"Le temps qu'il reste", de Elia Suleiman

De la guerre israélo-arabe de 1948 au calme précaire de ces dernières années, Suleiman dépeint à travers cette fresque familiale la situation ambigüe de la minorité arabe d'Israël, tiraillée entre intégration et résistance.

Sept ans après " Intervention divine ", le réalisateur palestinien Elia Suleiman revient avec un film sur les relations israélo-palestiniennes, toujours avec la même énergie burlesque mais avec moins de loufoquerie. En s'abstenant de donner de grandes leçons géopolitique ou moraliste., Il évite l'écueil du film engagé virilo-larmoyant. Il nous livre juste des tranches de vie quotidienne qui portent certes les stigmates de la guerre, mais sans surjouer les antagonismes. Il s'agit bien d'une histoire de famille avant d'être une fresque historique. Ici, les problèmes de diabète de la mère et le manque de talent culinaire de la tante prennent autant de place que les tensions entre communautés, les Israéliens ne sont pas complètement des salauds et les Palestiniens rarement des rebelles. Seule la figure du père, authentique héros - beau comme un dieu, courageux comme un lion - rappelle la classe nonchalante d'un Paul Newman. Pourtant, les tensions ne sont ni ignorées, ni accessoires. Simplement, elles émergent avec subtilité au détour de situations ubuesques qui mettent en lumière l'incompréhension entre ces deux peuples. On est toujours un peu glacé de sentir l'ombre menaçante de la présence policière, si souvent disproportionnée. La justesse du vécu se mêle à la fantaisie de l'auteur, dans un regard à la fois caustique et tendre. Pour servir cette histoire pleine de nuances, la réalisation est paradoxalement très théâtrale. La mise en scène est littéralement chorégraphiée, les dialogues calibrés. Pas un geste, pas un mot de trop, mais beaucoup de regards lourds de sens. Dans ces silences, le ridicule, la tendresse et la douleur surgissent crûment et nous touchent au cœur, directement. Avec une humilité exceptionnelle pour une autofiction, le réalisateur nous invite à regarder dans le rétroviseur de sa vie en se mettant lui-même en scène comme spectateur de son passé, figure mutique et quasi fantomatique, plus témoin qu'acteur de la vie de sa communauté. Avec un humour féroce, il fait de ce film une tribune libre aux personnages qui ont peuplé sa vie à Nazareth, avec leurs petites lâchetés comme leurs infimes actes de résistance. C'est toute la magie d'un film comme " Le temps qu'il reste ", de nous faire sentir qu'aller piquer de la glace dans le frigo malgré son diabète est aussi héroïque que de prendre les armes contre l'occupant.

Loan Nguyen

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