tribunal palais justice Lyon
© Tim Douet

Le vice-bâtonnier de Lyon interroge la constitutionnalité de la Cour criminelle du Rhône

C'est une première en France. Cinq questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été déposées par le vice-bâtonnier de Lyon, dont quatre ont été transmises à la Cour de cassation ce lundi matin, pour questionner la constitutionnalité des nouvelles Cours criminelles départementales. Le parquet lui-même a donné un avis conforme.

Il flottait un parfum d'incertitude et d'excitation ce lundi matin dans les entrailles du palais des 24 colonnes à Lyon. Loin de l'agitation habituelle de la Cour d'assises, dans la petite salle Gerbier du tribunal, se jouait sans doute une partie de l'avenir des nouvelles Cours criminelles départementales. Cette juridiction, entre le tribunal correctionnel et la Cour d'assises, juge, comme la seconde, des crimes pour lesquels l'accusé encours entre 15 et 20 ans de réclusion. A la différence - majeure - qu'elle est dépourvue de jury populaire, constituée uniquement de cinq magistrats professionnels.

Avis conforme du parquet sur quatre des cinq questions

Pour sa toute première audience, la cour devait se pencher sur le cas de deux Albanais de 18 et 20 ans, jugés pour un banal vol à main armé d'une voiture Mercedes dont ils avaient piégé le propriétaire sur un site de vente de particulier à particulier. L'enjeu, national et surplombant cette affaire, s'est révélé lorsque Maître Jean-François Barre, conseil de l'un des accusés a pris la parole en préambule pour présenter cinq questions prioritaires de constitutionnalité, une première en France.

En sa qualité de vice-bâtonnier du barreau de Lyon, et fermement opposé à la disparition du jury populaire, l'avocat s'engage ainsi dans un processus qui, s'il abouti, pourrait amener le Conseil constitutionnel à s'exprimer sur la constitutionnalité de la Cour criminelle départementale (CCD). S'il la juge non-respectueuses de la constitution, le Conseil constitutionnel pourrait faire tomber un juridiction généralisée il y a à peine six mois.

Qu'est-ce qu'une Question prioritaire de constitutionnalité ?
Une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est un mécanisme en vigueur en France depuis le 1er mars 2010 permettant à tout justiciable de contester devant une juridiction (hors Cour d'assises) la conformité d'une loi ou d'un règlement à la Constitution. Si la question est jugée sérieuse et nouvelle, elle est transmise soit au Conseil d'Etat soit à la Cour de cassation. Ces hautes juridictions ont trois mois pour examiner la question et saisir ou non, le Conseil constitutionnel. La décision du Conseil constitutionnel s'imposera ensuite à toutes les juridictions. La QPC renforce la protection des droits fondamentaux et contribue à l'État de droit.

Le vice-bâtonnier, confiant, montre ainsi l'engagement du barreau de Lyon contre une réforme presque unanimement critiquée. A tel point que même le ministère public s'est rangé derrière quatre des cinq questions prioritaires de constitutionnalité. "Un geste courageux du parquet", salue Maître Naguin Zekkouti, conseil de l'un des accusés. Et d'ajouter : C'est important de montrer qu'à Lyon, on prend nos responsabilités et on s'oppose fermement, c'est une première en France."

Jean françois barre vice batonnier

"L'absence de jury dans les cours d’assises spécialement composées en matière de terrorisme reste une exception"

Me Jean-François Barre

"Le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur les dispositions organisant le fonctionnement des Cour criminelles départementales", appuie Me Barre, qui souhaite notamment que l'institution dise si oui ou non, la suppression du jury populaire respecte les principes constitutionnels. "En septembre 1986, pour donner suite à une saisine du Conseil constitutionnel relative à la loi qui instaurait les cours d'assises spécialement composées en matière de terrorisme", l'institution avait qualifié l'intervention du jury citoyen de "principe", détaille le vice-bâtonnier dans ses conclusions.

Le jury populaire, principe constitutionnel ?

Et d'ajouter : "L'absence de jury dans les cours d’assises spécialement composées en matière de terrorisme reste une exception", or, selon les conclusions de l'expérimentation des CCD entre 2019 et 2021, cette juridiction est amenée à juger 57 % des crimes portés devant la Justice. "Le critère de la minorité ne saurait s'appliquer", note le conseil. Appuyé par le ministère public, ce dernier estimant que "le jury populaire est amené à juger tous les crimes. Il me semble important que le Conseil constitutionnel examine ces questions."

S'il interroge l'absence de jury populaire, le vice-bâtonnier, là aussi suivi par le parquet, pointe du doigt la possible rupture du principe d'égalité des citoyens devant la justice, consacré par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Selon le conseil, la composition de la Cour criminelle, cinq magistrats prenant une décision à la majorité simple de trois voix sur cinq, donne moins de garanties au justiciable qu'une cour d'assises composée elle de neuf jurés prenant leur décision sur le principe de la majorité qualifiée, c'est-à-dire sept voix sur neuf.

Les quatre questions retenues par la cour seront ainsi transmises à la Cour de cassation qui a trois mois pour les examiner et décider ou non de saisir le Conseil constitutionnel.

Lire aussi : Première audience de la cour criminelle du Rhône : pourquoi cette nouvelle juridiction inquiète

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