Rhône-Alpes, capitale du bio

Un mouton punk, une vache rappeuse : sous le slogan "l'agriculture, des métiers à la mode", le secteur rappelle que la profession a un besoin pressant de jeunesse et que l'image de marque du paysan a changé. Dans un secteur qui a du mal à recruter, Rhône-Alpes, grâce à des lycées agricoles pleins à craquer parvient à remplacer un agriculteur qui part à la retraite sur deux, contre une moyenne nationale d'un sur trois. (Article paru dans l'édition de mars 2009 de Lyon Capitale)

Mis à part la plaine de l'Ain, largement utilisée pour la production de maïs, la région Rhône-Alpes est bien loin des problématiques d'extension à outrance des gentlemen farmers céréaliers d'Île de France. Ici, c'est le royaume des petites et moyennes exploitations, des éleveurs de montagne, des agri-urbains maraîchers qui ceinturent les villes, comme les horticulteurs de Caluire, les cultivateurs de poireau bleu de Solaize, ceux du cardon de Vaulx-en-Velin ou encore du cresson de Saint-Symphorien d'Ozon. Le rééquilibrage de la PAC (Politique Agricole Commune) en faveur des éleveurs et au détriment des céréaliers, annoncé par le ministre Michel Barnier en marge du salon de l'Agriculture, n'est donc pas une mauvaise nouvelle pour la région, qui voyait ses consœurs de Picardie et du Centre aspirer une grande partie de la manne communautaire. "Nous représentons 10% de la population agricole française, mais nous ne touchons que 5% des aides de l'Union européenne" regrette le Président de la Région, Jean-Jack Queyranne.

80% des terres cultivées couvertes par un label qualité
Pour survivre, une seule solution : le positionnement sur un marché de niche. Le bio en tête. C'est l'axe fort de la politique agricole régionale. Ses 3,5% de surface agricole utile exploitée en bio en font la première région française de production en agriculture biologique. Dans la Drôme, le chiffre monte à 10%, un record en France. Mais pour les cultivateurs, l'effort à fournir est énorme. "Produire bio, c'est loin d'être à la portée de tout le monde, prévient Alexandre Duval du syndicat Jeunes Agriculteurs. Il faut investir dans des systèmes mécaniques qui coûtent très cher, leur maniement demande beaucoup plus de temps et d'effort, et il faut attendre trois ans avant d'espérer obtenir la certification". Le succès rencontré l'année dernière par le salon Tech et Bio, dont la deuxième édition se tiendra au mois de septembre dans la Drôme, prouve la demande forte des agriculteurs en terme d'évolution des moyens. "Sur ce sujet la recherche est très faible, les méthodes culturales alternatives ne sont pas enseignées dans les écoles, souligne Eliane Giraud, conseillère régionale à l'agriculture. Le salon permet au moins de mettre un accélérateur à ces technologies". Le lancement d'un cluster a été voté fin janvier pour rapprocher les producteurs agricoles des entreprises agroalimentaires et élargir leurs débouchés. Son titre est encore en réflexion : "le Bien manger ? ". En tout cas il tournera autour de la qualité et de la sécurité alimentaire, car c'est le seul créneau qui permette à la région de se construire une image de marque suffisamment forte pour résister aux concurrents de l'agriculture intensive.

Le bio : rentable ou pas ?
A 42 ans, Marc Fauriel fait partie de ces agriculteurs qui sont plutôt fiers de tirer leur épingle du jeu. Le GAEC qu'il gère avec son frère et ses deux cousins est composé d'une centaine d'hectares d'arbres fruitiers : pêchers, poiriers, pommiers et abricotiers. Tous bios sauf la pêche. "C'est impossible de produire de la pêche bio, nous sommes là dans une impasse technique : les circuits de distribution sont mal structurés, or une pêche, cela s'abîme très vite. Si on ne les traite pas un minimum, les fruits ne tiennent pas : ils pourrissent, ou attrapent des maladies." Par défaut, Marc produit donc sa pêche en label rouge. Et peste contre les directives européennes, auxquelles se superpose la réglementation française, bien plus contraignante que celle de ses voisins pour les produits phytosanitaires (naturels). "Les producteurs phytosanitaires étrangers qui veulent obtenir un agrément et pénétrer le marché français rencontrent un barrage administratif si contraignant que la plupart préfère contourner le marché français". Les premiers à en pâtir sont les cultivateurs français, pour qui faire du bio est plus compliqué et plus cher.

Ne pas sous-traiter la commercialisation
Après le positionnement sur le haut de gamme, le deuxième secret de Marc, comme de plus en plus d'agriculteurs rhône-alpins, c'est de maîtriser lui-même le circuit de commercialisation. Avant, le canton de Loriol, où son GAEC est installé, près de Valence, était un canton 100% fruitier. Aujourd'hui, seuls 20% subsistent, les autres vergers ont disparu. "Nous, nous continuons à exister parce que nous avons développé un lien direct avec le marché. Nos collègues ont trop sous-traité la vente de leurs produits, ils se sont désintéressés du commercial". Il traite avec les grossistes haut de gamme, et avec la grande distribution : Auchan, Carrefour, Casino... les meilleurs ennemis des agriculteurs conventionnels. Faute de pouvoir concurrencer les étrangers sur les premiers prix, Marc parvient quand même à vendre sa pomme bio aux distributeurs à 1,7 euro le kg préemballé. Un très bon prix pour la profession. Derrière, le distributeur multipliera le prix par 1,5 pour dégager sa marge. Face aux Néo-Zélandaises et aux Argentines, la pomme du Pilat a la vie dure. C'est pour cela que les collectivités locales soutiennent les ventes sans intermédiaire. Et de prendre pour exemple l'ouverture en avril d'un carreau de producteurs à Corbas : 35000 m2 ultramodernes, avec espace tri intégré, locaux à température contrôlée et quais de chargement adaptés aux fournisseurs et aux clients. C'est le défi des circuits courts.

Mais de son exploitation, Marc est sceptique : "de la part des pouvoirs publics, nous avons beaucoup de soutien en paroles et bien peu en actes. A commencer par la restauration collective". 50% de repas bios dans les cantines, pas d'OGM dans les assiettes des écoliers lyonnais : la volonté politique est sans ambiguïté. Vraiment ? "Quand j'entends ce discours, cela me fait sourire, remarque-t-il, amer. Les trois-quarts des fruits viennent d'Italie. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux privilégier les circuits de proximité qui offrent eux aussi d'excellents labels de qualité ? Même s'ils n'ont pas pu investir dans le matériel indispensable au bio, tous les agriculteurs de la région sont engagés dans une démarche de traçabilité, de protection du consommateur, de limitation des intrants." Plutôt que d'appliquer à la filière biologique les mêmes contraintes de concurrence que le marché conventionnel, les cultivateurs locaux préfèreraient voir les collectivités privilégier les produits de proximité.

Témoignage - "Jusqu'à 1800 euros de revenus par mois"
Mickaël, 28 ans (photo ci-dessus), producteur de reblochon à Thône, est fier de présenter sa vache nommée Utopie au Salon de l'Agriculture. Il surmonte les difficultés économiques en se diversifiant : "L'été, lorsque les troupeaux sont en alpage, nous accueillons les touristes, nous leur faisons visiter la fromagerie. Nous pouvons monter alors jusqu'à 1800 euros de revenus mensuels". La vente des veaux aux engraisseurs se fait par contre moins rentable : 100 euros pièce, contre 250 il y a 18 mois. "Il n'y a plus qu'un grand engraisseur en Rhône-Alpes, c'est Drevon. Tous les autres ont mis la clé sous la porte. Grâce à cette situation de monopole, c'est lui qui fixe les prix du marché."

L'épargne solidaire rachète les terrains agricoles
60 000 ha d'exploitations disparaissent chaque année en France au profit des résidences secondaires et des programmes de périurbanisation. Vous voulez œuvrer au maintien des activités agricoles ? Rien de plus simple. 2000 particuliers (contre 190 il y a un an !) ont déjà fait le choix de placer leurs petites économies auprès de l'association d'épargne solidaire Terre de Liens. Aider les agriculteurs à résister à la pression foncière qui grignote à vitesse grand V les terres d'élevage et de culture : c'est la mission de cette association créée en 2006, pour collecter l'épargne, racheter les fermes et les relouer à des agriculteurs à un tarif indépendant des folies du marché. L'action Terre de Liens est sans dividende ni rémunération. Un désintéressement qui n'empêche pas cette initiative de rencontrer un écho extrêmement favorable auprès de la population, puisque "la foncière" a capitalisé en quelques mois 4 millions d'euros d'épargne, selon Elsa Vidon, responsable de l'association en Rhône-Alpes.

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