“Toutes les références à la nation ont sauté dans les quartiers”

Militant associatif au quartier des Minguettes à Vénissieux, où est née l’idée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983, Mokrane Kessi est le président de l’association “France des banlieues”. Ancien conseiller municipal socialiste de Vénissieux, il a rejoint l’UMP en 2015, estimant que les socialistes avaient trahi les électeurs des banlieues. Il soutient aujourd’hui Alain Juppé au sein de l’équipe “Cohésion nationale” et va lancer un tour de France des quartiers qui commencera en septembre. Entretien.

Lyon Capitale : Qu’est-ce que l’association “France des banlieues” ?

Mokrane Kessi : C’est une association pour faire de la citoyenneté, à partir du constat que les quartiers s’abstiennent. Aux élections régionales, l’abstention s’élevait à 70%. Il y a eu un engouement en 2012 pour Hollande, à 80% à Vénissieux et Vaulx-en-Velin. Ce n’était pas un espoir, c’était plutôt dirigé contre Sarkozy. Mais maintenant, les gens n’attendent plus rien, c’est la résignation. Rien n’a été fait : emploi, sécurité, logement. Les gens des quartiers sont devenus les oubliés, par la gauche et par la droite.

“Le passé colonial n’est pas réglé, tout comme la guerre d’Algérie”

Si le combat n’est plus politique, sera-t-il violent ?

Ce que je constate, en ce moment, avec la gauche, c’est que nous sommes en zone de sécurité prioritaire et que rien n’a changé. La délinquance n’a pas baissé, il y a une ambiance particulière depuis quelques années, après 2012. Il y a une déception avec Hollande, les quartiers ont été trahis par lui alors qu’ils se sont mobilisés pour lui. Les gens ne militent plus, car ils pensent qu’on ne peut plus changer les choses par le politique. Quand les promesses ne sont pas tenues, il y a de la violence, une "radicalisation des esprits". Il y a cette impression de ne pas appartenir à ce pays. Tout ce qu’on a fait dans les années 80, cette marche, ça n’a pas servi à grand-chose.

Pourquoi les jeunes dans les banlieues ne se sentent-ils plus français ?

Toutes les références à la nation ont sauté dans les quartiers. Le rapport à la nation se fait déjà à l’école, en apprenant qu’on est français, qu’on fait partie de l’histoire de France. Le passé colonial n’est pas réglé, tout comme la guerre d’Algérie. Dans notre ADN, on a le fait qu’on a massacré les nôtres. Mais ce qui m’inquiète, c’est que ça ne s’est pas effacé pour la troisième et la quatrième générations.

Aujourd’hui, les gamins sont d’une violence extrême, l’autorité n’est plus là, les enseignants sont dégoûtés. Il n’y a pas de projet de vie, pas de destin commun. Et en plus, nos écoles sont délabrées alors qu’on est en ZEP, zone d’éducation prioritaire. Nos jeunes se sentent étrangers. On les appelle les binationaux, on avait l’habitude d’entendre cela de notre pays d’origine. On était enfant d’immigrés au départ, issus de la diversité, issus de l’immigration… On est français, on n’a pas d'autre pays. Et ensuite, il y a eu la déchéance de nationalité… par la gauche ! On ne construit rien de cette façon. Il y a des choses dans le quotidien, par exemple le délit de faciès, on me le dit souvent. Cela participe au dégoût de l’État, au sentiment d’injustice.

“Depuis 1983, la gauche a acheté la paix sociale par peur que ça pète”

Daech profite-t-il de cette frustration ?

Il n’y a rien de mieux pour Daech que le sentiment d’humiliation et de ressentiment dans les banlieues. La radicalisation n’est pas un phénomène nouveau, contrairement à ce que l’on peut penser. Des gens sont partis en Bosnie, en Afghanistan. Mais ça empire. Toutes ces frustrations s’expriment ailleurs. Certains passent à l’acte, comme Mohammed Merah. Daech vient faire son marché dans nos quartiers.

Quelle différence entre la gauche et la droite ?

Chez Les Républicains comme au PS, on nous ferme les portes. Il y a 14 circonscriptions dans le Rhône, aucun Français d’origine maghrébine. Cette jeunesse a besoin de s’identifier en des gens. La gauche, pour des raisons électorales, a fait beaucoup de mal. Je le dis, et je viens de la gauche. Depuis 1983, la gauche a acheté la paix sociale par peur que ça pète. Elle nous a mis dans l’assistanat, au lieu de nous élever, elle nous a ramenés vers le bas.

Pour la droite, j’ai le souvenir de Laurent Wauquiez qui me dit en pleine réunion que j’ai raison, mais qu’ils n’ont pas le temps d’aller dans les quartiers, qu’il faut aller là où les gens votent pour eux, et surtout ne pas aller dans les quartiers où ils voteraient contre eux. Alors j’ai quitté sa campagne. Et je dis aussi attention aux populismes, à l’extrême droite. S’ils veulent l’affrontement, ils vont l’avoir. Il faut revenir à la raison. Beaucoup de gens ici votent FN, y compris des gens issus de l’immigration. Il y a aussi une radicalisation politique, pour faire du mal. Certains votent FN pour aller à l’affrontement. Il y a des identitaires des deux côtés qui veulent que ça pète.

“Les imams doivent sortir des mosquées, aller au contact des gens, faire des explications de textes”

Et si rien ne se passe ? Allons-nous vers un affrontement ?

On ne peut pas laisser tomber ces quartiers ; ça peut finir en affrontement entre musulmans et Blancs. Le patron de la DGSI l’a dit, il a évoqué une guerre civile ; pas avec les radicalisés, mais les musulmans de France, qui iront à l’affrontement. Il faut qu’on aille à l’apaisement.

Certains souhaitent une guerre civile. Les Identitaires veulent l’affrontement ; le mieux, c’est de rassembler les musulmans autour des mosquées intelligentes ou de lieux comme l’IFCM [Institut français de civilisation musulmane, NdlR] ; certains sont montés au créneau*, mais c’est une aberration ; c’est un institut culturel, pas une mosquée.

* Pour en savoir plus sur cette polémique, lire ici (NdlR).

On ne peut pas d’un côté dire qu’il faut arrêter la radicalisation, le terrorisme, et ne pas donner la chance à ceux qui veulent un islam intelligent, ouvert, un islam de France. C’est aux musulmans de financer leurs lieux de culte, pas à l’Arabie saoudite qui diffuse le salafisme. Continuer à se faire financer pas des pays étrangers en terre de France est une aberration. Le courant salafiste est en train de gagner contre la majorité des musulmans qui veulent un islam de paix.

Le vivre-ensemble est possible, et a déjà existé. Je suis né là, j’ai toujours vécu avec des Italiens, des Espagnols, mes copains étaient juifs ; alors, si ça existait avant, pourquoi pas aujourd’hui ? Mais on va vers des ghettos violents, repliés sur eux-mêmes.

Comment mener le combat face à la radicalisation ? A-t-il déjà commencé ?

Non, c’est à se demander si on veut vraiment mener le combat. Par exemple, il y avait une mosquée salafiste dans ce quartier, dix ans qu'elle était là. C’était au départ une cabane de jardin, transformée en mosquée. On ne savait pas qui était dedans, ce qui se faisait. Nous, les gens du quartier, on était écartés, on voyait des gens arriver de partout sauf du quartier. Pendant dix ans, on ne dit rien, puis on profite de l’état d’urgence et on dit que c’est une mosquée salafiste ; pendant ce temps, il y a eu des dégâts dans la tête des gens !

Les imams doivent sortir des mosquées, aller au contact des gens, faire des explications de textes. Si tout le monde lit le texte comme il l’entend, il y a des aberrations. Aujourd’hui, l’islam est réduit à des obligations : porter le voile, ne pas manger de porc… L’islam, ce n’est pas cela, c’est une philosophie, une transcendance ; c’est l’islam de mon père. Pas l’interdiction et la violence.

“J’en veux énormément aux municipalités, comme la nôtre à Vénissieux, qui à des fins de clientélisme électorales ont été complices de cette dérive dans nos territoires”

Le chômage de masse dans les banlieues est-il la seule cause de la radicalisation ?

Non, c’est trop facile. Ce n’est pas juste l'emploi, même si cela y contribue. Il y a un problème d’identité. L’État doit envoyer un signal très fort aux quartiers, dire aux jeunes qu’ils sont français, que la France les aime, et ça ira beaucoup mieux.

Pensez-vous qu’il y ait une menace importante d’attentats dans la région lyonnaise ?

La ville de Lyon est très sérieusement menacée, n'oublions pas que cette violence a commencé avec Khaled Kelkal. Déjà à cette époque nous disions nos inquiétudes à propos de l'infiltration des Afghans dans nos quartiers. La jeunesse de nos quartiers est très inquiète, car elle est la première victime de cette folie. Encore une fois, on va nous montrer du doigt. De plus, j'en veux énormément aux municipalités comme la nôtre qui, à des fins de clientélisme électoral, ont été complices de cette dérive dans nos territoires. Aujourd'hui le résultat est là. Nous avons des solutions, mais il faudra nous entendre et faire avec nous. Sinon, nous irons vers des jours très sombres pour notre pays.

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