Antoine Pelissolo©DRFP
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Déstigmatiser les troubles mentaux !

Rencontrer le psychiatre Antoine Pelissolo, c’est entrevoir ce que sera demain, notre manière d’appréhender les troubles psychiques et mentaux. Chercheur, médecin hospitalier, il est en France l’un des pionniers d’une nouvelle discipline, la psychiatrie positive, qui nous invite, grand public et médecins, à bousculer nos idées reçues sur la phobie, la dépression, l’addiction et des pathologies comme l’anxiété, la bipolarité ou la schizophrénie.

L'approche du docteur Pelissolo, en changeant en profondeur le regard que nous posons sur les pathologies mentales, nous conduit à les envisager non plus comme des pathologies à part, mais comme n’importe quelle autre maladie, ce qui facilite une meilleure prise en charge des patients.

Nous sommes tous concernés par cette révolution des mentalités. Qui n’a pas en effet dans son entourage, un proche qui, un jour, a été taraudé, emporté, obsédé par des émotions extrêmes, envahissantes, pénalisantes au quotidien, du fait de peurs-panique, d’anxiété, de crainte de l’abandon ou de dépendance à un être ou à une substance? Le dernier livre du Pr Pelissolo "Retrouver l’espoir" publié chez Odile Jacob, un abécédaire, très pédagogique, nous le rappelle parfois avec humour en décrivant les troubles psychiques les plus courants, et les solutions proposées pour les accompagner. Un savoir-faire et un savoir-être personnalisés, adaptés à chaque patient, au plus près de ce qu’il est, pour l’aider à retrouver espoir et confiance en lui, dans les traitements et dans les thérapeutes. Et, si c’était cela l’un des grands challenges de la psychiatrie de ce début de siècle : déstigmatiser la maladie mentale afin de redonner leur dignité et leur place à ceux qui en souffrent ?

Lyon Capitale : Vous dites vouloir redonner espoir aux personnes qui souffrent de troubles psychiques, grâce à une nouvelle "discipline", la psychiatrie positive ?

Antoine Pelissolo : Les troubles psychiques qui font souffrir au quotidien de manière répétée : les phobies, les addictions, les troubles de l’humeur, l’anxiété, la dépression, …., sont de "véritables tueurs d’espoir". Les patients qui en sont atteints sont souvent découragés, démobilisés, moins concernés par leur traitement. Ils ont l’impression d’être dans une impasse. Aussi, quand je prends en charge des patients atteints de maladies graves et chroniques, quelle que soit la pathologie rencontrée, je m’efforce toujours de tout faire pour leur redonner espoir. Y compris quand les solutions pour les aider, semblent manquer. Si cela arrive, j’en cherche, de nouvelles. Nous avons la chance d’avoir actuellement à notre disposition un grand panel de traitements et thérapies possibles et des protocoles précis et variés. Si l’un d’entre eux ne fonctionne pas au bout d’un certain temps, nous pouvons le changer. Cela demande parfois de faire preuve d’ un peu de patience mais il ne faut jamais oublier que la science avance à grand pas. Je sais par expérience en tant que thérapeute et chercheur que certains problèmes qui ne sont pas résolus aujourd’hui peuvent l’être, demain. Nos connaissances sur les traitements médicamenteux et thérapies évoluent sans cesse. Nous - patients, médecins et proches- devons donc toujours garder espoir. C’est fondamental.

Grâce aux informations qu’on leur donne, par exemple dans cet abécédaire, les patients acquièrent en effet une meilleure compréhension de leur pathologie et des solutions dont ils disposent pour aller mieux. Ce qui les sécurise et les autorise à développer une forme de responsabilisation vis à vis de leur pathologie. Ceci correspond à "l’éducation thérapeutique", qui vise à rendre les patients expert de leur trouble.

En vous lisant, nous constatons que nous sommes tous, de près ou de loin, concernés par les troubles psychiques. L’accepter peut-il nous amener à changer le regard que nous posons sur eux, comme nous l’avons fait ces dernières années, pour le cancer ou certaines maladies sexuellement transmissibles, qui furent longtemps, des pathologies taboues pour le grand public?

S’efforcer de banaliser le regard que nous posons sur ces malades peut effectivement les inciter à sortir d’une forme de "clandestinité" et d’enfermement, et les amener à consulter plus tôt et donc à se faire plus facilement diagnostiquer et mieux soigner.

Banaliser la maladie permet également au grand public de relativer la peur suscitée parfois par ces patients, y compris dans les pathologies les plus graves. Il faut savoir que les symptômes présentés par la plupart d’entre eux sont souvent proches « de la normale ». Les malades nous ressemblent. Ils ne sont pas des extra-terrestres. 25% de la population française est, à un moment ou à un autre, touchée par l’une de ces pathologies. Ce n’est pas anodin. Nous pouvons tous être, un jour, plus ou moins concernés. Nous devons donc nous ouvrir à cette réalité, et apprendre à considérer ces maladies comme n’importe quelle autre pathologie. C’est le meilleur moyen pour dédramatiser ce qu’elles sont et pouvoir les prendre en charge, au plus tôt , dès qu’elles commencent à se manifester. Ce qui donne de bien meilleurs résultats thérapeutiques. Nous avons tous à y gagner. C’est pourquoi, dans ce livre, j’essaye de montrer l’importance de répérer dès qu’ils commencent à se manifester, donc avant qu’ils ne s’aggravent, les 1ers signes des phobies, des addictions, des TOC, des troubles de l’humeur, de la dépression, de la schizophrénie ou des troubles anxieux.

Je le répète, soutenir, accompagner, dès le début, les personnes qui présentent ces troubles qui sont des souffrances importantes et parfois handicapantes pour leur fonctionnement général, quotidien, est capital. Cette démarche est assez récente mais déjà, on remarque que de plus en plus de personnes viennent consulter à un stade précoce de leur maladie. Ce qui n’était pas le cas, il y a encore quelques années. Désormais, les patients savent que leurs pathologies sont mieux connues, que les médecins sont mieux formés, qu’il y a des solutions, médicaments, thérapies, qui marchent bien, et ils viennent plus facilement chercher de l’aide. C’est un progrès indéniable. Aussi, dès que le sentiment de ne pas aller bien, d’avoir des pensées obsesionnelles, de ne plus être en phase avec la réalité, de subir une tristesse ou des peurs omniprésentes, s’invitent dans le quotidien, il ne faut donc pas hésiter à en parler à ses proches, à son médecin généraliste ou à un spécialiste. Le traitement de fond étant la psychothérapie, il est souvent possible d’en débuter une, assez vite, dès que les troubles sont identifiés et répertoriés.

Comment fonctionne, cette méthode, la psychiatrie positive ?

La psychiatrie positive consiste à prendre en charge au plus tôt les maladies psychiques, de mieux prévenir leurs rechutes, et de les stabiliser en phase de rémission, en appliquant notamment certains principes et techniques de la psychologie positive.

Les méthodes utilisées apprennent aux patients à utiliser les ressources qui sont en eux ; à considérer leurs troubles et leurs souffrances, instant après instant ; à prendre du recul ; à consolider leurs progrès ; à positiver non pas leur maladie mais l’approche qu’ils en ont ; à développer une plus grande intelligence émotionnelle et relationnelle ; à retrouver confiance en eux, dans la vie et dans leurs proches. Les traitements ne s’arrêtent pas là. Mais, quelle que soit la méthode préconisée, le patient est toujours au cœur de ce processus. Il en est le maître d’œuvre. La bonne connaissance de sa maladie, sa capacité à l’accepter, son désir de se prendre en charge et de se socialiser, la participation et l’implication de son entourage, une médication bien adaptée dans les cas de troubles lourds, une bonne collaboration avec son médecin,…, font que sa prise en charge se déroule dans les meilleures conditions possibles et qu’elle « fonctionne ».

Prenons un exemple tiré de l’actualité. De plus en plus de gens ont peur des risques d’attentat et du terrorisme et de l’avenir à cause du chômage. Ce qui n’est pas une pathologie en soi, mais cela peut parfois le devenir….

Si ces troubles deviennent excessifs, permanents, à distance d’un évènement traumatique, et que ces peurs se maintiennent et s’auto-entretiennent dans le temps, oui, il faut consulter pour en sortir.

Dans ce type de situation, en thérapie, nous n’allons pas essayer de trouver la cause réelle à l’origine de ce dysfonctionnement psychique mais nous attacher à comprendre la vulnérabilité que cela réveille chez la personne concernée, afin de lui permettre de la transformer.

Dans cette approche, le médecin est dans l’échange, le dialogue. Son but est d’installer avec son patient un processus pérenne, qui lui permettra d’être autonome.

En conclusion, que nous recommandez-vous ?

Dans tous les cas, de ne jamais stigmatiser et de relativiser ! Les maladies psychiques sont des maladies comme les autres. Les patients aussi.

Ils ne sont pas leur maladie. Nous ne devons pas les identifier à leur pathologie. Nous devons cesser d’essayer de nous rassurer ou de les tenir à distance, en les mettant dans des cases. Une même maladie, présente des formes différentes selon les patients. Nous devons tous œuvrer à changer la perception que la société a de la maladie psychique. Et, pour cela, la prévention doit travailler aussi bien sur la santé physique que psychique.

Nous ne sommes qu’au début de la psychiatrie positive. Notre pratique évoluera sans doute encore beaucoup dans les années à venir. Nos connaissances sur les maladies mentales, les avancées de la science, ce que nous apprenons de nos patients… tout cela participe à déstigmatiser les troubles mentaux et à mieux les prendre en charge.

"Retrouver l’espoir". Éditions Odile Jacob

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