La Laïcité... et moi et moi et moi.

Elle est ce qui me convainc d'intégrer l'espace public sans le perturber de sens privés. Mais elle est pourtant ce qui me permet de réaliser ce sens privé, et de donner à ce sens une dimension reconnue. Elle est enfin ce qui me permet d'être légitime sous condition de ne pas être illégal.

Je suis enfant de l'école publique et d'éducation juive. Mes premiers amis étaient d'origine maghrébine ou turque. J'ai grandi entre l'école laïque, le talmud Torah et les matches de foot dans la cité. Certains accordent plus de crédit à leur foi, alors que d'autres en accordent plus à leur nationalité. Je ne distingue pas ces deux traits de ma personnalité, ils sont tous deux inhérents à ma singularité comme de nombreux autres. Mais le fait qu'ils fassent tous deux parti intégrante de ma personnalité, cela leur donne la possibilité d'être légitimes à l'ensemble de la société. En résumé, la liberté s'arrête là où commence celle des autres. Au même titre que bien d'autres lois, la laïcité me rend libre. Rousseau n'est pas très loin.

Cependant, elle est ce qui est en passe de changer au sein de notre société. Toutes les caractéristiques qui font de moi une minorité perdent ce qualificatif de légitime pour se voir imposer celui de nécessaire.

En effet, au sein de la sphère publique, la diversité prend peu à peu le pas sur la laïcité, et plus globalement, sur légalité. Je ne suis plus considéré comme naturel mais comme faisant partie d'un tout mesuré et calculé. La place que j'ai au sein de la société perd de sa contingence et gagne alors en nécessité : Je deviens proportion. Je ne suis plus pris en compte mais compté à tout prix. Je dois faire parti d'un dessein plus large, celui de la diversité. La fin n'est plus celle où mon humanité, ou plutôt ma citoyenneté était la garante de mes libertés, mais celle-ci vise de plus en plus ma particularité. On abandonne le tout pour se diriger vers un positivisme de la décomposition, la parcellisation.

La diversité n'est en réalité qu'une illusion morale. En effet, derrière cette expression vouée à l'universel se cache en réalité une profonde catégorisation des individus.

Le seul fait de catégoriser des individus n'est pas en soi condamnable. A ce titre, la discrimination positive pratiquée à science-po paris, était elle-même basée sur des catégories qui ne sont légitimes que par l'unique fait d'être déterminées par la condition sociale de l'individu. Il est en effet plus aisé de s'arracher de cette condition que de faire abstraction de sa religion, de sa sexualité ou pire de sa couleur de peau, ou de son ethnie. Les catégories sociales sont effectivement des catégories non figées, dont l'individu peut s'abstraire, alors que la politique sociétale menée depuis quelques années, avec notamment les statistiques ethniques, les tests ADN, et maintenant EDVIGE, tend au contraire à se fonder sur une approche catégorielle fixe qui stigmatise les individus en les renvoyant à des particularités auxquelles ils sont " condamnés ". Alors certes, on recule à chaque fois, mais la volonté d'équilibrer ou de sécuriser la société autour de moyens fondées sur des groupes d'individus est un refrain fréquemment entendu ces derniers temps. L'ADN, et l'ethnie, (peut-être moins la religion, et la sexualité, mais tout de même) qui sont des catégories dont l'individu tire son essence, ont tendance à être de plus en plus aujourd'hui considérées comme moyens de référence dans la gestion de l'espace public. Aujourd'hui encore, lorsqu'un agent de la DDSP du Rhône demande à la Région Rhône-Alpes, de lui communiquer la religion de leurs employés, on se trompe encore à nouveau sur le type de moyens à utiliser.

Ce type de pratique ne serait-il donc pas le résultat de la politique actuellement menée, qui opère une confusion réelle entre nature et culture, ou encore entre nature et données sociologiques ?

Les moyens mis en œuvre s'intéressaient auparavant à la caractéristique sociale, alors qu'aujourd'hui, le caractère sacré du corps propre de l'individu, caractère intrinsèquement lié à son individualité, tend à devenir une référence exploitable. La question qui reste alors à déterminer, est celle de savoir si cette confusion est réelle, ou si la politique actuelle tend à considérer toutes les caractéristiques individuelles, comme des moyens exploitables dans la gestion de l'ordre sociétal.

En résumé, la laïcité m'imposait une certaine humilité, une certaine pudeur, par rapport à la société. Cet espace privé, auparavant préservé, se trouve aujourd'hui bien plus investi au sein de l'espace public. J'impose ainsi ma particularité au sein de ce dernier.

Et Autrui ? Encore un peu moins pris en compte dans la manière dont j'appréhende la société, il s'efface alors encore un peu plus.
Nous disions égalité et laïcité ? Nous devrons bientôt dire diversité et égocentrisme...

Yoann Sportouch, étudiant en philosophie, et Président de l'UEJF Lyon

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