Paracétamol : faut-il limiter la dose, comme aux Etats-Unis?

Doliprane®, Efferalgan®, Dafalgan®... le paracétamol fait partie de notre quotidien. Des dosages de 500 mg et 1 g sont disponibles en pharmacie, sans ordonnance. En revanche, aux Etats-Unis, la FDA, entité régulatrice du marché du médicament, vient de limiter la dose à 325 mg par prise. Car un surdosage de paracétamol peut endommager, voire détruire le foie. Plus d'une centaine de procès sont en cours outre-Atlantique. Faut-il limiter la dose en France ? Deux spécialistes ont des avis divergents.

Plus de 24 milliards de comprimés vendus chaque année : outre-Atlantique, le paracétamol fait recette. Notamment sous le nom commercial Tylenol, un peu l'équivalent américain de notre Doliprane®. Or le Tylenol® est accusé par quelque 120 patients (ou par leurs proches, pour ceux qui n'ont pas survécu) d'être à l'origine de graves problèmes hépatiques. Les victimes et les ayants droit de victimes décédées se sont regroupés pour intenter un procès devant une cour fédérale de Pennsylvanie (www.tylenollawsuitclaims.com/ - en anglais). Tous les ans, le surdosage de paracétamol tue des centaines de personnes dans le monde, par accident... ou par suicide (http://articles.mercola.com/sites/articles/archive/2011/12/15/little-too-much-tylenol-can-be-deadly.aspx – en anglais).

« Le paracétamol est connu depuis plus d'un siècle, c'est un médicament presque aussi ancien que l'aspirine, déclare le Pr Nicholas Moore (département hospitalo-universitaire de pharmacologie de Bordeaux). On sait depuis toujours qu'un surdosage de paracétamol peut entraîner des défaillances hépatiques aiguës pouvant rendre une greffe nécessaire, voire entraîner la mort. A mes yeux, le danger principal réside dans l'utilisation chronique : des personnes qui prennent 2 ou 3 g par jour pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. Cela rend sans doute le foie plus sensible, et aggrave les hépatites. Autre risque important : la co-toxicité, quand le paracétamol est conjugué à d'autres molécules, comme la codéine, cela entraîne un risque additionnel. »

« Tonneau de paracétamol » contre dose placebo

Pour autant, le Pr Moore ne juge pas nécessaire de suivre l'exemple de la FDA. « Aux Etats-Unis, un flacon de paracétamol contient de 500 à 1000 comprimés. C'est ce genre de conditionnement qui est déraisonnable : on vous vend quasiment un tonneau de paracétamol ! Or le paracétamol n'est pas un antalgique très puissant, il marche bien sur les petites douleurs. Pour moi, limiter la dose à 325 mg serait un non-sens, car pour un adulte, il n'est actif qu'à partir de 500 mg. Du coup, si on passe à 325 mg, les gens risquent d'en prendre deux, ce qui augmente donc le risque de surdosage ! » Le Pr Moore parle carrément de « dose placebo » pour 325 mg, surtout pour les personnes en surpoids. Et souligne qu'en Grande-Bretagne, la limitation des contenants a fait baisser le nombre de suicides et de transplantations hépatiques liés au surdosage.

Le Pr Dominique Larrey, chef du service d'hépatologie du CHU de Montpellier, partage l'analyse de son confrère sur la cotoxicité et le risque chronique, mais il serait en faveur d'une limitation du dosage. « Je vois un intérêt pédagogique à limiter la dose par prise, parce que dans la moitié des cas, les conséquences graves sont liées à une méconnaissance de ce médicament, et ne sont donc pas des tentatives de suicide, résume-t-il. A mes yeux, il faudrait aussi mieux expliquer le bon usage du paracétamol, faire comprendre que ce n'est pas un bonbon. » Contrairement à son confrère, le Pr Larrey estime que l'effet antalgique commence à petites doses. Et il alerte sur un autre danger : « Souvent, les gens ne réalisent pas qu'ils prennent deux fois du paracétamol : ils absorbent le générique, et puis du Dafalgan®, éventuellement la version codéinée. Et les doses s'accumulent... En plus, il existe toujours des facteurs de sensibilité individuelle, comme pour tous les médicaments. » Dans les grands classiques du 'mésusage' qui aboutissent à l'hôpital, le Pr Larrey cite les personnes qui ont passé un week-end très arrosé. « Elles se retrouvent avec la tête comme un tambour, et prennent 2-3 g quotidiens pendant plusieurs jours, décrit-il. L'association paracétamol-alcool est malheureusement courante. » Et il cite un autre facteur de risque moins connu, mais relativement fréquent chez les personnes âgées : la dénutrition.

Le paracétamol, cet inconnu

Point d'accord entre les deux professeurs : on ne connaît finalement pas bien le paracétamol, cette vedette de nos armoires à pharmacie. « Il n'a pas fait l'objet d'études rigoureuses comme les molécules actuelles, souligne le Pr Larrey. Certes, pour un adulte en bonne santé, une dose de 3 à 4 g par jour, répartie sur 24 h, ne présente normalement pas de danger. Mais on explore les autres facteurs qui pourraient entraîner un sur-risque. » D'autant que des études récentes semblent indiquer un risque pour les enfants à naître, alors qu'on considérait auparavant que le paracétamol était le seul médicament que les femmes enceintes pouvaient prendre sans danger pour leur enfant... (lire également notre article)

« Le fond du problème, c'est qu'aucun antalgique nouveau n'est apparu depuis 40 ans et l'arrivée de l'ibuprofène, conclut le Pr Moore. Le Glifanan® marchait bien, mais on a découvert qu'il pouvait provoquer des chocs anaphylactiques (Ndlr : réaction allergique très violente pouvant entraîner le décès). La clométacine (Dupéran®) cause des hépatites. La noramidopyrine, aussi appelée dipyrone, peut déclencher des agranulocytoses (anomalie du sang). Les laboratoires ne veulent pas s'engager sur le terrain des nouveaux antalgiques : trop de risques potentiels, et déjà des produits peu chers disponibles. Et surtout, dans le fond, on connaît mal les mécanismes de la douleur. »

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