Raffi Krikorian, Président du Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France

Tribune libre : Lyon ne doit pas coopérer avec cet Azerbaïdjan

Tribune libre : Ce vendredi premier mars, Karine Dognin-Sauze, deuxième adjointe au Maire de Lyon et Vice-Présidente de la Métropole, a reçu Rahman Mustafayev, l’ambassadeur d’Azerbaïdjan pour évoquer une possible coopération entre ce pays et la Ville de Lyon.

Passée la stupeur, passé le dégoût même, reste la faute politique qu’il s’agit de dénoncer haut et fort.

L’Azerbaïdjan est en effet l’une des pires dictatures de la planète, un Etat sans foi ni loi et, de surcroît, une véritable menace régionale. Non content de brimer ses propres citoyens comme l’indique une trop longue litanie d’associations de Droit de l’Homme, le régime de Bakou classé 163sur 180 par Reporters Sans Frontières mène une politique de haine raciale à l’encontre de toute personne d’origine arménienne, réelle ou supposée ; à l’encontre même de tout ce qui rappelle l’antique présence arménienne désormais éradiquée de son territoire, comme ce joyau d’architecture médiévale qu’était la nécropole de Joulfa, achevée au bulldozer en 2005.

On se pince donc en lisant que la Ville de Lyon envisage une coopération même culturelle – surtout culturelle – avec un Etat que le très sérieux quotidien The Guardian vient de classer comme responsable du “pire génocide culturel du 21e siècle”, devant les Talibans et l’Etat islamique. On se pince, mais on ne s’étonne guère ; et l’on croit même discerner les manœuvres par lesquelles le Quai d’Orsay s’imagine faire de la diplomatie économique en vendant les valeurs de la France. Car comment expliquer si ce n’est par de telles pressions qu’à Lyon – précisément à Lyon qu’enrichit une communauté arménienne industrieuse, exemplaire et dont l’un des fils présidait il y a peu encore aux destinées de la ville – un édile accepte de s’afficher ainsi avec M. Mustafayev. Si j’exprime une telle suspicion, c’est que cette énième avanie accroit en vérité un passif avec le gouvernement, et ceux qui s’en font le relai. Ce passif a un nom : c’est l’Artsakh.

L’Artsakh (nom originel du Karabagh), c’est cette terre arménienne qui s’est affranchie de haute lutte de la tutelle de l’Azerbaïdjan, dans les années 90, pour s’ériger en république indépendante et pour bâtir un Etat de droit. Contre Bakou qui voudrait en faire un bagne et une “no-go zone”, l’Artsakh favorise les efforts faits par sa population francophile pour se donner une respiration à travers des Chartes d’amitié nouées avec des communes et des collectivités françaises. On peut comprendre que cela déplaise à des puissances d’argent obnubilés par le chimérique pétrole des gisements de la Caspienne. On comprend moins que le Quai d’Orsay et la Place Beauvau abandonnant toute hauteur de vue se fassent le relai servile des intérêts de Bakou. C’est pourtant ce qu’ils font en instruisant les préfets d’engager des recours destinés à casser ces chartes à visée pourtant humanitaire et éducative. Il nous est donc donné de voir la France dénier à 150 000 Artsakhiotes en danger leurs droits les plus fondamentaux pour voler ouvertement au secours d’une dictature aux abois.

Pourtant, lors du dîner du C.C.A.F. ce 5 février à Paris, le Président Macron lui-même a argué de la nécessité pour la France – coprésidente avec les Etats-Unis et la Russie du groupe de Minsk créé en 1992 par l’O.S.C.E., groupe médiateur chargé d’assister les parties en conflit à lui trouver une issue pacifique – de garder une position “impartiale”. Quelle position impartiale y a-t-il à persécuter les maires français ayant signé des chartes avec des villes d’Artsakh et “en même temps” à recevoir, sur les tapis rouges de nos chancelleries et sous les ors de nos hôtels de ville, des diplomates azerbaïdjanais dans leurs bottes ensanglantées ?

Quel crédit, d’ailleurs, accorder à la parole du Chef de l’Etat lorsqu’il instaure le 24 avril comme journée nationale de commémoration du génocide des Arméniens et – “en même temps” – lorsque la France est suspectée de vendre des armes à Ilham Aliyev qui affirme sur le site officiel de la présidence azerbaïdjanaise vouloir éradiquer toute présence arménienne sur ses terres historiques d’Artsakh, voire en Arménie.

Il y a tout juste dix ans, Ramil Safarov – un officier azerbaïdjanais – a décapité à la hache Gourken Markarian – un officier arménien – pendant son sommeil, alors que tous deux participaient à des exercices de l’OTAN en Hongrie. Extradé en Azerbaïdjan, Safarov a été fait héros national par le Président Aliyev. Celui qui, placé entre l’assassin et sa victime, se dit “impartial”, est en vérité un complice du premier. C’est ce que la diplomatie française comme tout un chacun doit comprendre.

Admettons que la RealPolitik réponde aux cupides impératifs économiques et financiers, alors que penser du cas azerbaïdjanais ? Un miroir aux alouettes, à haut pouvoir de corruption, une véritable “diplomatie du caviar” qui, pour rappel, a dépensé 2,5 milliards d’euros entre 2012 et 2014, notamment pour s’attacher des soutiens à l’étranger, y compris au Conseil de l’Europe. C’est ce qu’a décortiqué et dénoncé une enquête menée conjointement par l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) et une dizaine de journaux dont le français Le Monde, l’allemand Süddeutsche Zeitung, le britannique ayant recenséplus de 16 000 transactions opaques menées au bénéfice du régime d’Azerbaïdjan. C’est cette corruption généralisée qu’ont montrée il y a peu les équipes du magazine Cash Investigation. Et c’est ce dont nous ne voulons pas à Lyon.

L’heure des faux-semblants a passé et nous exigeons plus que des mots. Lyon doit renoncer à toute coopération avec cet Azerbaïdjan ; Monsieur Collomb doit s’exprimer clairement en ce sens.

Et Paris doit cesser de jouer avec les Arméniens, et encore plus avec les valeurs de la France. Ce qui est en jeu n’est pas le lointain Caucase ; c’est ce que représente la France, ce qu’elle représente encore et malgré tout oserai-je écrire, aux yeux du monde et à ses propres yeux. Aussi, j’appelle solennellement tous les Lyonnais et tous les élus d’Auvergne-Rhône-Alpes à condamner la politique d’isolement de l’Artsakh, voulue par Bakou, et à exprimer leur soutien politique aux maires de toute tendance ayant signé des Chartes d'amitié avec des villes d’Artsakh.

Si la justice doit être aveugle, nous, pour la Sécurité et la Paix, nous ne le sommes pas.

Lyon, le 7 mars 2019, Raffi H. Krikorian, Président C.C.A.F. CENTRE, Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France

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