Tour de France: andarine, Aicar, les nouveaux dopants

Est-il vraiment impossible de gagner le Tour de France sans se doper, comme l’a affirmé Lance Amstrong au journal Le Monde ? Alors que la mythique boucle s’est lancée le 29 juin dans sa 100e édition, le professeur Michel Audran, directeur du laboratoire de biophysique et de bioanalyse à la faculté de pharmacie de Montpellier et spécialiste du dopage, s’inquiète surtout des nouveaux produits dopants. Entretien.

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Lyon Capitale : Alors que le Tour de France s’est lancé, samedi 29 juin, dans sa 100e édition, les noms de nouveaux produits dopants font leur apparition. Faut-il s’en inquiéter ?

Michel Audran : Il y a plusieurs produits à la mode : l’Andarine, l’Aicar, le GW501516. Le premier a des propriétés anabolisantes pour augmenter la masse et la puissance musculaires, les deux autres améliorent les performances. Ils ont été testés pour traiter l’obésité. Ils permettent d’orienter le métabolisme vers la consommation des graisses. Des tests ont été faits sur les souris, et l’on s’est rendu compte que, non seulement, les souris ne grossissaient pas, mais qu’en plus elles couraient deux fois plus vite et deux fois plus longtemps. Aujourd’hui, on est sûr que les sportifs de haut niveau en prennent, car plusieurs cas ont été contrôlés positifs en 2011 et 2012. En Amérique du Sud, un entraîneur vient d’être pris avec des quantités phénoménales d’Aicar et de GW501516.

Ce sont en quelque sorte l’EPO nouvelle génération ?

C’est ça… L’inquiétude, c’est que l’on parvient à contrôler des sportifs positifs à des substances qui n’ont jamais passé le cap des essais cliniques, ou qui ont été retirées à cause de leur toxicité. Les rats soumis aux tests ont développé des tumeurs malignes au foie, à la thyroïde, à l’estomac. Jusqu’à présent, on pouvait se procurer des médicaments dont on connaissait bien les molécules. Aujourd’hui, quand une firme pharmaceutique publie ses résultats sur une nouvelle molécule, celle-ci est immédiatement copiée par des officines chinoises, thaïlandaises… puis mise en vente sur Internet. Le dopage est un business qui rapporte autant que la drogue. La seule chose rassurante sur l’Aicar, c’est que le traitement coûte plusieurs milliers d’euros…

Est-il possible de détecter ces nouveaux produits dopants ?

Le laboratoire de Cologne, très en pointe sur les nouvelles molécules, a publié des méthodes de détection de l’Aicar. Sur le Tour de France, des échantillons devraient d’ailleurs lui être envoyés. Mais l’Aicar pose actuellement un problème d’analyse et de méthode, car cette molécule est naturellement présente dans notre organisme. Il faut mettre en place un seuil. À ma connaissance, celui-ci n’a pas encore été validé par l’Agence mondiale antidopage.

Finalement, le dopage a toujours un temps d’avance sur la lutte antidopage…

On joue souvent au chat et à la souris ! En fait, il nous suffit de regarder les publications scientifiques des laboratoires pour avoir une bonne idée des molécules qui serviront au dopage de demain. Nous savons très bien que les molécules utiles dans le traitement de la dystrophie musculaire, l’amélioration de la masse musculaire chez des sujets cancéreux, ou le traitement de l’anémie intéresseront… Depuis un an, certains laboratoires pharmaceutiques collaborent, en donnant la formule de leurs nouvelles molécules encore à l’étude. Cette démarche va permettre de préparer à l’avance des tests antidopage qui seront prêts au moment où les molécules arriveront sur le marché.

Est-il possible d’affirmer que le Tour de France sera propre cette année ?

Non, on ne peut pas affirmer que le Tour sera clean à 100 %. Il y a à peine un mois, deux coureurs étaient encore contrôlés positifs à l’EPO lors du Giro en Italie ! Mais, quand même, quand on regarde les moyennes de grimper dans les cols pendant le Tour de France, on constate qu’elles sont inférieures aujourd’hui. C’est donc le signe que le dopage est moins actif sur la performance. Tous les coureurs ont subi au moins un prélèvement sanguin avant le départ, et les vainqueurs d’étape seront contrôlés tout au long de la compétition.

La lutte contre le dopage est-elle efficace ?

Sur les 250 000/300 000 contrôles effectués chaque année, seul 1 % de cas sont déclarés positifs. C’est trop peu. Il faut faire plus de contrôles en amont des compétitions et mieux cibler les sportifs, le moment auquel on fait le contrôle et les produits que l’on recherche. Depuis 2011, l’UCI (Union cycliste internationale) a mis en place un “passeport biologique” pour suivre le sportif tout au long de l’année. Il permet de prendre en compte les paramètres hématologiques pour analyser le comportement du sportif. C’est une vraie avancée. Le passeport a été élargi à l’athlétisme, à l’aviron, au ski de fond… Il a permis de condamner une dizaine de cyclistes et une vingtaine d’athlètes.

Au début de l’année 2013, le Sénat a voté une résolution pour la création d’une commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte antidopage (1). Vous avez été auditionné en mars. Pensez-vous que cette commission peut rendre la lutte antidopage plus efficace ?

C’est la première fois qu’un tel travail se fait. C’est très intéressant, car la commission a interrogé une multitude d’acteurs. Les sportifs, les chercheurs, les ministres, les responsables des fédérations… L’objectif est de comprendre les rouages du dopage, son évolution et ses nouvelles pratiques, pour pouvoir lutter plus efficacement.

(1) : Le rapport initialement prévu le 18 juillet sera finalement rendu public le 24 juillet après le Tour de France. Il devrait contenir le nom de plusieurs cyclistes qui ont pris de l’EPO en 1998. Celui de Laurent Jalabert a déjà été révélé le 24 juin.

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