptable, “neutre et indépendant par rapport à la gestion antérieure”. Une tentative refusée par la CGT mais soutenue par les autres organisations syndicales... jusqu’à ce que FO et l’Unsa “lâchent” Sud en rase campagne.

Les entreprises ne sont pas seules à profiter des largesses du CER sous le règne de la CGT. Bernard Laporte, alors secrétaire général du secteur fédéral CGT des cheminots de la région de Lyon, fait embaucher ses deux filles au sein du CER, et ce, malgré une masse salariale déjà très importante. La première sera engagée en 2005 à la SNCF. La seconde, recrutée comme employée de service au restaurant de Perrache, œuvre au secteur CGT sur son temps de travail et sur instruction de son père.

“Il n’y a aucune raison de changer ces pratiques”

L’accord de répartition du budget de fonctionnement sert plus largement, selon Jean-Raymond Murcia et Claude Miachon (tous deux CGT), “à financer tous ceux qui, à un moment ou un autre de leur mandat, avaient une responsabilité en lien avec le comité d’entreprise”. Cela concerne beaucoup de monde : pour la seule CGT, pas moins de 164 personnes intervenaient au sein des multiples instances liées au CER au début des années 2000 !

Les critiques pleuvent donc durant des années sur la gestion de la CGT. De quoi émouvoir le premier syndicat de la SNCF ? Au contraire. Dès juillet 2004, Claude Miachon, secrétaire du CER, annonce la couleur : “Il est bien entendu que nous continuerons à fonctionner comme nous avons fonctionné jusqu’à présent, je ne vois pas ce qui ferait changer fondamentalement les choses. (...) Il n’y a aucune raison de changer ces pratiques.”

Il faut dire qu’en termes de gestion financière la CGT aurait eu tort de se priver. Tout ou presque lui était permis. Lors de l’enquête, Colette Carles, comptable du CER de 1993 à 2003, affirmera ainsi que Jean-Raymond Murcia, quand il était trésorier du CER (de mars 1996 à mars 1998), “recevait de l’argent liquide régulièrement et ne remettait pas toujours les justificatifs d’utilisation de cette somme”. La même comptable était, selon Jean-Louis Ré (ancien directeur technique du CER), “chargée d’imputer ces frais de fonctionnement des syndicats sur les différents postes de charges”. Efficace.

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