A45 : les opposants prêts pour la bataille finale

- Lyon Capitale republie son dossier consacré à l’A45 paru dans le mensuel n°769 de septembre 2017 - Le Gouvernement doit trancher le sempiternel débat sur la construction d’une nouvelle autoroute entre Lyon et Saint-Étienne. “Impérieuse nécessité” pour les uns, “coûteuse et climaticide” pour les autres, les partisans de l’A45 et ses opposants se mobilisent pour maintenir la pression jusqu’au bout.

Une simple signature lourde de conséquences. Envisagé pendant des années puis abandonné, le projet d’autoroute A45 clive dès lors qu’il est remis sur la table. Élisabeth Borne, la ministre chargée des Transports, vient d’hériter de l’épineux dossier. Elle n’a plus qu’à émarger le contrat avec Alyse, filiale du géant Vinci, qui engagera l’État à débloquer près de 400 millions d’euros pour l’infrastructure. Estimés à 1,2 milliard, les travaux prévoient la construction de 11 viaducs et 4 tunnels d’ici à 2022. L’autoroute de 48 kilomètres, prévue sur deux fois trois voies, est censée alléger le trafic saturé sur l’actuelle A47 et relier Lyon à Saint-Étienne en trente minutes chrono. Un sacré coup de poker pour Vinci, qui finance la construction à hauteur de 355 millions et en obtient la concession pour 55 ans. Avec une prévision de 35 000 utilisateurs par jour et d’un péage à 5 euros, l’entreprise pourrait percevoir plus de 5 milliards d’euros de recettes.

“En requalifiant l’A47, la solution est toute trouvée”

Si Laurent Wauquiez a engagé la région Auvergne-Rhône-Alpes à financer le projet à la même hauteur que Saint-Étienne Métropole et le département de la Loire (131 millions par collectivité), l’A45 ne fait pas consensus au sein de sa famille politique. Vent debout depuis quinze ans sur ce dossier, l’ex-député LR Georges Fenech veut “encore espérer que la raison l’emporte”. “En requalifiant l’A47, la solution est toute trouvée. D’ailleurs, il ne reste plus que le tronçon entre Saint-Chamond et Givors à faire. À l’époque de la COP21, on ne va pas construire une autoroute parallèle à une autre, avec l’une payante et l’autre gratuite. C’est du jamais vu !” déplore-t-il. Avant l’été, l’ex-député du Rhône avait envoyé une missive pour convaincre le ministre de la Transition écologique et solidaire de “défendre des solutions alternatives”. La simple nomination de Nicolas Hulot ayant fait trembler les partisans de l’A45, le maire et président de la métropole de Saint-Étienne, Gaël Perdriau (LR), s’est empressé de réagir à l’affront de Georges Fenech. Par courrier, il expose lui aussi au ministre ses arguments, en faveur de l’A45. Il ne manque pas d’envoyer une lettre similaire à celui dont il fut directeur de campagne dans la région lors de la primaire de la droite : Bruno Lemaire, actuel ministre de l’Économie. Et d’y mettre en avant “les importantes retombées économiques ayant pour effet direct de soutenir l’emploi”. Dans la torpeur du mois d’août, l’élu est également allé chercher l’oreille du Premier ministre, Édouard Philippe, au sujet de l’A45. Selon la métropole de Saint-Étienne, les travaux pourraient engendrer 2 500 emplois à temps plein, dont 750 seraient locaux.

Développer autrement

Alors que le Conseil d’État a rendu un avis favorable sur le dossier, la coordination contre l’A45 a montré ses muscles début juillet. Dans la commune de Saint-Maurice-sur-Dargoire, 8 000 opposants se sont rassemblés pour un “week-end festif ” lors duquel 120 tracteurs ont dessiné un immense “Non à l’A45”. Selon le collectif, 375 exploitations sont touchées par le tracé de l’autoroute, ce qui représente des centaines d’hectares de terre cultivable. “Nous avons des terres nourricières pour les deux métropoles et des fermes qui ont un potentiel de développement énorme. Nous pourrions concrètement arriver à faire ce que d’autres métropoles ont réussi à faire à l’international, à savoir relocaliser l’agriculture près des grandes villes pour nourrir leurs populations. Nos modèles de fermes sont tout à fait viables économiquement, ce qui est important à souligner alors qu’un réel marasme frappe l’agriculture”, plaide Stéphane Rouvès.

Membre d’un collectif paysan qui a rejoint la “coordo”, il cultive du blé en agriculture biologique sur 15 hectares et en assure la transformation près du village de Saint-Joseph, amené à être pris en sandwich entre l’A45 et l’A47. Outre des pâtes et de la farine, Stéphane Rouvès produit chaque semaine près de 200 kilos de pain. “Nous sommes prêts à nous retrousser les manches pour dynamiser notre territoire : innover dans l’installation des jeunes et consolider les fermes existantes qui croulent sous la demande ! On n’aspire qu’à une chose : embaucher et se mettre en association pour développer l’activité”, assure-t-il. Si les opposants à l’A45 sont d’accord pour trouver “des solutions à moyen terme pour la circulation dans la vallée”, le débat va au-delà du simple transport, pour tendre vers la relocalisation des emplois et de l’habitat. “De mon point de vue, nous nous dirigeons vers des mégalopoles complètement voraces, qui seront invivables pour leurs habitants et qui vont aspirer toutes les populations alentour, créant d’énormes problèmes de transport, craint Stéphane Rouvès. Nous assistons déjà à cette évolution : nous sommes sur des villages-dortoirs dans lesquels les habitants ne s’impliquent plus, car ils sont saturés par le boulot et les trajets qui vont avec.”

Entre ZAD et “réplique douloureuse”

Afin de maintenir la pression la veille du week-end dédié à la contestation du projet, une lettre ouverte sur “l’urgence de réaliser l’A45” a été envoyée à Emmanuel Macron. Quelques semaines plus tard, dix-neuf acteurs économiques (Medef locaux, chambres de commerce et d’industrie, acteurs du BTP) se sont regroupés au sein d’un “collectif pour l’A45”. Le sujet sera “une des priorités de la rentrée” à la chambre de commerce et d’industrie de Lyon/Saint-Étienne/Roanne. Mais, selon l’ancien député PS de la Loire – partisan de l’A45 – Jean-Louis Gagnaire, l’aval de la ministre des Transports pour lancer les travaux est “irréversible compte tenu des enjeux financiers” : “Une convention a été signée entre les financeurs, donc le premier qui saute du train risque une plainte des autres. Et là, ça peut coûter très cher. Vinci hésiterait beaucoup avant d’aller attaquer l’État, car ils ont des intérêts multiples, mais vous imaginez Laurent Wauquiez laisser passer ça ?” interroge-t-il. “Et si, par extraordinaire, il était décidé de ne pas faire cette autoroute, il y aurait aussi une réplique ligérienne qui serait, à mon avis, très douloureuse. Politiquement, dans la Loire, ça ferait un tabac”, assure l’ancien député stéphanois. Lui-même se dit prêt à apporter son concours “à ceux qui bloqueraient l’entrée dudépartementdelaLoiresurl’A47”, le cas échéant.

Si les agriculteurs de la coordination contre l’A45 n’ont pas envie d’être “dans une bataille de positions qui serait complètement absurde”, l’éventualité d’accueillir une zone à défendre (ZAD) pour empêcher les travaux a clairement été évoquée au sein de la coordination. “S’il faut bloquer, on bloquera”, soutient Stéphane Rouvès. “Dans certaines communes du Rhône, notamment du côté de Mornant, il y en a qui souhaitent une ZAD, moi je leur souhaite good luck !” ironise Jean-Louis Gagnaire. “Comme ce sont des communes très résidentielles, ils devraient réfléchir deux secondes avant de faire venir jouer des zadistes”, ajoute-t-il. L’ancien député rappelle que le préfet de la région, Henri-Michel Comet, a débarqué à Lyon après un passage mouvementé à Nantes, où il a fait face à la contestation de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. “Courant mai, Bernard Cazeneuve était venu à Saint-Étienne et il y avait eu un déjeuner en préfecture, raconte-t-il. J’avais d’emblée évoqué cette question, en disant qu’on ne devait pas laisser dégénérer des situations et qu’il fallait prendre le problème dès le départ. Le ministère de l’Intérieur est très au fait là-dessus”, affirme Jean-Louis Gagnaire. Du côté du ministère des Transports, le silence est de marbre. Si Élisabeth Borne a déclaré être face à “une impasse financière” qui nécessite de “mettre en pause les grands projets d’infrastructures”, rien n’a été précisé à propos de l’A45, dont le financement est pourtant déjà acté.

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