Quand la Sarkozie menace publiquement des juges, des petites mains s’exécutent

Le juge Jean-Michel Gentil, qui a mis en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans un des volets de l’affaire Bettencourt, a reçu hier un courrier contenant des menaces de mort et des cartouches à blanc. Est-ce grave ? Oui. Était-ce prévisible ? Évidemment.

Le parquet de Bordeaux a ouvert une enquête préliminaire. Les proches du juge, comme des membres du Syndicat de la magistrature, seraient également visés par ces menaces. La lettre était adressée à M. Gentil du Syndicat de la Magistrature (alors que le magistrat n’en fait pas partie), et on l’y accuse, dans un mauvais français, d’avoir franchi l’irréparable. Vous êtes physiquement bien protégé, lance l’auteur au juge. Mais l’un des vôtres va disparaître. Il est précisé dans la missive que les cartouches jointes sont à blanc, en attendant de monter nos interventions. Les deux collègues du juge Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël, auraient également reçu des lettres de menace. Les cartouches étaient des munitions de guerre.

Une tentative de déstabilisation de la justice

Appelant à la retenue et à la responsabilité, le Syndicat de la magistrature estime que la violence des propos de la garde rapprochée de l’ancien président et l’œuvre de décrédibilisation de la justice à laquelle elle s’est livrée ne peuvent que susciter l’incompréhension des citoyens, la perte de confiance en l’institution judiciaire et, pour finir, l’insupportable déchaînement de haine envers les magistrats chargés de rendre la justice. Nous l’écrivions nous-même dans un éditorial il y a quelques jours :Pour les hommes politiques, la justice est une autorité indépendante dans laquelle on peut avoir confiance, sauf quand un magistrat met une personnalité de leur camp en examen. Aussitôt, les mots scandale et déshonneur fusent, le ton se veut courroucé et les thèses du complot se mettent à fleurir.

Je ne change pas une virgule de mes propos sur le juge Gentil

De nombreux proches de l’ancien président avaient en effet crié à l’acharnement judiciaire suite à la mise en examen de leur champion, dans l’un des volets de l’affaire Bettencourt, en l’occurrence l’abus de faiblesse. Parmi les plus virulents, Henri Guaino. Concernant la mise en examen de “son ami” – utilisant ici, pour bien marquer les esprits, une sémantique relevant davantage du clan que de la République –, M. Guaino avait jugé la procédure “d’accusation infamante”. “Le juge (...) a bien déshonoré la justice ! Il a sali la France en direct et devant le monde entier”, avait lancé l’ex-conseiller spécial du président de la République, dans des propos reccueillis par Le Figaro. Le député (UMP) des Yvelines avait également accusé le magistrat bordelais de “dévoyer le Code pénal”, car “un outrage à magistrat, c’est fait pour poursuivre les gens qui menacent un juge, pas pour attaquer des propos”.

Ni coupable, ni même responsable

Sur RMC Info et BFM TV, M. Guaino, accusé par le Syndicat de la magistrature d’être indirectement à l’origine de ces menaces, a toutefois déclaré ne se sentir aucunement responsable. “Les menaces de mort contre un juge ou contre n’importe qui sont insupportables, totalement condamnables, a commenté Henri Guaino. Mais, la position prise par le Syndicat de la magistrature est absolument insupportable et effrayante.” Lundi, il avait déjà déclaré : Je ne change pas une virgule de mes propos sur le juge Gentil.” Ce vocabulaire et ces comportements sont symptomatiques d’une certaine droite, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire ici, une droite qualifiée de “décomplexée” par M. Sarkozy lui-même, une antienne hélas assumée et même théorisée par M. Copé, président contesté de l’UMP, dans son Manifeste pour une droite décomplexée.

La justice ne se rend pas sur un ring de boxe

Un autre pugiliste proche de l’ex-chef de l’État, Patrick Balkany, a également dérapé. Invité à débattre sur RMC dans l’émission de Jean-Jacques Bourdin avec Maître Antoine Gillot, l’avocat de l’ex-majordome de Liliane Bettencourt, le maire de Levallois a laissé entendre que la décision du juge Gentil était purement politique. Des accusations qui ont agacé Maître Antoine Gillot. “Vous avez tout à fait le droit de défendre un copain, mais en revanche je trouve inacceptables vos déclarations sur la justice de notre pays”, a lâché l’avocat, avant qu’un “Je vous emmerde” de Patrick Balkany ne se fasse entendre. Désirant reprendre l’antenne à ce moment-là, Jean-Jacques Bourdin s’est aperçu des propos tenus par l’un de ses invités et a immédiatement réagi. “Qui a dit “Je vous emmerde” ?” a-t-il demandé, sans obtenir de réponse positive. Patrick Balkany, dont on a immédiatement reconnu la grosse voix et le ton inimitables, s’est fendu d’un “Ah, pas moi !” auquel Maître Antoine Gillot a répondu : “Pas moi non plus”…

Un État de droit

Que M. Sarkozy soit un justiciable comme les autres, ni plus ni moins, c’est évidemment souhaitable et même indispensable. Il doit pouvoir se défendre dans la sérénité, il a toute une batterie d’avocats à sa disposition et il est lui-même avocat de formation. Cependant, cette mise en examen n’est une surprise pour personne, tant l’ex-président est cité dans de nombreux dossiers, dans lesquels il est souvent question, en filigrane, de financement politique occulte (lire Jérôme Cahuzac, Nicolas Sarkozy, si proches, si différents). Mais que ses proches se livrent à des attaques aussi basses et aussi virulentes, c’est, dans notre République, inacceptable. Ce n’est pas une question de gauche, ce n’est pas une question de droite, c’est une question d’acceptation et de respect de l’État de droit. Je ne sais pas si François Hollande sera un jour à la hauteur de sa fonction, tant ses débuts sont calamiteux. Mais ce que je sais aujourd’hui, c’est que son prédécesseur et sa garde rapprochée sont, pour les amoureux de la France, un cauchemar que l’on voudrait définitivement oublier, eux qui n’ont eu de cesse de pratiquer l’injure, l’intimidation et la menace contre ceux – politiques, journalistes, magistrats – qui avaient l’outrecuidance de contrarier un tant soit peu leurs plans. Comment s’étonner, dès lors, que les juges reçoivent des lettres de menace avec des cartouches ? C’est une véritable incitation à la haine contre lesdits magitrats à laquelle se sont livrés certains députés UMP, incitation que des esprits un peu simples sans doute, étant donné le caractère contreproductif de leur action, ont prise à la lettre.

Un mouton noir dans la baignoire

On se souvient que dans Un mouton noir dans la baignoire Azouz Begag avait décrit dans le détail le comportement quotidien de Nicolas Sarkozy et de quelques-uns de ses proches. La scène se passe à l’automne 2005, raconte l’ancien ministre d’origine algérienne, alors que les banlieues s’enflamment en France après la mort de deux jeunes électrocutés dans un transformateur EDF à Clichy-sous-Bois, en banlieue nord de Paris, et l’emploi par Nicolas Sarkozy du terme de “racaille” à propos de certaines personnes habitant en banlieue. Dans ce contexte, Azouz Begag fait connaître son opposition à la “sémantique guerrière” de l’ex-ministre de l’Intérieur. À partir de ce moment-là, écrit-il, “la descente aux enfers est engagée” : pressions, dont Nicolas Sarkozy serait l’auteur, auprès de certains journaux pour que le nom d’Azouz Begag ne soit plus cité dans leurs colonnes, injures et intimidations incessantes. Azouz Begag, “bourré” de tranquillisants, raconte aussi l’éloignement progressif de ses collègues ministres et le ton insultant employé à son encontre par le ministre délégué aux collectivités territoriales et proche de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux. “Allez, fissa, sors de là ! Dégage d’ici, je te dis, dégage !” lui aurait par exemple lancé Brice Hortefeux, le 11 octobre 2006, alors que les deux ministres délégués étaient assis sur les bancs de l’Assemblée nationale. “Il utilise un terme de l’époque coloniale, déplorait Azouz Begag. Il se croit encore dans l’Algérie de l’indigénat. Je fais le benêt. Je dis que je ne comprends pas le breton.”

Pour conclure, nous ne citerons pas Madame de La Fayette et sa Princesse de Clèves, mais bien Victor Hugo, dont on ne saurait trop conseiller la lecture à l’ex-chef de l’État et à ses amis : “Le droit et la loi, telles sont les deux forces ; de leur accord naît l’ordre, de leur antagonisme naissent les catastrophes. (…) Le droit se meut dans le juste, la loi se meut dans le possible. (…) La loi a la crue, la mobilité, l’envahissement et l’anarchie de l’eau, souvent trouble ; mais le droit est insubmersible. Pour que tout soit sauvé, il suffit que le droit surnage dans une conscience. Le droit, meilleur antidote au “Casse-toi, pov’ con, au “Je vous emmerde et autres cartouches de tout calibre ? Depuis le code d’Ur-Nammu, rédigé en sumérien plus de deux mille ans avant Jésus-Christ, on n’a pas trouvé mieux pour encadrer les personnalités un peu agitées et les ramener à la raison.

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