Patrick Timsit, à l’affiche des Célestins avec une adaptation du “Livre de ma mère” d’Albert Cohen © Tim Douet / Pascal Victor (montage LC)
Patrick Timsit, à l’affiche des Célestins avec une adaptation du “Livre de ma mère” d’Albert Cohen © Tim Douet / Pascal Victor (montage LC)

“Je ne veux pas réciter” – Entretien avec Patrick Timsit

Depuis plus de dix-huit mois, il parcourt la France avec un spectacle adapté du “Livre de ma mère” d’Albert Cohen. Écrit en 1954, un an après la mort de la mère de l’auteur, le texte est un hommage bouleversant et universel à toutes les mères. Patrick Timsit le propose seul sur scène, fin janvier au théâtre des Célestins. 

Lyon Capitale : Pourquoi avoir choisi ce texte poignant d’Albert Cohen, loin du registre comique dans lequel le public vous connaît ?

Patrick Timsit : J’ai lu ce texte il y a trente ans. C’est un livre dont je me suis immédiatement senti proche, dès les premières lignes : “Chaque homme est seul et nos douleurs sont une île déserte (…) Mais souris pour escroquer ton désespoir, souris pour continuer de vivre.” J’ai néanmoins mis trente ans pour me sentir capable de jouer à visage découvert ce texte qui m’était si intime. Mes one-man shows parlent aussi de cette intimité, mais elle est cachée derrière les bons mots et l’humour.

Cohen dit qu’il a écrit ce texte pour “venger” sa mère, d’un fils (lui-même) qui n’avait pas toujours été à la hauteur de son amour. Y a-t-il de la culpabilité vis-à-vis de la vôtre ?

Il y a sûrement de ça… La preuve, j’appelle tous les soirs ma mère ! En fait, tous les enfants s’impatientent contre leur mère, mais cette “tyrannie”, c’est la mère de Cohen qui la suscite, qui la désire. Elle donne elle-même les “codes” à son fils. Elle lui dit : “Abuse de moi, use de moi et sers-toi de moi, je suis là.” En parlant d’elle, elle emploie des mots comme “servante”, “chien fidèle”… C’est un texte sur l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant.

Vous dites que c’est surtout un livre pour faire le deuil…

Aucun enfant ne sait que sa mère est mortelle. Au début du livre, sa mère, qui est déjà morte, est vivante à ses yeux. À la fin, elle l’est définitivement. Il prend conscience que rien ne lui rendra sa mère. Car Cohen fait le tour de la question. Il engueule Dieu, dit qu’il ne croit plus en lui, et passe par tout ce que l’on peut imaginer comme émotions. Comment accepter l’inacceptable ? Comment se préparer alors qu’on n’est jamais prêt ? C’est un cri de douleur. C’est aussi pour ça que j’ai parfois osé crier ce texte sur scène.

Justement, vous avez fait le choix d’adapter ce texte avec une approche plus directe, plus vivante, alors qu’il est très littéraire. Au point qu’on se demande qui parle : Albert Cohen, Patrick Timsit ?

Je raconte une histoire, je ne veux pas réciter. C’est un spectacle avec un style direct où j’ai essayé d’être dans une forme de non-jeu, quitte à prendre le risque qu’il n’y ait aucune émotion qui sorte. Je ne pouvais pas me contenter d’une lecture, où j’aurais été angoissé à l’idée de faire des erreurs de liaison ! J’ai coupé tous les fils pour me libérer du texte et oser le malmener. C’est le meilleur service que j’aie pu rendre au livre. Les ayants droit de Cohen m’ont écrit une lettre pour me dire qu’ils étaient heureux que je ne sois pas resté dans une forme de contemplation de son œuvre.

Patrick Timsit dans “Le Livre de ma mère” © Pascal Victor
Patrick Timsit dans “Le Livre de ma mère” © Pascal Victor

Vous collaborez avec le metteur en scène Dominique Pitoiset. Que pouvez-vous nous dire du dispositif scénique ?

Avec Dominique Pitoiset, qui vient du théâtre public, nous venons de deux mondes très différents. Mais je voulais absolument travailler avec lui, alors que nous ne nous connaissions pas. On s’est enfermés dans un monastère à Venise pendant un mois. C’était une expérience extraordinaire. On est allés à la Biennale de Venise, on a vu des vidéos, c’est ce qui nous a donné l’idée de ces projections sur scène, où je suis seul devant un pupitre, avec un écran qui projette des vieilles images super-huit, dont celles de ma propre enfance. Et le spectacle commence avec une sorte de making-of, sur la manière dont je vais faire ce spectacle.


“On voulait tant “en être”, de cette France désirée, qui ne nous désirait pas”


Vous êtes arrivé en France avec vos parents, pendant la guerre d’Algérie. Ce déracinement est omniprésent dans l’œuvre de Cohen, enfant grec juif émigré. C’est quelque chose qui fait écho à votre histoire ?

Lui arrive de Corfou, moi je suis né à Alger. On était des immigrés isolés, sans contacts extérieurs. On voulait tant “en être”, de cette France désirée, qui ne nous désirait pas. Ce livre traite aussi de l’immigration, de l’accueil qu’on réserve aux gens qui fuient leur pays.

Un rapport avec le fait que vous reversiez une partie de la recette parisienne (à l’Opéra-Comique) au Samu social ?

Je fais aussi ce spectacle pour interpeller sur les conditions d’accueil des immigrés. Le Samu social est en première ligne sur cette question. En France, les gens ont peur. La peur est la nourriture du racisme et de la guerre. Mais, à force de fermer nos bras, il n’y a plus rien de mal qui nous arrive, mais plus rien de bien non plus…


“Les Célestins, c’est un rêve !”


Depuis un an, vous enchaînez les spectacles dans toute la France. Le public est-il au rendez-vous ?

Il y a eu près de 200 représentations depuis un an et demi. Les gens sont émus. Les silences remplacent les rires que provoquent habituellement mes spectacles. On n’entend pas une mouche voler. C’est une tournée épuisante, mais une incroyable rencontre avec le public.

Patrick Timsit, au théâtre des Célestins © Tim Douet
Patrick Timsit, au théâtre des Célestins © Tim Douet

Vous jouez en janvier au théâtre des Célestins pour la toute première fois…

Les Célestins, c’est un rêve ! Il y a des années, j’étais en face, à l’Hôtel des Artistes. J’ai rencontré Jean Rochefort qui jouait à Lyon, qui me demande comment se passaient mes nuits. J’étais encore jeune à l’époque et lui se plaignait de ne plus avoir droit aux excès, plus de fêtes, plus d’alcool… Il rêvait de mon ivresse et moi je rêvais de sa vie de comédien.

Vous avez également tourné à Lyon un thriller, Tout contre elle, qui sera bientôt diffusé sur Arte…

Je joue un industriel lyonnais qui se lance en politique, dont la femme est harcelée par une maître-chanteuse interprétée par la formidable Sophie Quinton – un personnage angélique qui s’avère être démoniaque. C’est un excellent thriller, dont j’ai vu quelques extraits. Les gens d’Arte qui ont produit le film en sont tombés littéralement amoureux !

Vous passez pas mal de temps à Lyon. Quel est votre rapport avec cette ville ? On vous dit très amateur de bonnes tables…

J’ai toujours eu des attaches extrêmement intimes avec des gens à Lyon… Mon ami le restaurateur Jean-Louis Manoa, par exemple, du bouchon Mercière, qui est resté dans l’authenticité, et plus récemment Christophe Muller, chef du restaurant Bocuse. Je me souviens que mon tout premier cachet, je l’avais dépensé chez Paul Bocuse, et que j’avais été alors extrêmement déçu. Pour moi, un restaurant gastronomique devait être un peu chichiteux, alors que tout l’art de Bocuse c’est de faire une cuisine familiale avec les meilleurs produits. Depuis, j’ai fait tout le tour des grands restaurants gastronomiques, mais c’est chez Bocuse que je redécouvre toute la science de la cuisine, à travers un simple poulet rôti. C’est un peu comme mon spectacle sur Le Livre de ma mère. Une forme de non-jeu, de la simplicité pour faire des choses authentiques.


Albert Cohen / Le Livre de ma mère –Du 26 janvier au 2 février au théâtre des Célestins


[Article publié dans Lyon Capitale n°784 – Janvier 2019]

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