Jean Moulin
Jean Moulin

21 juin 1943 : Jean Moulin trahi et arrêté

Le 21 juin 1943, après avoir réussi à unir les mouvements de la résistance française, Jean Moulin est arrêté à Caluire. Emprisonné et torturé à Lyon, il ne flanchera jamais, gardant le silence et se refusant à trahir ses compagnons de combat. À l’occasion de la commémoration de cette date aujourd’hui à Lyon, en présence du Premier ministre, retour sur un destin exceptionnel, celui d’un homme d’État, d’un artiste et d’un résistant.

Jean Moulin à Montpellier, en 1939 ou 1940.

Montpellier, 1939 ou 1940*

Jean Moulin voit le jour le 20 juin 1899 à Béziers, dans une famille profondément républicaine ; son père, franc-maçon, est au Parti radical et s’est engagé en faveur de Dreyfus. À l’école, le jeune Jean Moulin ne fait pas partie des bons élèves, mais il excelle en dessin. Autodidacte dans son art, il s’amuse en caricaturant ses professeurs. Cependant, le poids de son éducation le poussera vers la fonction publique.
En 1917, il entame des études de droit à Montpellier. Parallèlement, son père, conseiller général de l’Hérault, fait jouer son réseau pour le faire rentrer à la préfecture du département.

Serviteur de l’État

En 1918, Jean Moulin est mobilisé et se prépare à monter au front, mais l’armistice est signé avant qu’il ne soit déployé sur le terrain. De retour à la préfecture, son talent naturel lui permet de devenir chef de cabinet adjoint en 1920. Il se distingue alors des jeunes de son époque et débute ainsi un parcours remarquable au sein de plusieurs préfectures. En 1922, il devient chef de cabinet du préfet de Savoie, puis est nommé en 1925 sous-préfet d’Albertville, fonction qu’il occupera, à partir de 1930, à Châteaulin (Finistère), puis à Thonon-les-Bains (1933) et Montargis (Loiret, 1934). Entre-temps, il devient chef de cabinet adjoint du ministre des Affaires étrangères, Pierre Cot. Une personnalité qu’il retrouvera en 1933 et 1936 en étant par deux fois chef de cabinet au ministère de l’Air. Pourtant, malgré cette réussite exemplaire pour son âge, Jean Moulin mène une autre vie, plus discrète.

Dès les années 1920, il tient à faire la distinction entre sa carrière dans l’Administration et ses passions pour le dessin et la peinture, qui ne l’ont jamais quitté. Il prend ainsi le pseudonyme de Romanin pour continuer de publier ses œuvres. Dans une Europe en pleine tourmente, il est témoin de la montée du fascisme et couche sur le papier des dessins témoignant de ses propres inquiétudes. Rejetant toute forme de totalitarisme, le combat des républicains en Espagne le marque. Progressivement, Jean Moulin comprend ce qui se trame et compte bien servir son pays.

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* La légende veut que cette photographie ait été prise après la tentative de suicide de Jean Moulin, alors que la France est déjà occupée. Sur ce cliché, le résistant cacherait sa cicatrice au cou avec son écharpe. Tout cela est faux. Cette photo a en fait été réalisée entre 1939 et 1940, à Montpellier. La guerre changera radicalement le physique de Jean Moulin. En 1943, il a perdu beaucoup de poids, ses traits sont tirés par la fatigue, et son apparence générale s’est progressivement éloignée de celle de la photographie que tout le monde connaît aujourd’hui.

Résistant dans l’âme

En 1937, à l’âge de 38 ans, il est nommé préfet de l’Aveyron, le plus jeune de France. Malgré tout, son regard reste tourné vers l’Allemagne, de plus en plus menaçante. Il ne peut rester inactif et devient réserviste pour l’armée de l’air. En 1939, préfet d’Eure-et-Loir, il songe à abandonner son poste pour aller combattre lorsque la guerre éclate. Las, il est déclaré inapte au combat par un premier médecin, à cause de sa vue. Loin de renoncer, il exige une contre-visite, mais son destin de préfet le rattrape : le ministre de l’Intérieur veut le voir dans son département, pour protéger les populations. Jean Moulin renonce au combat sur le front, mais va en mener un autre, bien plus important.

En juin 1940, la France est envahie par l’Allemagne nazie. Jean Moulin ne peut rester impuissant face à cette barbarie qu’il avait pressentie. Il va accomplir son premier acte de résistance, son “premier combat”. Les autorités allemandes lui demandent de signer un document accusant à tort des tirailleurs sénégalais d’avoir massacré des civils. Jean Moulin refuse catégoriquement et est envoyé en prison. Là, il fait une tentative de suicide, dont il réchappe miraculeusement. Vichy lui enlève sa préfecture le 2 novembre 1940. Résistant au plus profond de son âme, Jean Moulin va combattre pour ses idéaux et prend un nouveau pseudonyme, Romanin l’artiste devient Rex l’insoumis.

Rapidement, en 1941, il comprend qu’il doit se rendre à Londres. Dans une France en partie occupée, il ne peut opter pour une approche directe. Il décide donc de gagner l’Espagne puis le Portugal avant d’arriver en Angleterre. Là, il rencontre enfin le général de Gaulle, qui comprend rapidement que Jean Moulin pourra être un allié précieux. Il en fait son représentant personnel en France et lui confie une mission de la plus haute importance : unifier la résistance. Un but difficile dans un contexte où les différents courants qui la composent sont parfois à l’opposé. Pour réussir, Jean Moulin dispose d’une arme de taille, le nerf de la guerre : l’argent. Doté de plus d’un million et demi de francs, il doit repartir en France pour mener à bien sa mission. Rex devient Max, le leader.

Sa mission : unifier la Résistance

Jean Moulin est parachuté le 1er janvier 1942 près de Salon-de-Provence. Il rejoint bientôt Lyon, qui sera l’une de ses bases principales. Rapidement, il doit faire face à deux fortes personnalités de la Résistance : d’un côté, Emmanuel d’Astier de la Vigerie, du mouvement Libération-Sud ; de l’autre, Henri Frenay, de Combat. Jean Moulin va utiliser tout son talent et sa diplomatie pour faire travailler ensemble les ennemis d’autrefois. Il a besoin d’une couverture pour circuler librement en France sans attirer les soupçons. Il devient alors marchand d’art, avec sa propre galerie, à Nice : Chez Romanin. La boucle est bouclée, le rôle n’en est pas un. Jean Moulin exerce une fonction à laquelle il était préparé depuis qu’il sait dessiner.

Le 27 novembre 1942, à Collonges-au-Mont-d’Or, il fonde le comité de coordination de la zone sud. Deux mois plus tard, le 26 janvier 1943, c’est au tour du Mouvement uni de la résistance (Mur) de voir le jour, sous sa direction. Le Mur réunit en son sein Emmanuel d’Astier de la Vigerie, nommé aux affaires politiques, Jean-Pierre Lévy (de Franc-Tireur) et Henri Frenay aux affaires militaires.

Malgré l’union, les tensions reviennent régulièrement autour de la question du pouvoir de Londres, de la légitimité de de Gaulle ou bien des statuts de l’armée secrète. Pour ne rien arranger, la résistance communiste décide de s’unir avec les Francs-tireurs et partisans (FTP) au sein du Front national. Jean Moulin se rend de nouveau à Londres en février 1943 ; à son retour, il fonde à Paris le Conseil national de la résistance, le 27 mai 1943. Les mouvements sont enfin unis, mais l’ennemi veille à déstabiliser la jeune structure.

Consciente que des personnalités fortes œuvrent pour libérer la France, la Gestapo redouble d’efforts pour arrêter les leaders. À Lyon, Klaus Barbie commence son règne de terreur. Le “boucher de Lyon” est résolu à trouver le dénommé Max, qui dirige la résistance française de l’intérieur, mais il ignore sa véritable identité. L’arrestation du général Delestraint, chef de l’armée secrète, à Paris le 9 juin 1943 va forcer la résistance à prendre des risques.

21 juin 1943 : le jour où tout a basculé

Place Carnot ()

Il faut trouver un remplaçant à Delestraint. Une réunion est prévue à Caluire le 21 juin 1943 à 14 heures, avec Albert Lacaze, Bruno Larat, André Lassagne, Raymond Aubrac et Jean Moulin. La journée de Jean Moulin débute par plusieurs rencontres. Il retrouve ainsi Henri Aubry, rue Paul-Beret. Après quelques mots échangés, notamment sur le parachutage d’armes, ils se quittent sans qu’Aubry avoue qu’il ne viendra pas seul à la réunion de l’après-midi. Il sera en effet accompagné de René Hardy, un participant de plus pour une rencontre déjà sensible et risquée. Toute personne supplémentaire fait courir un risque aux autres. Par la suite, Jean Moulin retrouve Raymond Aubrac place Carnot. Ensemble, ils se dirigent vers le funiculaire pour se rendre à Caluire. Ils doivent retrouver le colonel Schwarzfeld, mais ce dernier est en retard d’une demi-heure. La tension monte d’un cran.

Les trois résistants arrivent avec 40 minutes de retard chez le docteur Dugoujon. La domestique, pensant qu’il s’agit de patients, leur demande d’entrer dans la salle d’attente. Albert Lacaze, Bruno Larat, René Hardy et André Lassagne les attendent à l’étage. Des voitures s’arrêtent autour de la villa, doucement ; des individus commencent à entourer le cabinet. Les résistants ont été trahis. Le docteur Dugoujon raccompagne l’une de ses patientes. Il ouvre la porte. La Gestapo prend d’assaut le bâtiment. Tout le monde est menotté, patients compris, sauf René Hardy qui parvient à prendre la fuite.

Martyr

Les interrogatoires musclés commencent. Les coups pleuvent, la Gestapo veut savoir qui elle a attrapé et faire le tri entre patients et résistants. Les Allemands savent que Max est là, mais qui est-il ? Klaus Barbie va livrer toute sa sauvagerie pour le découvrir. Lucie Aubrac devait dîner avec son mari et Moulin : ils ne viendront jamais. Les prisonniers sont transférés au siège de la Gestapo, à l’école de santé militaire, où ils sont torturés par Barbie et ses hommes. Ils vivent le martyr, des simulacres d’exécution sont organisés pour les faire parler. Henri Aubry craque et désigne Jean Moulin comme Max, sans pour autant donner son vrai nom.

Stoïque, ce dernier résiste et refuse de répondre. Il est transféré à la prison de Montluc, dans la cellule 130, dans un état catastrophique. Refusant d’admettre qu’il l’a torturé, Klaus Barbie dira plus tard que Jean Moulin a fait plusieurs tentatives de suicide, se jetant de lui-même dans les escaliers. La résistance envoie un télégramme à Londres : Max a été arrêté. Certains sont prêts à le faire évader. Des repérages sont effectués, mais l’opération ne peut être menée à son terme. La torture continue pour Jean Moulin. Le 3 ou le 4 juillet, il est transféré à Paris, où il est encore torturé. Il meurt le 8 juillet 1943, dans le train censé l’emmener en Allemagne. Insoumis, il n’a jamais parlé, mais, même torturé, il trouva le courage de dessiner une dernière fois. Jean Moulin est mort comme il a toujours vécu : libre, républicain et artiste.

Qui a trahi Jean Moulin ?

La question revient régulièrement : comment la Gestapo a-t-elle appris l’existence de la réunion de Caluire ? Qui a trahi Jean Moulin et ses compagnons ? René Hardy a tout du suspect idéal. Quelques jours plus tôt, il est arrêté puis relâché par la Gestapo. Il se rend à la réunion alors qu’il n’est pas convié et parvient à s’échapper alors qu’il est le seul à ne pas être menotté. Dans un rapport de 1943, les autorités allemandes le présentent comme “retourné”. Néanmoins, René Hardy a été acquitté par deux fois par la justice française.

En 1984, avant le procès de Klaus Barbie, Jacques Vergès affirme que Raymond Aubrac était un agent double et qu’il a trahi Jean Moulin ; il est condamné en diffamation. Barbie reprend l’argument lors de son procès en 1987, et en 1991 Jacques Vergès dévoile un document de 63 pages, signé par Barbie, censé prouver le rôle d’Aubrac.

Le 3 avril 1997, Albin Michel publie Aubrac – Lyon 1943, du journaliste lyonnais Gérard Chauvy, qui relance le débat. Son éditeur et lui-même sont condamnés pour diffamation. Soixante-dix ans après l’arrestation de Caluire, personne ne sait ce qui s’est réellement passé. La version officielle ne sera sans doute jamais connue.

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Mémorial Jean Moulin, 2 place Jean-Gouailhardou (Caluire).

Prison de Montluc, 4 rue Jeanne-Hachette (Lyon 3e).

CHRD, 14 avenue Berthelot (Lyon 7e).

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Ce dossier est paru dans le n° 720 du mensuel Lyon Capitale (mars 2013).

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