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© Gilles Michallet

Ce testing qui révèle la discrimination massive au logement

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La Ville de Villeurbanne, pionnière, a lancé un testing immobilier. Les résultats sont accablants : dans 57% des cas, le candidat "d'origine française" (selon les termes de l'étude) a été favorisé par rapport au candidat "d'origine maghrébine" dans l'accès à la location.

L'expérience lancée par Villeurbanne est unique. Pour la première fois en France, une ville conduit un testing, en collaboration avec la Halde et la FNAIM, représentant les professionnels de l'immobilier. Une opération remarquable qui se veut pédagogique et qui ne donnera lieu à aucune poursuite judiciaire. Elle révèle une discrimination massive à l'accès à un logement locatif.

L'enquête a été réalisée de la fin novembre 2010 à mi-avril 2011. Parmi les biens testés, 50 étaient proposés par un particulier, 50 autres par des professionnels. Le cabinet ISM Corum, chargé d'exécuter l'enquête, n'a finalement retenu qu'un seul critère discriminant : l'origine maghrébine ou arabe. Pour le reste, rien ne différenciait les faux candidats "d'origine maghrébine" de ceux "d'origine française" : des revenus quasi-identiques s'élevant à plus de trois fois le loyer, des contrats de travail en CDI avec une ancienneté équivalente et des employeurs solides, des garants rassurants, une même situation de famille (mariés sans enfant), des styles vestimentaires, une expression corporelle et verbale "sans trait de caractère distinctif". Seule variait leur couleur de peau. Et cela changeait tout.

Les professionnels pas mieux que les particuliers

Les résultats sont accablants. Dans 57% des tests, le candidat "d'origine française" a été favorisé par rapport au candidat "d'origine maghrébine", contre 39% des cas où l'égalité de traitement a été respectée. Ce haut taux de discrimination est semblable à une étude menée conjointement à Lille et Paris en 2008 où il apparaissait que 50% des professionnels avaient des pratiques illégales qui auraient dû les conduire devant des tribunaux. Dans l'étude villeurbannaise, le score est identique selon que l'interlocuteur est un particulier ou un professionnel. C'est une surprise tant on imaginait les agences ou les régies être au fait de la législation qui sanctionne de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende toute personne coupable de discrimination. "Nous ne sommes que les reflets de demandes de propriétaires. C'est la photographie d'un pays", argue le représentant de la FNAIM. "Ils sont entre le marteau et l'enclume, sous la pression de leurs clients", avance aussi Christian Vermeulin, adjoint au maire en charge du logement.

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C'est l'accès à la constitution du dossier qui coince

Deux étapes ont été distinguées : l'accès à la visite de l'appartement, et l'accès au dépôt de dossier. Il est donc possible qu'une discrimination se serait aussi établie en aval, après les dépôts des pièces exigées, dans le choix final. Mais pour ce faire, il aurait fallu produire de faux documents - une pratique illégale. Les résultats montrent que la sélection au faciès s'établit surtout lors de la 2e étape. La première, l'accès à la visite du bien, offre une égalité de traitement dans 74% des cas pour les agences, dans 83% des cas pour les particuliers. Le racisme du nom n'est donc pas si fort que prévu. En revanche, la possibilité de constituer un dossier constitue un moment critique : les Français d'origine sont favorisés dans 50% des tests par les agences, et dans 48 % des tests par les particuliers. "Une fois le logement visité, la question de la sélection d'un locataire est plus concrète", souligne le rapport.

Au final, le candidat maghrébin n'a reçu un accès favorable à la constitution d'un dossier que dans 43% des cas, contre 96% pour le candidat blanc. "Aux Gratte Ciel, les candidats d'origine maghrébine n'ont accédé au dépôt de dossier sans désavantage qu'une fois sur dix, à République, quatre fois sur dix et à GrandClément cinq fois sur dix. Le risque de discrimination semble augmenter avec l'attractivité des secteurs résidentiels", note l'étude. "C'est la discrimination de l'entre soi, dans les beaux quartiers", s'exclame Marisa Laï-Puiatti, déléguée régionale de la Halde.

La candidate maghrébine moins discriminée que le candidat maghrébin

Il est intéressant de noter que la discrimination sexuelle est aussi à l'oeuvre, mais s'applique uniquement pour le couple maghrébin. Le Français d'origine et la Française d'origine ont autant de réussite l'un que l'autre dans le processus locatif. En revanche, la femme maghrébine est moins discriminée que l'homme maghrébin. Elle peut déposer un dossier dans 62% des cas auprès des agences, 67% des cas auprès des particuliers. Ces messieurs ne seront en capacité que dans 27% des offres auprès des agences et 44% des offres auprès des particuliers.

"Nous avions une définition assez stricte de la discrimination, précise Eric Cediey, directeur d'ISM Corum. Pour nous, un acte discrimination se réduit pas au fait de refuser un logement à l'un et pas à l'autre". C'est ainsi qu'une discrimination "light" est souvent à l'oeuvre qui se traduit par des obstacles supérieurs mis sur le parcours locatif du candidat maghrébin. Les professionnels vont s'arranger pour faire visiter l'appartement d'abord au couple blanc, lui permettant par exemple de pré-réserver le bien par le dépôt d'un chèque de caution au terme de la visite. Une possibilité qui n'est pas offerte aux autres. Les particuliers vont consentir une baisse de loyers aux Français d'origine pour les inciter à signer. Aux autres, ils vont souligner qu'ils recherchent un locataire "calme", "propre" ou "respectueux", sur un ton pas vraiment engageant. Les pièces à déposer vont être signifiées avant même la visite au couple blanc, leur faisant gagner du temps sur les autres.

"Un déni énorme"

Au vu de ces agissements aussi massifs, Marisa Laï-Puiatti réalise que "le déni de discrimination est énorme". Un déni qui frappe autant les auteurs que les victimes de ces pratiques. Car parmi tous les dossiers instruits par la Halde, seuls 5% concernaient le logement, contre 50% pour l'emploi. "Tout reste à faire", en conclut-elle. Evidemment ce travail de pédagogie concerne les particuliers. "Pour certains il va de soi qu'ils peuvent choisir librement celui qui va occuper leur bien. Ils tombent des nues quand on leur dit que c'est un délit passible de prison", signale Marisa Laï-Puiatti. Quant aux professionnels, la FNAIM compte organiser très prochainement des groupes de travail.

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