David Kimelfeld, président de la Métropole de Lyon entre 2017 et 2020.

Kimelfeld : "la métropole de Lyon pourrait monter au capital d'entreprises"

Après les deux mois de confinement, le président de la métropole de Lyon, David Kimelfeld, fait un nouveau bilan. Interviewé par Lyon Capitale, il revient sur les futurs enjeux en matière de social, d'économie et de transition environnementale. L'élu tente aujourd'hui un large rassemblement politique et citoyen face à la crise engendrée par le coronavirus COVID-19.

Lyon Capitale : quel bilan faites-vous du confinement ?

David Kimelfeld : La première chose qui est importante, c’est le maintien du service public. On a fait sorte que la métropole continue de fonctionner, notamment les services urbains, la collecte des déchets, le nettoyage, le maintien de l’aide sociale. De manière plus large, sans tous les gens pour ramasser les ordures, nettoyer, livrer, travailler dans les commerces, les besoins vitaux ne marcheraient pas. La mise en valeur de toutes ces personnes est importante. Elles ont assuré l’approvisionnement et le confort minimum de tous les habitants.

J’ai aussi été marqué par la capacité de création de nos citoyens. Certains n’ont pas attendu les collectivités, notamment pour l’approvisionnement. Il y a eu beaucoup d’initiatives d’habitants, des solidarités qui sont apparues de manière spontanée. Mon père habite à la Croix-Rousse, dès le premier jour, il y avait des mots dans l’ascenseur pour proposer de l’aide.

Des regrets ?

Il y a eu une vraie difficulté de l’État à s’appuyer tout de suite sur les élus locaux. J’ai été marqué par cette gouvernance parisienne très descendante. Depuis cela a changé, cela a été remis en question. Dans la métropole de Lyon, nous avons été plutôt bien lotis. Le préfet Pascal Mailhos et l’Agence régionale de Santé ont travaillé avec nous très rapidement.

À l’échelon national, il y a eu également une vraie difficulté à comprendre la stratégie, notamment sur les masques et les tests. Au début, on nous a dit "pas de masque, pas de test". Maintenant, tout le monde doit avoir un masque et être testé si nécessaire. Cela a troublé les gens dans la confiance qu’il pouvait avoir en la parole publique. Je ne jette la pierre à personne, car c’est une situation très difficile.

On parle de plus en plus de "bombe à retardement" pour les difficultés économiques, comment préparer des situations de crises qui peuvent apparaître dans plusieurs mois ?

Il y a eu l’immédiat à gérer. Nous avons fait un effort financier de 100 millions d’euros pour aider rapidement. Le plus dur est à venir avec l’apparition de problèmes de solvabilité pour les entreprises, de fermetures, de hausse du chômage. Nous sommes en train de travailler sur un plan de reprise "post confinement" pour amortir le choc avec quelques lignes directrices qui se dessinent déjà.

Un des secteurs qui va le plus souffrir reste celui de la restauration et les cafés. On va prolonger l’aide complémentaire du fonds de solidarité de 1 000 euros par mois jusqu’en juin. On regarde aussi comment on peut aider en matière de trésorerie les entreprises qui en auraient besoin.

Il y a aussi le levier de l’immobilier commercial, on regarde pour acquérir des locaux, pour accompagner, étaler les loyers. Avec la région, on travaille aussi pour un plan de redémarrage des entreprises avec deux cibles majeures : les TPE/PME et les artisans qui souvent n’ont pas assez de trésoreries.

Enfin, je n’exclus pas une solution : la métropole pourrait monter au capital de certaines entreprises vertes et durables. Il y a des filières d’avenir que nous pouvons soutenir en gardant à l’esprit l’importance de la transition écologique. Nous pourrions aller sur des investissements dans cette veine-là et accompagner la croissance sur des emplois verts. On a beaucoup parlé de nationalisation, nous pouvons consolider des entreprises avec nos fonds propres. On l’a déjà fait en entrant au capital d’entreprises dans le solaire, le renouvelable. Nous sommes prêts à étudier les dossiers.

Néanmoins, cette crise réduit vos capacités de financement, avez-vous perdu des marges de manœuvre ?

On voit plus clair depuis quelques jours. On a un effet ciseau, avec des dépenses supplémentaires liées à la crise et un impact sur les recettes en matière de fiscalité. En parallèle, on a eu aussi des économies sur les dépenses courantes de l’ordre de 15 millions d’euros, grâce à la baisse de consommation des fluides dans les locaux, de carburants. Les pertes de recettes se feront ressentir en 2021. On peut perdre la moitié de notre capacité d’autofinancement. Nous devrions passer de 500 millions à 280 / 250 millions. Il y a actuellement des discussions avec l’État pour la mise en place d’un budget COVID pour les dépenses des collectivités.

Au final, nous restons très peu endettés et nous pourrons emprunter dans une situation favorable pour investir si cela était nécessaire. Il faudra simplement bien orienter ces investissements. C’est l’un des intérêts du Comité de relance métropolitaine que nous avons mis en place. Il sert aussi à réfléchir aux investissements que nous pouvons faire, tout en gardant à l’esprit l’importance de la transition environnementale.

Les dépenses sociales vont aussi augmenter…

Oui nous l'avons anticipé. Je ne sais pas comment font faire certains départements qui vont voir le nombre d’allocataires du RSA exploser et qui ont moins de marges de manœuvre que nous.

Sur le terrain, on me fait remonter de nombreux signaux faibles qui indiquent que de nouvelles personnes demandent de l’aide alimentaire, qui n’arrivent plus à payer leur loyer. Ce sont des gens que nous n'avions jamais vus jusqu'à présent qui demandent de l'aide. 

Comment voyez-vous le déconfinement ?

C’est très fragile, je reste très prudent. J’ai l’impression qu’on va être en liberté surveillée pendant quelque temps. Le pire des scénarios, ça serait le retour en arrière, économiquement, socialement et  psychologiquement. Je suis favorable à ouvrir le plus d’espaces publics où la distanciation est possible, cela permet aux gens de moins se concentrer.

Il va falloir faire beaucoup de pédagogie en matière de port du masque. On réfléchit à la métropole pour pousser des informations / formations sur les gestes barrières, sur le masque. Je crois plus à l’information et la formation qu’à l’amende. Payer, ça vous fait peur, mais comprendre pourquoi vous devez porter un masque c’est plus important. C’est une révolution complète aujourd’hui.

À plusieurs reprises, vous avez fait part de votre volonté de n’avoir aucune personne à la rue...

On est à un moment où tout le monde a compris que les gens ne pouvaient pas être à la rue. La crise que nous vivons est l’occasion de rassembler autour des questions sociales. Nous devons chercher des solutions dans un rassemblement très large, pas au sens politique, mais aussi avec des personnes de la société civile.

Le comité d’urgence que nous avons mis en place va dans ce sens, une fois par semaine, nous faisons le point sur la situation, les sujets qui remontent, les missions dans le déconfinement. Celui qui travaille tout seul aujourd’hui, il est très fort (rires). Il y a tellement une forte envie de travailler ensemble qu’on ne peut pas faire sans cela.

Quand on voit les problèmes que rencontre Lyon pour distribuer les masques, ne regrettez-vous pas d'avoir confié ceux de la métropole à la ville ?

Notre idée, c'est d'abord et avant tout de demander aux maires ce qu'ils en pensent. Ce sont les mieux à même de juger la situation et les distributions à mettre en place.

À Lyon, au début, Gérard Collomb a travaillé seul. Il n'a pas voulu s'appuyer sur les maires d'arrondissements qui pourtant représentent des territoires parfois aussi importants qu'une ville. Les maires d'arrondissements, c’est comme le maire de Caluire, ils connaissent les lieux les plus adaptés. Je trouve dommage que Lyon n'en ait pas discuté avec eux.

Par exemple, il n’y avait pas de lieux dans le 4e arrondissement. On a récupéré 400 masques pour les distribuer aux séniors, ils ne vont pas aller dans des gymnases. J'ai demandé à Yann Cucherat qu'ils ouvrent un point de distribution dans le 4e, car le lieu le plus proche était assez loin pour certains quartiers. On m'a répondu que le premier problème c’étaient les bénévoles. En 24 heures, j'ai trouvé 70 personnes prêtes à venir aider. Ils ont accepté d'ouvrir la salle de la Ficelle. Si cela avait été vu en amont, on aurait pu faire tout cela dès le début. Je remercie en tout cas Yann Cucherat d’avoir été à l’écoute et d’avoir répondu rapidement à la demande.

Comment les masques de la métropole vont-ils être distribués ?

On travaille avec les maires, on en livre tous les jours. On sait qu’ils sont mobilisés pour les distribuer. Certains élus les posent parfois eux-mêmes dans les boîtes aux lettres. Je pense que c’est important de multiplier les lieux, comme à Lyon. Quel est le risque ? Que quelqu’un vienne en chercher trois fois de suite ? Ce n’est rien, le plus important c’est que tout le monde ait des masques. Il vaut mieux prendre ce risque que de voir des gens devoir attendre quinze jours pour en avoir. Les choses sont lancées, il va y avoir de moins en moins de problèmes d’approvisionnement.

Vos voies transitoires vélos dans le cadre de l’urbanisme tactique sont colonisées par les voitures, qu’allez-vous faire ?

Nous attendons encore des obstacles comme des bornes et piliers pour matérialiser les aménagements transitoires. Je suis passé sur plusieurs lieux, s'il n'y a pas d'obstacles physiques, les gens se garent dessus, doublent par la droite. Nous allons renforcer tout cela ces prochains jours dès que nous recevrons les éléments. Je sais que la police municipale à Lyon a été très mobilisée dans le métro ce lundi. Il faudra son aide et les obstacles ces prochains jours pour bien sécuriser les cyclistes.

Avec la présidente du Sytral Fouziya Bouzerda, vous semblez avoir mis de côté vos querelles d’avant campagne, la hache de guerre est enterrée ?

Comme elle, j’ai considéré que nous vivions une période tellement particulière qu’il fallait laisser tout cela à l’entrée des vestiaires et qu’on se mette au travail pour tout le monde. Naturellement, la relation est devenue plus fluide, sans que nous ayons eu à poser les choses. C’est arrivé de la même façon avec Laurent Wauquiez sur les aides économiques. Personne ne comprendrait si nous nous tirions tous dans les pattes.

Par exemple, la petite saillie d’Alain Giordano (NDLR : adjoint de Gérard Collomb) sur l’urbanisme tactique qui ne lui allait pas, c’était inutile. C’est important d’avoir des remarques constructives, mais il ne faut pas commencer à polémiquer durant cette période-là, c’est mortifère pour tout le monde. Ces séquences, les gens ne sont pas choqués pour la simple et bonne raison que cela ne les intéresse pas. On me pose surtout beaucoup de questions sur les masques, la rentrée dans les écoles, les transports en commun.

Quelles leçons retenez-vous de cette crise ?

Je pensais qu’il fallait une gouvernance très élargie, que l’expérience citoyenne devait peser. Ce qui arrive me conforte là-dedans. Pour beaucoup de sujets, on peut trouver un socle commun qui peut transcender les clivages, tout en s’appuyant sur ceux qui produisent des solutions.

La solidarité pour protéger les plus fragiles est impérative. Chez beaucoup de gens, il y a eu un déclic. On peut avancer encore plus avec des choses fortes comme aucune personne à la rue. Durant la campagne, j’avais défendu l’idée d’un RSA jeune, nous nous rendons compte aujourd’hui qu’il est absolument nécessaire.

Sur le volet environnemental, cela nous paraît tellement évident, tout le monde a compris son importance. Quand nous avons mis en place l’urbanisme tactique, on pensait que des gens viendraient se plaindre que voir la place de la voiture diminuer. Au contraire, on nous dit, "allez plus loin, plus vite", y compris certaines personnes qui étaient réticentes à l’origine. On se rend compte de l’importance des questions de sécurité sanitaire, de santé, de l’emploi de l’éducation. Les gens vont regarder attentivement si les mesures prises ne sont pas contradictoires avec les questions environnementales.

Tout le monde a conscience que cela va durer longtemps, même la rentrée pourrait être difficile. Nous devons travailler tous ensemble pour faire face à ce défi.

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