Avec Les Enfants de Buchenwald, la scénariste et historienne Dominique Missika et l’illustratrice lyonnaise Anaïs Depommier signent un album poignant sur un aspect méconnu de la libération des camps : la prise en charge des enfants prisonniers et leurs premiers pas vers une lente reconstruction.
Lorsque l’armée américaine libère le camp de Buchenwald le 11 avril 1945, elle y découvre avec stupeur plus de 1 000 enfants juifs qui ont survécu grâce à la résistance intérieure du camp. Ils sont pour la plupart orphelins et n’ont nulle part où aller. Grandir au cœur même de la barbarie nazie les a rendus craintifs et méfiants à l’extrême. Leur colère intérieure est immense et ils n’ont plus confiance en la société.

La bande dessinée, réalisée par la scénariste et historienne Dominique Missika et l’illustratrice lyonnaise Anaïs Depommier est extrêmement bien documentée et révèle à quel point, alors que la guerre s’achève, la reconstruction psychique de ces enfants est difficile. Leur compréhension du monde se fait à travers le prisme de ce qu’ils ont traversé dans le camp : la mort de leurs proches, le vol par les geôliers de leurs effets personnels, les privations, les violences physiques et morales, le froid, l’absence d’hygiène, les maladies… Rien ne leur a été épargné.
L’OSE (l’Oeuvre de secours aux enfants) qui a déjà sauvé 2 500 enfants juifs de France de la Déportation, entreprend, non sans difficultés, de rapatrier 426 d’entre eux au préventorium d’Ecouis en Normandie* afin de leur permettre de se reconstruire. Ils y resteront le temps d’un été.
Afin de mieux raconter l’histoire de ces enfants, l’historienne Dominique Missika fait le choix singulier de créer quatre enfants fictifs en condensant les témoignages recueillis. Comme elle le souligne : ”Il m’était impossible de privilégier l’histoire de l’un plutôt qu’un autre. Chaque histoire mérite d’être racontée”. Ces personnages évoluent dans un univers réaliste où chaque élément se veut conforme à la réalité.
La dessinatrice Anaïs Depommier s’est abondamment servi des photographies et des films d’époque pour reproduire au plus juste les lieux, les ambiances ainsi que les expressions des personnages. Alessandra Alexakis, coloriste de la bande-dessinée, utilise une palette très sobre travaillant les gammes de marrons, bleus et beiges produisant parfois un effet proche du sépia, propre aux vieilles photographies.
Dominique Missika, qui a à cœur de perpétuer la mémoire des résistants et des survivants de la Seconde Guerre Mondiale, a déjà écrit de nombreux ouvrages sur le sujet (L’institutrice d’Izieu aux éditions Seuil, Résistantes 1940-1944 aux éditions Gallimard pour n’en citer que deux) souhaitait depuis longtemps écrire une bande-dessinée, ”un excellent chemin pour toucher des lecteurs plus jeunes, tout en exprimant des choses d’une dureté invraisemblable”.

Ce travail mémoriel réalisé avec Anaïs Depommier, qui est également autrice de bandes dessinées historiques, permet de restituer avec une grande justesse le traumatisme qu’ont subi ces enfants, et décrit avec acuité les tensions et les émotions qui les traversent. Il met également en lumière le dévouement incroyable du personnel, parfois totalement démuni, de l’OSE qui sans jamais baisser les bras et avec une infinie patience et bienveillance parvient à mener ces enfants sur le chemin de la guérison. Ces derniers doivent, en effet, tout réapprendre : retrouver les gestes les plus simples du quotidien, accorder à nouveau leur confiance à des adultes, retrouver un peu de leur légèreté d’enfant…
80 ans plus tard, le lecteur comprend au fil des pages de ce passionnant récit que le château d’Ecouis n’aura pas été qu’une simple parenthèse pour ses enfants, mais aussi une étape essentielle pour renouer avec l’humanité.

Les enfants de Buchenwald, de Dominique Missika et Anaïs Depommier. 144 pages, Éditions Stenkis. 22€
* Pour commémorer l’accueil, durant l’été 1945, des 426 enfants juifs survivants du camp de concentration de Buchenwald au château d’Écouis (Eure), l’Institut Médico Éducatif qui occupe aujourd'hui les lieux a créé en son sein un lieu mémoriel.