Raymond Aubrac : "On ne radote pas, vous comprenez ce qu’on vous raconte ?"

Quelques jours après Lise London (lire ici), c’est une autre grande figure de la Résistance qui a disparu hier, mardi 10 avril 2012, à l’âge de 97 ans : Raymond Aubrac. Cofondateur du mouvement "Libération Sud", il était le dernier survivant des chefs de la Résistance réunis et arrêtés en juin 1943 à Caluire, avec un certain Jean Moulin.

Raymond Aubrac était resté un citoyen très actif, se rendant pendant des années dans les collèges et les lycées en compagnie de sa femme, Lucie Aubrac, pour témoigner et raconter la Résistance. "C’était au collège, se souvient Razik Brikh, aujourd’hui journaliste à Lyon Capitale. Jusqu’à ce jour, la quasi-totalité des projets extra-scolaires avaient fini en eau de boudin. Mais notre professeur d’histoire y croyait dur comme fer et avait insisté pour que nous participions à ce projet. Rencontrer deux résistants : Lucie et Raymond Aubrac. Durant un mois, les deux résistants sont venus régulièrement dans notre collège et nous ont fait part de ce qu’ils avaient vécu durant la Seconde Guerre mondiale. Raymond était très soucieux de savoir si nous étions intéressés par ses interventions. Il répétait souvent : 'On ne radote pas, vous comprenez ce qu’on vous raconte ?'. Il fallait voir le silence et le respect qui se dégageaient de notre salle de classe ! Raymond Aubrac, un vendredi matin, nous avait dit : 'Vous êtes une classe riche car vous venez tous d’horizons différents. N’oubliez jamais qu’il ne faut pas céder à la tentation de la haine de l’autre. Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie'. Encore aujourd’hui, il m’arrive souvent de repenser à cette rencontre inoubliable".

Ils sont nombreux en France, comme Razik, à se souvenir. La disparition de ces deux personnages marquants de la Résistance, à quelques jours d’intervalle, a également valeur de symbole (de pied de nez ?), à un peu plus d’une semaine du premier tour de l’élection présidentielle. Car, en effet, d’où vient ce sentiment de vide absolu ? Le message des résistants a-t-il vraiment été entendu et les partis autoproclamés "de gouvernement" sont-ils à la hauteur ? Poser ces questions, c’est hélas déjà y répondre un peu. Et la comparaison, qui malgré nous s’impose, est cruelle. Alors, bien sûr, chaque camp ira de son communiqué larmoyant, citera la Résistance, rendra hommage à ses héros exemplaires, à leur courage et à leur abnégation. Et immédiatement après, se livrera à son jeu favori, celui des petites phrases. "Babar en son royaume, Capitaine Pédalo, idiot utile, produit de contrebande, valet sans morale… ". N’en jetez plus ! Nos pauvres cerveaux sont saturés par vos querelles de cour d’école ! Le débat du premier tour ? Mais quel débat ? Les deux favoris des sondages - l’un directement, l’autre par défaut- ont obtenu de France Télévisions les assurances qu’ils souhaitaient : pas d’échanges directs avec leurs compétiteurs, mais seulement un "grand oral" ce soir et jeudi sur France 2, avec David Pujadas en maître des cérémonies. Ce n’est pas nouveau et nous nous en étions plusieurs fois ému dans les colonnes de Lyon Capitale (lire ici).

C’est que leurs arguments, si précieux et tellement tranchants, ne sauraient être discutés par des candidats de "seconde zone". "De la confiture à des cochons". Ahurissant ! Les questions que se posent les Français ? Il faut faire confiance aux animateurs du petit écran, que le monde entier nous envie ! Grand oral en forme de prévision : "Monsieur Bayrou, êtes-vous un homme seul ? On prononce Dupont-Aignan ou Dupont-Taignan ? Madame Joly, votre chute en sortant du cinéma était-elle un acte manqué ? Monsieur Cheminade, vous comptez fonder une secte sur la planète Mars ? Nathalie Arthaud, avez-vous fait oublier Arlette ?"… Passionnant. On en frémit d’avance. Et on se demande, qui, des animateurs ou des politiciens, seront les plus médiocres… Vieille histoire de la poule et de l’œuf.

Pourtant, ils sont nombreux, comme Razik, à se souvenir. "On ne radote pas, vous comprenez ce qu’on vous raconte ?"… Lise London, Lucie et Raymond Aubrac, nous sommes sincèrement désolés. Vous avez légué de l’or, les alchimistes du nombril qui vous ont succédé en ont fait du plomb. Et nous, deux générations plus tard, que ferons-nous ? Pour l’heure, nous errons, un peu désabusés, à la façon des personnages du film d’Éric Rochant, Un monde sans pitié : "Si au moins on pouvait en vouloir à quelqu’un, martèle une voix-off en ouverture du film, sur une musique grave. Si au moins on pouvait croire qu’on sert à quelque chose, qu’on va quelque part. Mais qu’est-ce qu’on nous a laissé ? Les lendemains qui chantent ? Le grand marché européen ? On n’a que dalle, on n’a plus qu’à être amoureux comme des cons. Et ça c’est pire que tout", Un monde sans pitié. Jeunes gens, vous comprenez ce qu’on vous raconte ? Alors bougez-vous !

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