Mathieu Ricard Alexandre Jollien Christophe André

La sagesse selon le moine, le philosophe et le psychiatre

Développement personnel – Sommes-nous tous en quête de sagesse ? Le livre coécrit par le moine Matthieu Ricard, le psychiatre Christophe André et le philosophe Alexandre Jollien caracole dans le peloton de tête des ventes de ce début d’année. Échanges avec un trio d’“amis en quête de sagesse”.

Vous vous demandez régulièrement quel est le sens de votre existence, comment devenir un meilleur être humain, être utile, mieux aimer ceux qui vous entourent, ou encore que faire avec votre souffrance… Eh bien, contrairement à ce que vous pourriez penser, eux aussi ! Eux, ce sont, le moine Matthieu Ricard, le psychiatre Christophe André et le philosophe Alexandre Jollien, trois personnalités très différentes qui sont des références, des exemples à suivre pour un nombre considérable de personnes dans le monde.
Dans cet ouvrage de presque 500 pages, 3 amis en quête de sagesse, vous découvrirez comment chacun fait face à la souffrance et aux provocations de l’ego et, au-delà de ce qui les spécifie, combien leur souci de l’autre et leur volonté de s’accomplir au plus près des valeurs auxquelles ils adhèrent les réunissent et leur servent de repères, au quotidien. Ce livre dense, joyeux, authentique, exigeant, en dévoilant sans concession la vérité de ces trois êtres, éclaire en creux la nôtre, et nous montre les voies que nous pouvons suivre pour conjuguer, instant après instant, les mots responsabilité, liberté, amour et bienveillance. Entretien.

Lyon Capitale : Alexandre, qu’a représenté pour vous cette expérience de dialogue à trois ?

Alexandre Jollien : C’était un peu comme une retraite spirituelle très apaisante. Il est rare de pouvoir prendre du temps, ainsi, à plusieurs, pour écrire un livre qui aborde des sujets aussi essentiels sur la manière de conduire son existence. Et encore plus rare de pouvoir le faire en parlant de ses convictions, de son expérience, simplement, en toute vérité.

De plus, Matthieu avait toujours à l’esprit l’idée, la volonté de dédier ce travail, pour le bien de tous les êtres. C’est ce qui a dicté la rédaction de cet ouvrage : faire œuvre utile ! Cet état d’esprit altruiste a guidé et enrichi nos échanges, et continue à m’inspirer.

Enfin, sur un plan plus personnel, côtoyer Christophe et Matthieu, dans leur générosité et dans l’authenticité du quotidien, m’a beaucoup pacifié.

Quel est le sens de la vie d’un être humain ? Beaucoup de personnes ne trouvent pas de sens à leur existence… Que leur conseiller pour changer les choses ?

Matthieu Ricard : La question n’est pas tellement de savoir si la vie a un sens, mais plutôt quel sens nous pouvons donner à notre propre existence. Si l’on essaie sincèrement, jour après jour, année après année, de devenir un meilleur être humain, c’est sans doute la meilleure façon d’accomplir simultanément le bien d’autrui et le nôtre. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de consacrer une grande partie de son temps au service des autres.

Cela peut bien sûr se faire de toutes sortes de façons, en se comportant de façon décente les uns envers les autres au travail, dans la société, dans notre famille. Cela peut se faire aussi en contribuant à augmenter nos connaissances par la réflexion philosophique et par la recherche scientifique. Cela peut se faire, enfin, en soulageant la misère d’autrui dans la mesure de nos capacités.

L’amour bienveillant est au centre de cette pratique. Est-ce que le pratiquer serait la solution pour opérer cette nécessaire “révolution du cœur” si nécessaire pour donner du sens à notre vie ?

MR : Toutes les qualités dont nous avons le potentiel ne peuvent atteindre leur point optimal sans que nous les cultivions. Personne n’est né en sachant lire et écrire, ou jouer aux échecs. Pour que la révolution du cœur se produise, pour que nous allions vers une société où l’on met davantage l’accent sur la coopération et la solidarité, nous devons commencer par nous transformer nous-mêmes. C’est ce qui nous permettra ensuite de transformer nos cultures et, par voie de conséquence, nos institutions.

Quel est pour vous le sens d’une vie d’homme ?

AJ : Le métier d’homme est difficile. Voir ces deux grands frères pratiquer, en live, m’a conforté dans l’idée que nous pouvons tous nous transformer. C’est un formidable message.

Ce qui m’a frappé chez Matthieu, c’est sa grande et exigeante détermination à consacrer sa vie, pleinement, à la spiritualité ; et à vivre à chaque instant, en cohérence, avec les principes du bouddhisme. J’ai compris combien y parvenir est un pas décisif sur ce chemin et donne du sens à une existence. À ses côtés, j’ai appris l’importance de ne pas faire de consensus avec moi-même ; à ne pas être laxiste avec moi-même.

Avec Christophe, j’ai appris l’importance de faire des exercices quotidiens sur la gratitude, la gentillesse. La sagesse consiste aussi à s’entraîner à faire de petits exercices spirituels pour être moins centré sur soi-même, plus ouvert aux autres, plus généreux, et changer d’état d’esprit… Ce qui fait beaucoup, beaucoup, de bien.

Christophe André : Le sens d’une vie d’homme, c’est celui que nous lui donnons ! Ce n’est pas une boutade : si nous ne prenons pas la peine de réfléchir à ce sens, il n’existera pas, nous serons juste le jouet des influences de notre passé et de notre présent.

Nous partageons tous les trois les mêmes valeurs, et souhaitons justement donner du sens à notre vie, vers plus d’équilibre intérieur, de discernement et d’altruisme. Matthieu a quelques longueurs d’avance sur Alexandre et moi, et nous nous inspirons beaucoup de lui, de notre mieux !

Beaucoup de personnes ne trouvent pas de sens à leur existence… Que leur conseiller pour changer les choses ?

CA : Précisément ce dont nous venons de parler : prendre le temps, sinon chaque jour du moins régulièrement, de se demander : Est-ce que je suis dans la bonne direction ? Est-ce que, depuis un mois, un an, il me semble que je me rapproche, même doucement, même lentement, des valeurs qui m’importent, du sens que je veux donner à ma vie ?

Tout cela montre bien dans le livre l’importance d’apprendre à devenir un bon être humain… Et la nécessité de faire des choix, en conscience et en responsabilité, pour y parvenir. Mais j’insiste, beaucoup ne s’en sentent pas capables…

MR : Quel que soit notre point de départ, nous avons tous un potentiel de transformation. Rien n’est gravé dans la pierre. Pour prendre un simple exemple, celui de la pratique d’un sport ou d’un instrument de musique, nous ne deviendrons pas tous des champions ou des virtuoses, mais il est certain qu’en nous entraînant nous progresserons et pourrons jouer décemment d’un instrument de musique. Il en va exactement de même des qualités humaines fondamentales. Nous avons tous, à des degrés divers, des capacités d’attention, d’intelligence émotionnelle, d’altruisme ou de force intérieure, mais ces capacités restent dormantes tant que nous les laissons telles quelles. Dès le moment où nous commençons à les cultiver, elles vont croître et finir par atteindre leur point optimal. Quelles que soient nos limites, nous avons tous une grande latitude de changement. Il ne tient qu’à nous de décider de nous lancer dans cette aventure et il serait évidemment dommage de négliger cette possibilité qui nous est offerte.

Comment ?

MR : Le discernement, la bonté, la détermination et le courage, aussi bien sûr la sagesse et l’acquisition d’une plus grande liberté intérieure par rapport aux poisons qui nous entravent – l’animosité, l’attachement, la confusion mentale, l’arrogance, etc. Dans le monde de l’humanitaire, on voit bien que ce sont le plus souvent des imperfections humaines qui font dérailler les projets : les conflits d’ego, voire pire, la corruption. La meilleure chose que l’on pourrait faire donc avant de fonder une ONG serait de passer quelque temps à cultiver la bienveillance, la force d’âme et la détermination de se mettre au service d’autrui, sans rien attendre en retour dans le domaine des louanges, ou de toute autre forme de récompense.

Se transformer, parvenir à trouver la sérénité, est un long chemin. Comment, à partir de votre expérience, comprenez-vous et conseillez-vous ceux que vous accompagnez sur ce chemin ?

CA : L’important est de travailler à sa transformation : une fois de plus, ne pas s’en remettre seulement au hasard, aux autres, à la providence ! Se donner de petits objectifs concrets très simples : si l’on vise plus d’altruisme, s’efforcer de sourire plus volontiers, de dispenser des messages de soutien et d’affection à ceux qui en ont besoin, de proposer son aide sans attendre qu’elle nous soit demandée; cela vaut pour nos proches comme pour des inconnus.

Matthieu, sur ce chemin de transformation, vous avez eu la chance d’avoir deux maîtres exceptionnels. Que vous ont-ils montré, très concrètement ?

MR : Un maître spirituel n’est pas quelqu’un qui domine votre existence de manière autoritaire, mais une personne qui vous montre ce qui est possible lorsque l’on parcourt un chemin spirituel de bout en bout. Le messager est devenu le message, l’exemple vivant des enseignements qu’il transmet. Il, ou elle, n’a rien à gagner ou à perdre à avoir ou non quelques disciples de plus. En revanche, il a tout à donner et à partager afin d’éclairer ceux qui souhaitent s’engager sur le chemin de la liberté intérieure. Ce sont donc des êtres éminemment précieux pour ceux qui souhaitent s’émanciper de l’ignorance et de l’égocentrisme, tout comme un marin expérimenté, un guide de haute montagne ou un grand musicien sont de véritables trésors pour les apprentis qui veulent marcher sur leurs traces.

Sur cette voie exigeante, le renoncement est une pratique essentielle. Le renoncement ne consiste pas à se priver de ce qui est vraiment bon dans l’existence. Ce serait absurde. Ce à quoi il faut renoncer, c’est à l’addiction que nous avons aux causes de la souffrance. On ne dit pas que l’oiseau renonce à sa cage : il s’en libère. Le but du renoncement est donc de nous affranchir de tout ce qui nous maintient dans le cercle vicieux de l’insatisfaction chronique du monde conditionné par la confusion mentale. Si, par exemple, on souhaite cesser d’être brûlé, il faut “renoncer” à garder sa main dans le feu. Le renoncement n’est donc pas un sacrifice mais une libération.

On a le sentiment que vous avez beaucoup de recul – pas de l’indifférence – sur les choses… Pour y parvenir, il faut beaucoup travailler avec son ego. Comment “canaliser” l’ego ?

MR : Il ne sert à rien de canaliser l’ego, il faut démasquer son imposture. Il ne sert à rien de faire preuve de diplomatie à l’égard d’un imposteur qui ne cesse de nous maintenir dans un océan de tourments. En comprenant que l’ego n’est qu’un label attaché au flot dynamique de notre conscience, nous adoptons une vision plus juste de la réalité qui nous permet de fonctionner de manière plus saine dans l’existence, par rapport à nous-même et par rapport aux autres.

Et pour vous, Alexandre ?

AJ : L’ego, lorsqu’il est silencieux et qu’il n’interfère pas au quotidien de manière excessive, a une juste place. Le problème est qu’il enfle facilement, oblige à carburer à son rythme, croit qu’il est le centre du monde et tout cela cause beaucoup de souffrances.

Ma condition d’handicapé fait que l’expérience de la souffrance me renvoie beaucoup aux actions excessives de l’ego. La méditation m’aide à prendre un léger recul vis-à-vis de lui et à ne pas considérer mes émotions comme des ennemies mais à les accueillir en amies, ou du moins en messagers, en signaux d’alarme qui pointent vers l’essentiel. Ce travail, lent, se fait millimètre par millimètre, et m’apprend à dire oui à ce qui se présente. L’une de nos plus grandes souffrances résulte de notre refus de ce qui est douloureux; de ce qui nous arrive de difficile. Grâce à mon maître, un prêtre chrétien qui pratique le zen et qui vit en Corée du Sud, j’ai appris notamment l’importance de l’acceptation et à la pratiquer, là aussi, peu à peu. L’acceptation n’est pas une résignation mais une force intérieure qui permet de faire face à ce qui se présente, sereinement ! Ce maître m’a aussi appris à découvrir, en moi, une paix et une douceur qui sont déjà là, mais que je ne percevais pas auparavant. Et il m’a enseigné également un principe essentiel : la non-fixation. Dès lors que l’on se fixe dans une image de soi définie, déterminée, que l’on s’identifie à cette image, il y a action de l’ego et souffrance ! Une souffrance radicale. Le chemin vers la non-fixation se fait par le don de soi, de manière totale, à l’autre. Tout cela, je l’apprends au quotidien, pas à pas. J’ai encore beaucoup de résistances. L’ego est coriace. Reste que ce chemin de libération est source de joie.

Quand est-on guéri de l’ego, donc de la souffrance mentale ?

CA : Un des meilleurs signes est que l’on pense moins à soi. De manière générale, la souffrance nous recroqueville sur nous : nous nous focalisons sur notre douleur, et de ce fait nous nous coupons du monde. Pensez à la dernière fois où vous avez eu très mal à la tête ou aux dents : dans ces moments, le soleil qui brille ou nos proches qui nous sollicitent nous semblent bien loin de nos aspirations ! La souffrance psychique obéit aux mêmes lois : un ego qui souffre est focalisé sur lui-même, il se demande ce qu’on pense de lui, s’il est à la hauteur, s’il est assez ceci ou cela pour être admiré (chez les narcissiques) ou accepté (chez les complexés). Lorsque l’ego va mieux, il s’efface, se montre silencieux au quotidien : on ne se demande plus ce que les autres vont penser de nous, mais ce qu’ils peuvent nous apprendre, ce que nous pouvons leur apporter.

L’un des derniers chapitres concerne la cohérence intérieure. Être cohérent, c’est vivre en accord avec ses pensées, ses convictions, et être pleinement dans le présent. C’est le secret de la liberté et de la sérénité intérieure ?

CA : C’est en tout cas une partie de ce secret ! Comment peut-on être en paix intérieure si on se ment régulièrement à soi-même ? Si on est amené régulièrement à se trahir, à trahir ses idéaux, à faire semblant ? C’est souvent difficile : la vie en société nous amène régulièrement à faire des compromissions, des mensonges, des dissimulations, parfois pour ne pas faire de peine, parfois par paresse ou lâcheté. C’est inévitable si c’est occasionnel, mais inacceptable si c’est fréquent. Cela nous signale que nos idéaux sont peut-être trop élevés par rapport à nos capacités du moment, ou bien que nous manquons de rigueur, ou que nous ne travaillons pas assez.

Que pouvons-nous faire pour donner du sens à nos vies ?

AJ : Pour moi, il y a trois grands chantiers, trois piliers de la sagesse, qui m’aident au quotidien :

  1. S’engager pleinement, corps et âme, avec persévérance, dans une démarche spirituelle. Si on se laisse aller à une vie mécanique, il n’en résulte que de la souffrance ; choisir le but que l’on se fixe pour donner du sens à son existence est essentiel.
  2. Être entouré par des “amis de bien”. Côtoyer Christophe et Matthieu, et des personnes qui m’aident à m’élever vers le haut comme ma femme, mes enfants, mon maître, m’aide à grandir, à évoluer de façon constructive, et me fait éprouver beaucoup de gratitude envers mes proches, l’existence.
  3. S’engager concrètement dans une vie solidaire, en posant des actes. Pour cela, je commence par exemple chaque jour en me demandant ce que je peux faire, au cours des prochaines heures, pour aider quelqu’un. C’est très salutaire.

Matthieu, que représente la sagesse pour vous ?

MR : La sagesse, c’est tout d’abord de ne pas tourner le dos au bonheur en se précipitant vers les causes de la souffrance, comme nous le faisons trop souvent. C’est aussi avoir une vision plus juste de la réalité ; reconnaître notamment la folie de l’égocentrisme et prendre pleinement conscience de l’interdépendance qui relie tous les êtres. C’est aussi apprécier les bienfaits de la simplicité volontaire, se garder de ne pas être la proie de désirs aussi vains que décevants et comprendre que la jouissance de la paix intérieure nous rend plus riche que les plus riches des milliardaires.

Quel est le principal message que vous voudriez faire passer dans ce livre ?

CA : Que nous devons tous travailler à devenir de meilleurs humains, que cela ne nous tombera pas du ciel, mais que c’est un travail accessible et passionnant. Que nous pouvons accéder à plus de bonheur authentique, à plus d’altruisme, à plus de discernement. Que nous pouvons tous nous mettre en marche sur le chemin de la sagesse, la petite, la discrète, la quotidienne, celle qui est à notre portée !

Comment cette grande conversation à trois vous y aide-t-elle ?

CA : Mes deux amis sont à la fois des modèles inspirants en ce qui concerne leurs qualités, et des interlocuteurs exigeants, qui me forcent à clarifier mes pensées et mes intentions. Après ce livre, j’avais compris plein de nouvelles choses et découvert plein de nouveaux efforts à accomplir. Et le tout dans une ambiance joyeuse, amicale et bienveillante. Quelle chance !

Pour conclure, qu’est-ce qui vous paraît essentiel dans une vie d’être humain ?

MR : Se transformer soi-même, pour mieux transformer le monde.

3 amis en quête de sagesse, éditions L’Iconoclaste-Allary, janvier 2016.
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