2 juillet 2007 : le musée d'histoire naturelle de Lyon ferme ses portes

Histoire de Lyon - La ville rebelle connue pour ses révoltes des canuts puis des Voraces a décidé de se faire moins remarquer durant la Belle Époque. Le “modérantisme” lyonnais fait alors son apparition pour ne plus jamais quitter la cité. Un esprit brillant s’élève pourtant au-dessus des autres, qui marquera Lyon jusqu’à nos jours. Emile Guimet va marquer Lyon de son empreinte. Le 2 juillet 2007, son muséum d'histoire naturelle est fermé au public.

Sous le Second Empire, les grands travaux du préfet Vaïsse ont largement métamorphosé Lyon. Les rues de l’Empereur (aujourd’hui de la République) et de l’Impératrice (Édouard-Herriot) ont facilité l’émergence d’un nouveau centre-ville, convergeant vers le palais de la Bourse inauguré par Napoléon III en 1860. Après les révoltes des canuts (1831 et 1834) puis des Voraces (1848 et 1849), la fabrique lyonnaise ne s’est jamais aussi bien portée, et l’industrialisation l’a métamorphosée. Les métiers à tisser mécaniques quittent les pentes de la Croix-Rousse et sont regroupés dans de grandes usines, notamment à Vaise. La soie s’exporte dans le monde entier, tandis que les métiers à bras disparaissent progressivement – ils ne seront plus qu’exceptionnels en 1914. Entre 1851 et 1906, Lyon a également doublé sa population, pour atteindre 455 000 âmes. Dans ce contexte de révolution industrielle, les Lyonnais découvrent les loisirs. Le parc de la Tête-d’Or est inauguré en 1857, la même année que Central Park à New York. C’est également le temps des expositions internationales. La première se tient en 1894, sur les berges du Rhône et dans le parc de la Tête-d’Or, avec comme attraction principale un immense dôme de 55 mètres de haut ; la seconde, voulue par Édouard Herriot, en 1914 à Gerland. Deux “fêtes” dont l’histoire conserve cependant plutôt leur clôture dramatique (voir Lyon Capitale n° 723 et 724).

Émile Guimet, de la chimie... au musée

Culturellement, la Belle Époque lyonnaise est marquée par la figure d’un riche industriel passionné d’histoire : Émile Guimet. L’homme a fait fortune dans la chimie en exploitant un bleu artificiel inventé par son père, Jean-Baptiste Guimet. En 1827, ce dernier découvre ce colorant chimique et fait construire une usine sept ans plus tard à Fleurieu-sur-Saône. Émile Guimet voit le jour en 1836. En 1855, son père fonde avec Henry Merle la Compagnie des produits chimiques d’Alais et de la Camargue, qui deviendra Pechiney. Émile Guimet reprend l’entreprise en 1860, mais n’oublie pas sa vraie passion.

L’industriel a toujours été amoureux de l’art, la musique, la culture, les religions et l’histoire, puisant cette attirance du côté de sa mère, la peintre Rosalie Bidauld. Il s’essaiera même à la composition ainsi qu’à l’écriture d’un opéra. Homme curieux, il entame rapidement une série de voyages, n’hésitant pas à tenir des journaux de bord qu’il publie ensuite. Le coup de foudre a lieu en 1865, lors d’un voyage en Égypte. Émile Guimet y attrape un virus incurable : la collection d’objets antiques, notamment de l’époque des pharaons. L’Europe et l’Afrique ne suffisent bientôt plus à étancher sa soif : il se rend aux États-Unis, au Japon, en Chine puis en Inde, amassant connaissances, livres et antiquités. Émile Guimet a désormais un rêve : ouvrir un musée. En 1876, il décide d’offrir à Lyon une institution regroupant des salles d’exposition, des classes et un espace scientifique. Guimet est mu par la passion du patrimoine, mais aussi par le souhait d’offrir la culture au plus grand nombre et de faciliter l’évolution des sciences humaines. Il s’inscrit ainsi dans une grande tendance du patronat lyonnais, inspirée du saint-simonisme et de la pensée sociale chrétienne. Selon Saint-Simon, c’est aux industriels de participer à l’amélioration du pays et d’offrir une “instruction rationnelle” à tous.

La construction du premier musée Guimet, dessiné par l’architecte Tony Blein, débute en 1878, boulevard du Nord (des Belges aujourd’hui). L’édifice doit abriter un musée religieux, pour “mettre tous les dieux sous le même toit”, selon la volonté de Guimet, et d’une école dédiée à l’enseignement des langues dont le japonais. Entretemps, l’industriel décide d’offrir un autre cadeau à Lyon et fait construire en 1877, par le même architecte, le théâtre Bellecour, au 85 rue de la République. Les plus observateurs constateront que le musée et le théâtre partagent les mêmes traits. Inauguré par Jules Ferry le 29 septembre 1879, le bâtiment est vendu en 1892 et devient en 1894 le siège du Progrès, pour finalement abriter aujourd’hui la Fnac. Mais le modérantisme lyonnais va avoir raison des cadeaux de Guimet.

Le départ à Paris

Le musée est inauguré le 30 septembre 1879, toujours par Jules Ferry, mais le bâtiment n’est pas terminé. Les premières années ne sont pas bonnes, les visiteurs ne se pressent pas pour découvrir les merveilles du monde entier. Les chercheurs, de leur côté, ne sont pas enthousiastes et certains ne supportent pas le projet. Le rêve de Guimet est un échec, l’école des langues cesse son activité faute d’étudiants. La municipalité, notamment le maire Antoine Gailleton, est loin de vouloir aider l’industriel. Guimet se vexe, lui qui peut prendre une décision en quelques instants pour la mettre en marche immédiatement se heurte à la lenteur du pouvoir politique. Il propose à la Ville de lui céder le bâtiment pour qu’elle y transfère les pièces du muséum... et se fait un ennemi. Le docteur Louis Charles Émile Lortet, directeur du muséum de Lyon, voit en effet d’un mauvais œil un transfert de ses collections dans le bâtiment du boulevard des Belges. Dans un rapport assassin, il déconseille formellement l’opération. La mairie éconduit alors le collectionneur. Si Lyon ne veut pas de Guimet, il ira donc ailleurs ! Tournant le dos à la ville qui l’a vu naître, il part à Paris où il fait construire une réplique de son musée lyonnais. Parallèlement, après une vente aux enchères ratée, le bâtiment de Lyon est loué en 1899 à la Société frigorifique de Lyon, qui s’en porte acquéreur deux ans plus tard. Le musée est transformé en complexe industriel dédié à la fabrication de la glace, ainsi qu’en lieu de loisir. Le Casino des Sports ouvre ses portes, avec un restaurant et surtout une patinoire, héritant du titre de palais des Glaces. Mais les Lyonnais resteront hermétiques à l’initiative et l’affaire fermera moins de dix ans après son ouverture.

Le retour du rêve lyonnais

En 1905, la ville de Lyon plébiscite le jeune Édouard Herriot. L’homme politique nourrit un sincère regret : il se désole de la perte d’un esprit aussi brillant et généreux que Guimet. La reconquête du bâtiment du boulevard des Belges par la culture est lancée. La Ville le rachète en octobre 1909 et se débarrasse de la patinoire. L’objectif d’Herriot est clair, il souhaite installer le muséum d’histoire naturelle de la ville ainsi que les collections d’Émile Guimet dans une bâtisse agrandie. Convaincu, l’industriel accepte de voir renaître son rêve d’origine. Après des travaux quelque peu houleux, où l’impatience de Guimet ressurgit, le musée est inauguré en 1913. Comme en 1879, il n’est pas terminé. Avec l’arrivée de la guerre, il faudra attendre 1926 pour que le projet d’Herriot soit achevé. Guimet n’en verra pas la fin, il meurt le 12 octobre 1918. Ses collections, selon une volonté qu’il avait exprimée dès 1892, sont léguées à l’État. Le pays hérite de l’un des plus beaux catalogues d’antiquités au monde.

Le musée de Lyon a fermé ses portes le 2 juillet 2007, après avoir nourri l’imagination des esprits pendant presque un siècle. Certaines pièces ont été transférées dans le nouveau musée des Confluences, qui a ouvert ses portes en décembre 2014. Le vieux bâtiment rêvé par Émile Guimet, qui n’aurait peut-être jamais vu le jour sans la volonté d’Édouard Herriot de faire revenir le collectionneur à Lyon, attend sa prochaine destination. En 2021, il sera reconverti en "Ateliers de la danse".

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