France Télévisions, un navire à la dérive

Des effectifs en augmentation malgré un plan de réduction du personnel, des grilles de programmes aléatoires, des chaînes peu regardées, des recettes en berne, l’audiovisuel public français traverse depuis quelques années une crise profonde que sa direction ne parvient pas à enrayer. Et qui coûte cher en argent public en période de crise.

Arrimé à la Seine dans le 15e arrondissement, le paquebot France Télévisions donne des signes d’avarie. Les rapports de la Cour des comptes ou de l’Assemblée nationale épinglent année après année une entreprise qui navigue à vue et rate les rendez-vous avec une réforme structurelle. Aux problèmes financiers, sont même venus se greffer des inquiétudes éditoriales. Martine Martinel, députée (PS) de Haute-Garonne auteure d’un rapport parlementaire sur l’audiovisuel public, décrypte pour Lyon Capitale les défaillances des chaînes publiques.

Des effectifs qui dérapent

Pour ramener les comptes vers l’équilibre, France Télévisions a initié un plan volontaire de départ à la retraite entre 2009 et 2012. Il a en fait débouché sur une hausse de la masse salariale de 2,74 % quand la direction s’était engagée à la diminuer de 5 %. Si 600 salariés ont quitté le navire, les indemnités de départ ont rendu le plan caduc. Pis, sur la période 2006-2012, les effectifs ont augmenté, passant de 10 620 en 2006 à 11 167 temps pleins au 30 juin 2012. “La hausse s’est stabilisée alors que la sagesse aurait dû leur commander de réduire le personnel après la suppression de la publicité le soir qui a engendré des pertes de recette”, observe Martine Martinel.

La direction de France Télévisions devrait donner un coup d’accélérateur en dégraissant le contingent de CDD qui œuvrent pour la plupart dans les antennes régionales de France 3. Ces salariés représentent 15 % des effectifs des chaînes publiques. Or, ces employés multiplient depuis des années des contrats, parfois hors de tout cadre légal. Ce plan social pourrait donc une nouvelle fois coûter plus qu’il ne rapporte.

Martine Martinel s’inquiète aussi du climat social dans l’entreprise : “Les salariés sont perdus par des changements incessants de projet et de management. À France Télévisions, beaucoup de gens ne se sentent pas bien, entre les placardisés à 7 000 euros et ceux qui enchaînent les CDD depuis des années.” Les strates hiérarchiques qui s’accumulent sont régulièrement pointées comme responsables d’un climat social déplorable et d’une masse salariale trop conséquente. Sur les 11 167 temps pleins de France Télévisions, 4 625 sont consacrés à des fonctions d’encadrement, avec des pointes à 60 % à France Ô.

La difficile “entreprise commune”

Imaginée par Nicolas Sarkozy, en 2009, pour rationaliser les dépenses de France Télévisions, l’“entreprise commune” peine à devenir une réalité. Sur le papier, la réforme apparaît pourtant simpliste et logique : les chaînes devaient mutualiser leurs achats de programmes, leur personnel, les équipes techniques, les moyens commerciaux et marketing. En 2009, la Cour des comptes avait tracé pour France Télévisions le chemin de l’entreprise commune.

En 2012, dans un rapport sur l’audiovisuel, les magistrats regrettaient que “leurs recommandations n’aient à ce jour donné lieu qu’à des mesures partielles”. Aux yeux des magistrats comme des parlementaires, la présence sur un même événement d’une caméra de France 2 et d’une autre de France 3 apparaît comme une gabegie. “France Télévisions est une entreprise très difficile à gérer et à restructurer, du fait de sa grande taille. Le plus gros problème réside dans l’absence de continuité à la tête de France Télévisions. Les patrons changent trop rapidement et les réformes s’enchaînent trop vite. Rémy Pflimlin a hérité de l’“entreprise commune”, qu’il n’a pas souhaitée et dont il n’a pas su se démarquer. Du coup, il a créé une usine à gaz”, estime Martine Martinel.

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Le défi perdu de la qualité

Aux questions financières viennent se greffer désormais des questions éditoriales. Les coupes budgétaires opérées par Rémy Pflimlin ont pour conséquence d’altérer la grille des programmes. Ainsi, à la rentrée 2012, France 2 achète des script-realitys, sortes de mini-séries inspirées d’histoires vraies et souvent tordues portées par des aspirants acteurs, pour combler ses samedis après-midi à moindre frais. Devant le tollé provoqué par la piètre qualité de ces programmes, la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti, a sommé France 2 de mettre fin à leur diffusion. En cours d’année, France 2 a aussi récupéré une émission de France 3, Ce soir ou jamais, pour remplacer un programme plus onéreux. Soir 3 est devenu le Grand Soir 3 pour les mêmes raisons financières.

“Rémy Pflimlin et son équipe gèrent dans l’urgence, alors il supprime par-ci et raccourcit par-là. Il n’y a pas de projet prospectif sur les émissions diffusées à l’antenne. Des émissions comme Taratata sont arrêtées sans que l’on sache par quoi elles seront remplacées”, déplore Martine Martinel. En région, les programmes de France 3 varient aussi au gré des coupes budgétaires : des antennes cessent par exemple d’émettre pendant les vacances scolaires.

“Ces chaînes sont financées par l’argent public, les Français sont en droit de s’identifier à ce qui passe à l’antenne. L’érosion des audiences montre que les gens n’adhèrent pas à l’identité des chaînes hormis peut-être France 2 et France Ô. Pour France 3, il faudra choisir un jour entre une chaîne nationale et une chaîne locale. Aujourd’hui, cette chaîne est en déshérence. Nous pourrions en faire une chaîne d’info publique avec des décrochages locaux. France 4 ne ressemble pas à une chaîne. France Ô coûte très cher, mais sa suppression ne serait pas politiquement correcte. Nous sommes en droit aujourd’hui de nous interroger sur ce qu’apporte l’audiovisuel public aux Français. Nous avons des obligations de qualité. La ménagère n’est pas obligée de regarder des programmes idiots. Ce n’est qu’une affaire de coût. Personne n’a pris le temps de cette réflexion. Dans un univers de plus en plus concurrentiel, les chaînes doivent avoir une identité. Dans ce contexte, le CSA n’avait d’ailleurs peut-être pas d’urgence à lancer la création de six nouvelles chaînes à la rentrée 2012”, appuie Martine Martinel.

Dans son rapport parlementaire, l’élue dénonçait la schizophrénie des gouvernements vis-à-vis de France Télévisions : “L’État ne sait pas ce qu’il attend du groupe. Il ne cesse de multiplier ses missions, tout en lui demandant de réaliser des économies. Il lui demande de se défaire de la contrainte de l’audience tout en exigeant de ses programmes qu’ils fédèrent le plus large public possible.”

De nouvelles recettes à trouver

En décidant de supprimer la publicité sur les chaînes publiques à partir de 20 heures, Nicolas Sarkozy a plombé les comptes de France Télévisions, qui n’a toujours pas trouvé par quoi remplacer cette manne. “La suppression de la publicité a déjà coûté plus de 600 millions d’euros”, chiffre Jean-Marie Beffara, député et rapporteur de la commission des finances. À cette perte de revenu s’ajoute la contraction du marché, qui a provoqué un recul de 75 millions des recettes publicitaires en 2013. France Télévisions prévoit donc de finir l’année avec un trou de 42 millions d’euros. La ministre de tutelle a annoncé que l’État ne pouvait se permettre de le combler.

La direction de France Télévisions pointe aussi une raison publique à ses difficultés financières : l’aide à la création artistique. L’audiovisuel public doit en effet consacrer une partie de son budget à l’achat de programmes extérieurs. Une enveloppe qui avoisine le milliard d’euros et dont la moitié est destinée au soutien à la production nationale. “L’argent public ne pourra pas toujours pérenniser un groupe qui ne marche pas. À France Télévisions, les gens ont longtemps été très cool, comme si l’argent public ne manquerait jamais”, menace Martine Martinel.

Hors des réductions de coûts en interne, des pistes extérieures sont évoquées. La redevance a déjà augmenté de 6 euros cette année et l’hypothèse d’une extension de cet impôt aux résidences secondaires pourrait finir par venir en renfort pour combler les millions d’euros perdus en publicité. Le Gouvernement s’y refuse. Pour combien de temps encore ?

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