TCL métro rails
© Tim Douet

Sécurité des transports : TCL, la fuite en avant

ENQUÊTE – Plus récent que la flotte SNCF, le réseau de transports en commun lyonnais commence pourtant à grincer. Entre une volonté de réduire les coûts de maintenance et le choix d’ouvrir de nouvelles lignes, les TCL semblent épouser le modèle, pas toujours vertueux, de la SNCF des années 1980.

Le métro lyonnais © Tim Douet

© Tim Douet

La flotte des véhicules des TCL, à l’exception des trams, n’est plus très pimpante. Keolys, l’exploitant du réseau par délégation de service public du Sytral, rechignerait selon les syndicats et l’opposition à mettre les moyens face à un parc vieillissant. En cause, le contrat de délégation de service public, qui contraindrait l’exploitant privé à rogner sur les dépenses pour conserver sa rentabilité financière. Derrière les raisons comptables qui poussent Keolys à réduire une masse salariale conséquente pour gagner en productivité, des orientations politiques peuvent expliquer l’état parfois défectueux de la flotte des TCL.

Depuis qu’il préside le Grand Lyon et délivre les grandes orientations du Sytral, Gérard Collomb a inauguré deux tramways, un prolongement de lignes de métro et de nombreuses ouvertures de ligne de bus. “Les effectifs augmentent, mais moins vite que le nombre d’ouvertures de lignes”, regrette un conducteur de bus.

“En matière de maintenance, nous pourrions faire mieux. J’ai l’impression qu’une pression s’exerce au détriment de l’entretien de l’existant et au profit de la création de nouvelles lignes et du développement du réseau”, estime Béatrice Vessiller, conseillère générale (EELV) de Villeurbanne et administratrice du Sytral.

Une politique qui n’est pas sans rappeler le précédent de la SNCF, qui avait investi la majorité de son budget dans le développement de nouvelles lignes avant d’être rattrapée par les signaux d’alerte de son réseau secondaire. Si la sécurité des usagers n’est pas remise en cause, les défauts de maintenance leur occasionnent en revanche de nombreux désagréments. Tour d’horizon des conséquences de cette fuite en avant.

Ligne D : une panne technique et une explication humaine

La ligne la plus fréquentée du métro lyonnais est aussi la cause de bien des migraines pour les usagers comme pour le Sytral. Depuis quelques mois, elle se trouve confrontée à une panne récurrente aux conséquences chronophages pour le voyageur. “Nous avons des difficultés informatiques et techniques. Sur les écrans informatiques, nous avons une rame qui disparaît sur un tronçon bien précis et, pour la récupérer, il faut la retrouver en envoyant un agent sur le terrain. Pendant ce temps, le reste de la ligne doit s’arrêter, pour des raisons de sécurité. Pour remettre en route le réseau, chaque rame doit être inspectée, or le nombre d’agents de station a été significativement réduit depuis quelques années. Avant, il y en avait un par arrêt de métro, aujourd’hui, chaque agent doit gérer trois à quatre stations. À la base de la panne, nous avons un problème technique, qui devient ensuite humain. C’est ce qui explique que les voyageurs passent autant de temps à attendre à l’intérieur des rames lors des incidents techniques. Avant, le problème se réglait en 30 minutes, aujourd’hui cela peut prendre des heures”, explique un syndicaliste des TCL.

Un de ses collègues prévoit même une situation qui pourrait se compliquer avec l’arrivée du métro B à Oullins. “Sur les lignes A et B, trois postes d’agent de station ont été supprimés sur les dix-huit derniers mois. Sur la ligne B, l’agent de Jean-Macé devra surveiller la ligne jusqu’à Oullins”, regrette un représentant du personnel. Le volume de voyageurs rend aussi les pannes plus problématiques.

“Nous sommes à flux tendu, en particulier sur les lignes A et B où aux heures de pointe toutes les rames sont utilisées. Nous n’avons alors pas de solution en cas de problème technique sur l’une d’elles”, soupire Philippe Demaie, de la CGT.

Un traitement curatif pour les bus

“Il y a quelques années, quand je sortais le bus du garage le matin, tous les voyants étaient éteints. Aujourd’hui, j’ai régulièrement des voyants orange qui clignotent. Quand nous partons, il nous manque des sécurités, pas pour le voyageur, mais plus pour le conducteur ou le bus en lui-même. Les caméras de surveillance sont souvent en panne, tout comme de l’électronique embarquée. La carrosserie des bus est réparée moins régulièrement. Il nous arrive de rouler pendant deux ou trois jours avec des voyants orange qui clignotent, ce qui n’arrivait jamais auparavant. Il manque du personnel d’entretien dans les ateliers et Keolys continue de réduire les coûts. C’est pour cela qu’il y a de plus en plus de petites pannes sur le réseau”, raconte Denis Faye, délégué syndical de l’Unsa.

Les syndicats dénoncent le choix de Keolys de diminuer par deux le personnel dédié à la maintenance de la flotte dans les ateliers. “Nous souffrons d’un manque de moyens pour avoir un entretien régulier des véhicules. Les gars n’ont plus le temps que pour faire du curatif, d’où la multiplication des pannes. Nous conduisons les bus jusqu’au bout de l’usure”, déplore Jacky Albrand, chauffeur de bus et syndicaliste CGT.

“Les périodes de révision du matériel sont allongées pour les bus comme pour le métro. Par exemple, on peut passer d’une maintenance tous les 60 000 kilomètres à un contrôle tous les 70 000 kilomètres. Pour changer les pneus, on attend le plus possible. C’est peut-être pour cela qu’un pneu du métro a éclaté il y a quelques semaines. Nous sommes régulièrement au bord de la rupture”, se désole un représentant du personnel des TCL.

À une flotte parfois mal en point s’ajoute le problème des bus de substitution qui ont diminué. “Lors de la renégociation du contrat de délégation de service public entre le Sytral et Keolys, le taux de réserve est tombé de 12 % à 8 %. Or nous avons de plus en plus de bus qui restent au garage en raison de pannes”, précise Denis Faye. Tous les jours, la flotte TCL s’élance donc sans filet de sécurité. “Aux heures de pointe, il n’est pas rare qu’il n’y ait plus un bus ou un trolley dans les dépôts, décrit un chauffeur de bus. Dans son contrat, Keolys est astreint à des pénalités si le premier car ne part pas à l’heure. S’il n’y en a pas de disponible, on a pris l’habitude de faire partir le second. J’ai vu des chauffeurs qui attendent leur véhicule le matin au dépôt.” Conséquence : des usagers qui attendent leur bus, qui ne passera pas, et devront patienter jusqu’au suivant.

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Le tram épargné

La ligne T4 du tramway lyonnais, lors de ses essais le 2 sept. 2013  © Tim Douet

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Plus récent et donc moins confronté aux outrages du temps, le tramway est épargné par les coupes dans le budget maintenance. Il est aussi en cours de développement et la moitié des lignes ont moins de cinq ans. Proche du train, il n’a cependant pas les mêmes contraintes en terme d’entretien. “Les voies sont en béton et non en ballast comme sur le réseau ferré, ce qui est moins onéreux à l’usage. Les vitesses sont aussi moins élevées. Le tram est une technologie qu’on maîtrise bien”, souligne Bernard Soulage, secrétaire national du PS en charge des transports.

Les points de blocage avec le développement du tramway dans l’agglomération lyonnaise sont finalement moins techniques que politiques. Le Sytral, qui décide avec le Grand Lyon des créations de lignes, a en effet choisi de mettre l’accent sur le développement du réseau à l’est, un choix qui permet de desservir l’OL Land par le nord et par le sud avec le prolongement du T2 à Eurexpo.

C3 : un matériel “peu fiable” en attendant le tram

Ces choix se sont faits au détriment d’autres lignes, notamment de celle du C3 où un tram pourrait se révéler plus efficient que l’actuel système de trolley. Le collectif C3ctrop, qui réunit les usagers de cette ligne à problèmes, s’estime d’ailleurs victime du choix de Gérard Collomb d’emmener le tramway jusqu’aux portes de l’OL Land. Les conducteurs de bus expliquent eux les difficultés de cette ligne par une inadéquation entre les trolleys choisis et le parcours : “Sur ces trolleys, nous avons beaucoup d’électronique embarquée et, de Vaulx-en-Velin jusqu’au cours Lafayette, nous avons quelques portions de route défoncée qui déconnecte l’électronique. Du coup, le matériel est peu fiable. Nous pouvons accepter que le matériel soit défaillant, mais la situation devient intenable quand il n’y a pas assez de personnel dans les ateliers pour réparer et pas assez de bus de remplacement. Dans ce contexte, pas sûr que l’ouverture d’une ligne jusqu’à l’OL Land soit une situation judicieuse.”

Pour l’arrivée d’un tram, vue comme la solution à une situation inextricable depuis des mois, il faudra patienter, peut-être jusqu’au prochain mandat. D’ici là, le prolongement du tram à Décines promet aussi son lot d’écueils. Dépendant de la circulation puisqu’il coupe les voies routières, le tramway lyonnais va découvrir de nouvelles périodes de pointe avec les soirs de match à Décines. “Entre les embouteillages et une possible panne d’un tram, le grain de sable pourrait vite enrayer la machine”, prévient un syndicaliste. Le tram devra aussi cohabiter avec le tram-train qui relie la Part-Dieu à l’aéroport Saint-Exupéry. Les études d’accessibilité du Grand Stade prévoient le passage d’un tramway toutes les minutes après le coup de sifflet final. Une mécanique de précision qui pourrait imploser en cas d’incident technique touchant les voies ou les rames.

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Cet article est extrait d’une enquête parue dans Lyon Capitale n°725 (sept. 2013)

Lire aussi : TCL, TER... Voyage-t-on en sécurité en Rhône-Alpes ? et SNCF Rhône-Alpes : des rails malades

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