Kraftwerk aux Nuits de Fourvière : kiffer l’Autoroute !

Bien que plus ancien en réalité, Kraftwerk vient fêter sur la scène de Fourvière 50 ans de création musicale. Un anniversaire qui marque la naissance de son premier album et du titre fleuve qui lui donne son nom : Autobahn. Un morceau fondateur dans la carrière et la cosmogonie de Kraftwerk et un jalon important dans l’histoire des musiques électroniques.

Il y a une décennie, le concert de Kraftwerk à Nuits Sonores était déjà considéré comme un événement sans beaucoup de précédent. Comment qualifier autrement la venue de la si singulière formation allemande aux Nuits de Fourvière ? Surtout si c’est pour y passer en revue 50 ans de création musicale. Un anniversaire aux contours quelque peu mouvants car, en réalité, les deux fondateurs de Kraftwerk officient, sous ce nom, depuis le début des années 70. Mais en 1974, ils opèrent un virage fondamental. Jusqu’ici considéré comme un groupe d’avant-garde pour le moins élitiste, le duo Florian Schneider/Ralf Hütter, régulièrement enrichi, profite d’une évolution technologique et de l’acquisition de nouveaux synthétiseurs pour tout réinitialiser. La possibilité qu’offrent ces instruments de se muer en démiurges pour créer des sons inédits à partir de rien leur permet de poser les bases de l’Industrielle Volksmusik (musique industrielle populaire, ce dernier qualificatif ayant toute son importance). L’idée est de refléter avec une froideur objective, et quelque part de sublimer, le monde industriel de la Ruhr. Et quoi de mieux pour évoquer la Ruhr que les autoroutes qui la traversent ? C’est d’ailleurs en voiture que Kraftwerk a l’idée du morceau fondateur que fut Autobahn, dont ce projet scénique fête donc le demi-siècle. Le morceau peut, pour le profane, sembler d’autant plus expérimental que, s’il existera une version formatée pour les radios, il dure à l’origine 22 minutes et occupe toute la première face de l’album du même nom. Mais il se révèle en réalité très accessible et mélodique, comme le seront la plupart des morceaux phares du groupe. La mélodie du morceau n’est en effet pas sans rappeler le Fun, Fun, Fun des Beach Boys, Kraftwerk étant régulièrement qualifié de “Beach Boys de Düsseldorf” ou de “Beach Boys industriels”.

Voie royale

Surtout, le concept d’Autobahn dépasse de loin la musique : l’autoroute, invention allemande, est ici une métaphore (notamment lorsque le groupe recrée de manière synthétique le son des voitures fonçant à vie allure) de l’évolution technologique, une route idéaliste vers le progrès technique et donc le futur, aussi attirant que terrifiant. Kraftwerk s’attachera d’ailleurs beaucoup à écrire sur les moyens de transport (Trans-Europe Express sera un autre de leurs tubes), comme s’il s’agissait d’anticiper, à partir de sa manifestation la plus basique, les théories sur la vitesse de Paul Virilio comme transformatrice de nos sociétés. Mais Autobahn est aussi un voyage, qui met en musique la monotonie d’un trajet autoroutier, particulièrement lors de la traversée de la Ruhr, ainsi que la diversité des paysages traversés, notamment par la répétitivité de la musique comme des paroles (“Wir fahren auf der Autobahn”, soit “nous roulons sur l’autoroute”, car en effet, quand on roule sur l’autoroute, on ne fait que ça). L’autoroute du kif, comme ne le disait pas la jeunesse d’alors, est, dès lors, pour Kraftwerk une voie royale vers le succès, tout comme pour la musique électronique, qui empruntera largement la voie défrichée et dessinée par le groupe allemand. Et pour Kraftwerk, une voie royale vers le succès qui n’en finira pas d’explorer la technologie et ses dangers (Radioactivity, 1975), prédire le transhumaniste (The Man-Machine, 1978) et la numérisation du monde (Computer World, 1981). C’est à se demander si, en révolutionnant la musique de son époque, Kraftwerk n’a pas au passage, dans une geste involontairement performative, changé le monde.

Kraftwerk – Le 21 juillet au théâtre antique de Fourvière

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