Les nouvelles ambitions d'Alain Carignon

Alain Carignon est bien de retour. Il sort un livre-programme la semaine prochaine (lire les bonnes feuilles) et sera très certainement candidat UMP aux prochaines législatives et municipales de Grenoble. La prison ne l'a pas éteint. Bousculé par nos questions, il ne s'est pas défilé. L'ex jeune prodige des années 80 a conservé sa densité et son charisme. Et surtout sa capacité à produire des idées, du débat.

Ancien maire de Grenoble (1983-1994), ancien ministre de l'Environnement (1984-1986), puis de la Communication (1993-1994), vous avez fait deux ans et demi de prison pour corruption. Dix ans après, vous avez repris la tête de l'UMP Isère et vous souhaitez redevenir député de Grenoble. Après en avoir "bavé" comme peu en politique, pourquoi revenez-vous ?
J'ai souhaité que mon expérience soit utile. C'est la destinée de l'homme public. La société française est réduite à des symboles. Le juge Burgaud est le symbole des dysfonctionnements de la Justice, l'euthanasie c'est Madame Humbert, le dopage dans le sport c'est Virenque... On a l'impression que quand on a réglé leur compte aux personnes, on a réglé le problème. Mais il ressurgit plus tard...

En replongeant dans l'arène, vous risquez d'en prendre "plein la gueule"... Humainement, ce sera dur...
Ça dépend de vous, les médias ! Moi je n'ai jamais eu de problèmes dans la rue. Personne ne m'a jamais insulté ! Jamais ! Au contraire, je reçois beaucoup de témoignages de sympathie. De gens qui me disent : "alors, quand est-ce que vous faites quelque chose ?" D'autres qui arrêtent leur voiture pour me saluer... Avec mon livre, je mets chacun en capacité de juger sur le fond.

Cherchez-vous, comme Alain Juppé à Bordeaux, une réhabilitation par les urnes ?
Oui et non. En droit, mon dossier, c'est du passé et il est purgé mais je ne l'ai pas oublié. Je pose une question politique : est-ce que l'expérience de l'échec doit être utilisée dans la vie publique, ou perdue ? C'est grâce à l'échec que le sportif ou le chercheur progressent. Ma conviction, c'est que de la même manière qu'on n'est pas élu sur un bilan, ce qui importe c'est ce que l'on propose.

Vous avez incarné, avec Michel Noir notamment, la nouvelle droite, les rénovateurs. On dit que vous avez été "flingués" par Chirac. Mais vous semblez l'épargner dans vos discours. Est-ce la condition pour revenir ?
Non. Aujourd'hui, ce serait trop facile de ne pas épargner Jacques Chirac. Je n'analyse pas tout ça dans ces termes de complot, de victimisation. On a tenté de mettre fin au règne de Chirac et de Giscard. On n'a pas réussi, ce n'est pas dramatique. Je constate simplement les faits : nous étions des jeunes provinciaux, libres, rebelles, qui ne dépendaient pas des moyens de Chirac, ce qui pouvait poser problème... Certains d'entre nous sont devenus des symboles faciles. Et ont permis à un certain nombre de personnes, à gauche comme à droite, de ne pas rendre compte du système de financement politique qui existait à ces moments là. A Grenoble, j'étais l'héritier d'un système que les socialistes avaient fait fonctionner pendant 18 ans... Mais c'est comme ça, la réalité échappe parfois à l'image.

Vous faites dans votre livre 10 propositions pour garantir la transparence, la "traçabilité de l'argent public"... Quelle crédibilité avez vous dans ce domaine ?
La vertu dans l'action publique doit se démontrer par l'exemplarité dans l'action. Une faute a été condamnée, j'en tire des conséquences en proposant des mesures pratiques. Et j'interroge : que font et que proposent les autres ? Les vieux démons des financements occultes ont-ils été vraiment purgés ? Pourquoi notre vie publique ne pose-t-elle jamais la question de l'argent dans tout son fonctionnement ?

Avez vous le sentiment que l'économique est aujourd'hui encore plus puissant face au politique que dans les années 80?
Oui. La puissance de feu du pouvoir économique est devenue plus importante, alors que le politique est décrédibilisé. J'apporte ma modeste contribution pour mettre fin à cela. Je constate qu'il n'y en a pas d'autre sur le terrain local ! Les personnes en place veulent seulement faire perdurer des situations, des fonds de commerce.

Raymond Avriller, l'élu Vert a l'origine de vos affaires, dit qu'il ne souhaitait pas que vous alliez en prison, mais que vous remboursiez les 20 millions de francs (3 millions d'euros) que vous avez détournés...
Non, je n'ai pas détourné 20 millions de francs : un journal, des salaires de collaborateurs, des déplacements, des bureaux... Ce n'est pas de l'argent dans ma poche. Ça ne veut pas dire que ce sont des situations à laquelle je n'aurai pas dû mettre fin. Puisque nous étions précurseurs dans tant de domaines, on aurait dû aussi l'être dans celui là.

Avez-vous le sentiment que les pratiques des grands groupes sur les marchés publics ont changé ?
J'ai l'impression qu'ils ont quand même mis en place des nouvelles règles de gouvernance. Mais les règles de fonctionnement des collectivités locales, elles, n'ont pas changé depuis l'époque où j'étais maire et président de Conseil général. Je propose de les changer pour les mettre à l'abri de toute pression. Il faut faire un saut qualitatif. On a pris du retard, par rapport à ce que j'ai vu à l'étranger. Je suis particulièrement inquiet sur les SEM (société d'économie mixte). Il y a un risque de voir les profits privatisés, alors que les investissements sont publics.

De quoi vivez vous aujourd'hui ?
J'ai créé, il y a dix ans, une société de rapprochement des PME françaises avec l'étranger.

Vous avez notamment été condamné pour vos frais de campagne. Quand vous avez repris la tête de l'UMP, il y a trois ans, vos adversaires à l'UMP vous ont accusé de manoeuvres sur le nombre d'adhérents... Savez-vous mener une campagne sans tricher ?
Je trouve cette question blessante. Les personnes qui ont adhéré à l'UMP parce que j'étais candidat existent vraiment. Elles sont encore là. Et depuis 4 ans le nombre d'adhérents a encore grossi. J'ai perdu une douzaine d'élections dans ma vie, j'ai affronté Pierre-Mendès France, j'ai été élu deux fois maire de Grenoble au premier tour, j'ai battu Louis Mermaz à la Présidence du Conseil Général où j'ai été réélu 4 fois... On ne peut pas, sous prétexte qu'une étape de ma vie a été condamné, résumer et ramener tous les actes de ma vie à cet acte. Ce serait une injustice profonde. Ce serait dénier ma qualité d'homme, de citoyen.

Dans votre livre, vous semblez vous placer du côté des faibles, des victimes... Cette façon de vous mettre dans la position "d'une victime parmi les victimes", n'est-ce pas de la démagogie, du populisme ?
On intervient plutôt pour ceux qui en ont besoin, que ceux qui n'en ont pas besoin. Ça me paraît logique. Je suis hostile à la victimisation, en tout cas pour ma catégorie. Ça ne correspond pas à mon tempérament. Simplement, compte tenu de ce que j'ai vécu, ça me rend plus sensible et quand je vois quelqu'un attaqué par le système médiatique, qu'il y a haro sur une personne, d'instinct, je me sens plus proche d'elle que de la horde. Ça me paraît ni démagogique, ni populiste... mais plutôt humain. Si vous acceptez de penser qu'il y a de l'humanité en moi. Ça peut ne pas vous échapper. Sait-on jamais...

De votre expérience personnelle, que pensez vous de l'idée de filmer les gardes à vue ?
Tout ce qui améliore la transparence me paraît utile.

Vous étiez le ministre de l'Environnement en 1986, lors de la catastrophe de Tchernobyl. Est-ce qu'il n'y a pas eu une faute lourde, avec le mensonge sur le nuage qui avait prétendument évité la France ?
Tchernobyl, c'est une catastrophe démocratique. On est dans un système où un certain nombre de personnes croient détenir l'intérêt général, de bonne foi d'ailleurs. C'est une forme de société totalement dépassée. Malheureusement, rien n'a changé depuis.

Mais vous-même, quand vous affirmez à la télévision que les taux de radioactivités étaient très en dessous des normes, c'était un mensonge...
J'ai donné les taux qu'on m'a communiqués. Ce n'est pas moi qui les relève ! Vous êtes d'accord ? Ce qui a manqué, c'est la capacité de contre-expertise. L'opposition devrait bénéficier d'un organisme indépendant. Le citoyen serait alors en capacité de juger.

Il paraît inconcevable que le ministre de l'Environnement ignore la réalité de la situation...
Il sait ce qu'on lui dit !

Dernière question, celle que tout le monde se pose à Grenoble : serez-vous candidat à la mairie ?
L'élection passe après les valeurs, les idées, les convictions. La première étape, c'est, avec ce livre, d'engager le débat avec les Grenoblois. A l'issue, je serais candidat aux législatives si l'UMP me soutient. Pour les municipales, ceux qui sont concernés par cette échéance, doivent d'abord discuter ensemble d'un projet.

"A quoi serviraient les échecs si l'on n'en tire aucune conséquence ?"
Bonnes feuilles. "2011, l'avenir nous appartient" (éditions Numéris) sortira le 18 septembre. Ce n'est pas un livre de confession, mais bien le projet politique d'Alain Carignon, fait de transparence, d'écologie et d'e-démocratie.

"Un nouveau monde"
"Les esprits, les frontières, les peuples aspirent toujours à d'avantage de liberté. Liberté de vivre, de penser, de choisir, d'agir, de travailler, de voyager, d'aimer. C'est ce souffle de liberté qu'il faut entendre et servir. Un monde qui se défait, c'est aussi, voire surtout, un autre qui s'ouvre. Ce nouveau monde me passionne. (...)
De vrais nouveaux enjeux nous attendent. Ils ont pour noms : la nouvelle démocratie (l'e-démocratie), la vérité dans la gouvernance publique, l'expertise dans l'environnement, la gestion des vies multiples... Seuls ces nouveaux enjeux sont dignes de mobiliser nos énergies."

"J'ai connu tous les étages du fonctionnement du pouvoir. De très près. Mon ambition n'est pas de les revisiter. Le sens de mon nouvel engagement, c'est de donner la parole. Pas de la prendre."
"A fleur de peau"
"Mon expérience de vie m'a rendu encore plus sensible, parfois à fleur de peau, au malheur individuel ou collectif. Je ne peux demeurer indifférent face à quelqu'un emporté dans une spirale qui lui échappe. Je me trouve immédiatement proche de l'homme seul, de la famille qui n'est plus écoutée. Je perçois mieux que d'autres combien notre vie publique et notre organisation administrative manquent d'humanité.
Comme une seconde nature, j'identifie avec précision le rouage devenu robot, celui qui rejette le citoyen démuni."

"Ces "vieux démons" des financements politiques occultes ont-ils bien été purgés ? Pourquoi la vraie transparence a-t-elle aussi peu progressé ?"

"Mes questions"
"Ma peine purgée, je suis aujourd'hui en droit et en devoir de poser les questions qui donnent un sens à ma nouvelle vie.
En droit tout d'abord. Non seulement parce que je suis totalement quitte avec la société. Libre dans ma tête. Mais également parce que je ressens une supériorité par rapport aux élus actuels qui ont tous bénéficié des mêmes conditions de vie publique que moi-même et n'en ont pas rendu compte à la société.
Par devoir également. A quoi servirait les échecs si l'on n'en tire aucune conséquence ? (...) Ne va-t-on pas résumer Outreau au Juge Burgaud comme si les dysfonctionnements de la Justice relevaient d'un seul homme et pouvaient être incarnés par lui seul ? N'est-ce pas une manière de faire l'impasse sur les réformes ? (...)
De ce fait, mes questions sont au nombre de quatre. Tout d'abord, ces "vieux démons" des financements politiques occultes ont-ils bien été purgés ? Il est possible d'accepter d'être une victime expiatoire si c'est en compensation d'une vraie rédemption du grand nombre. Mais toléreriez-vous d'être traité ainsi si l'exemplarité n'était qu'un futile rideau de fumée ? (...)
Seconde question, si les financements politiques occultes ou parallèles ont été définitivement proscrits, pourquoi notre vie publique traite-t-elle toujours aussi furtivement la question de l'argent dans l'ensemble de son fonctionnement ? Pourquoi la vraie transparence a-t-elle aussi peu progressé ?
Troisième question, quand considère-t-on que "justice est faite" si l'exécution d'une peine ne suffit pas et à qui doit-on octroyer une légitimité supérieure à la loi pour le déterminer ?
Quatrième question et c'est pour moi la question majeure, quelle est l'exacte valeur d'une vie ? Qui peut admettre qu'elle puisse se réduire à un acte fut-il une faute ?"

"La politique ce n'est pas administrer mais changer le monde".

"Mon ambition"
"Mon objectif n'est pas de prendre le pouvoir comme en 1983 pour assumer les objectifs et incarner leur réalisation. J'ai la conviction au contraire que chacun peut s'emparer de la décision et que la réalisation doit être répartie parmi le plus grand nombre.
J'ai connu tous les étages du fonctionnement du pouvoir. De très près. Mon ambition n'est pas de les revisiter. Parce que le monde qu'ils représentaient est mort. Parce que, de toute façon, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve.
Mon énergie et mon ambition vont au-delà.
Le sens de mon nouvel engagement, c'est de donner la parole. Pas de la prendre.
C'est de partager la décision. Pas de la monopoliser.
C'est de tendre l'oreille et non d'accaparer la voix."

"Ne va-t-on pas résumer Outreau au Juge Burgaud comme si les dysfonctionnements de la Justice relevaient d'un seul homme et pouvaient être incarnés par lui seul ? N'est-ce pas une manière de faire l'impasse sur les réformes ?"

Lyon Capitale Semaine du 12 septembre 2006 - N°583

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