Sécurité : "Ces chiffres sont un outil de communication politique"

Il a dirigé l'ouvrage collectif La frénésie sécuritaire aux éditions La Découverte (2008) au sein duquel il a rédigé un chapitre sur les chiffres de la délinquance.

Lyon Capitale : Peut-on lire l'efficacité de la police à travers les chiffres de la délinquance que communiquent le ministère de l'Intérieur et les préfectures ?
Laurent Mucchielli : Non. La police n'a pas forcément connaissance de tous les faits de délinquance et ne les traite pas de la même manière. Les policiers (comme les gendarmes) sont de plus en plus soumis à un contrôle hiérarchique étroit sur les statistiques, dont les résultats recommandés sont donnés par avance... Ces chiffres sont devenus d'une part un outil de management interne des administrations, d'autre part un outil de communication politique.

Lyon a un meilleur chiffre de faits élucidés par agent que Marseille. Doit-on en conclure que la police est plus efficace à Lyon qu'à Marseille ?
Non plus. Il peut y avoir de multiples raisons à ce constat : une différence dans le poids des différents types de délinquance ici et là (vols, agressions, vandalisme, escroqueries, contentieux des étrangers, etc.), une différence dans la façon plus ou moins procédurière de gérer les problèmes et une différence dans la façon plus ou moins soumise d'appliquer les consignes politiques.

Avec plus d'interpellations de fumeurs de joints et d'étrangers en situation irrégulière pour améliorer le taux d'élucidation, la délinquance devrait augmenter. Or elle baisse, comme dans le Rhône, en zone police. Comment expliquer ce phénomène ?
Il faut juste comprendre la différence entre faits constatés et faits élucidés. Les actes de délinquance les plus souvent constatés sont aussi les moins élucidés : ce sont les atteintes aux biens (vols, cambriolages, dégradations), parce que ce sont souvent des plaintes contre X (auteur inconnu). A l'inverse, les atteintes aux personnes sont dénoncées par des victimes qui connaissent généralement leur agresseur. L'élucidation est donc beaucoup plus facile. Enfin, certaines infractions font 100 % d'élucidation parce qu'elles sont recherchées et constatées en flagrant délit par les policiers. En particulier les consommations de drogue et les étrangers en situation irrégulière. Mais cela concerne moins de faits que les vols. Pour avoir les "bons chiffres", les services de police peuvent donc se concentrer sur les délinquances bien élucidées. Cela fera monter le taux. Et comme dans le même temps, la tendance depuis une dizaine d'années est la baisse sur les vols (surtout les vols de voiture), les faits constatés continuent de baisser. Les deux ne sont donc pas incompatibles.

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