Mort tragique de deux motards : médias et justice s'emballent

Au point de susciter un malaise auprès des journalistes qui se sont rendus sur les lieux du drame.

"Isère: deux policiers mortellement percutés par un chauffeur ivre". Le titre de la dépêche AFP, le 18 avril à 7h01 est sans équivoque. Et suffit à mettre la France en émoi et à justifier une couverture médiatique très forte du drame qui frappe deux policiers de 24 et 29 ans, alors qu'ils se rendaient à moto au commissariat de Vénissieux. Sans relativiser le drame, les autres informations qui tombent dans la journée mettent à mal cette première version. Si le chauffeur du camion a bien fait demi-tour alors que cette manoeuvre était interdite, c'est la moto qui l'a percuté, et non l'inverse. Enfin, le procureur de la République de Vienne s'est posé la question de la vitesse de la moto. En voyant l'état du camion et de la moto, "on peut penser objectivement que la moto ne roulait pas à 50 km/h', a-t-il déclaré à l'AFP, ajoutant que, pour des raisons techniques, "il n'est pas certain que l'on puisse déterminer à coup sûr la vitesse de la moto et en tout cas cela peut prendre beaucoup de temps". Dès le lendemain matin, il se ravise en déclarant, à nouveau à l'AFP qu'il était désormais établi, "grâce au témoignage d'un automobiliste", que "le conducteur de la moto, Mickael Jomard, n'était pas au moment des faits en excès de vitesse caractérisé". Le soir même, la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie se rendait au commissariat de Vénissieux pour exprimer "le sentiment de révolte qui est le mien quand à 5 heures du matin, quelqu'un conduit un poids lourd en étant fortement alcoolisé". Le conducteur du camion, Mohamed El-Harche, un français de 38 ans, a été incarcéré dés le lendemain, et condamné lundi en comparution immédiate pour "homicide involontaire avec circonstances aggravantes" à cinq ans de prison dont deux fermes. L'avocat du chauffeur, Me Morgane Gibert, a réclamé en vain à l'audience un supplément d'information. Dénonçant une 'gravité absolue' des faits, le Procureur Franck Rastoul avait réclamé six ans de prison, dont quatre fermes. N'obtenant pas totalement satisfaction, le parquet a donc fait appel.

Le fait que la question de la vitesse de la moto ait été aussi vite évacuée par le procureur a cependant suscité un malaise. Le photographe de l'AFP, Jean-Philippe Ksiazek, qui s'est rendu sur les lieux peu après le drame, confie : "C'est une ligne droite, suffisament éclairée. Je suis motard moi-même... On a ramassé les corps à 80 mètres après l'impact. Pour moi, ils roulaient à 150 km/h." Il ajoute par ailleurs que "tous les journalistes qui étaient présents ont ressenti un malaise. On leur avait dit que deux policiers avaient été percutés par un camion, ils ont découvert que c'était deux civils, sur une moto privée..." Pour ces raisons, il n'a "pas voulu couvrir la venue d'Alliot-Marie, le jour-même. C'est un dramatique accident de la route, mais il ne justifiait pas un tel emballement médiatique." Avant d'interroger : "Que se serait-il passé si ça avait été deux boulangers ?" Tout en compatissant sincèrement avec la douleur des familles, on ne peut en effet que regretter que l'enquête sur cet accident, ait été menée... à toute vitesse et que la justice ait été rendue dans un contexte si émotionnel. Au détriment peut-être de la certitude que toute la lumière a bien été faite sur ce drame.

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