Patrick Drahi©AFP
Patrick Drahi © AFP

Drahi, ses montages, ses menaces… et ses chiens de garde

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Ainsi donc, les pauvres citoyens lambda que nous sommes n’auraient une fois de plus rien compris : le globe-trotter Patrick Drahi n’aurait pas vraiment de lien avec Panama. Enfin oui. Enfin non. Enfin… pas tout à fait.

Il faut dire qu’avec ce personnage à la Stieg Larsson, qui passe l’essentiel de son temps dans son jet privé (ce qui impressionne Alain Weill, dixit des journalistes de BFM), des vraies-fausses (double ou triple ?) nationalités aux vraies résidences fantômes en passant par la vraie dette (48 milliards d’euros), la vraie-fausse fibre (SFR) et la myriade de sociétés-écrans et autres holdings qu’il contrôle plus ou moins directement, rien n’est simple, tout est flou, en perpétuelle décomposition-recomposition. Bientôt dix ans qu’il joue à cache-cache sur la planète, en profitant de la faiblesse – et parfois de la complicité – des politiciens français, qui sont aussi souvent “avocats d’affaires”, dans un mélange des genres ahurissant dont notre pays s’est fait le champion toutes catégories. Nous sommes devenus le pays des “réseaux”, tout en prétendant être celui des droits de l’homme.

Le communiqué de presse qu’a fait paraître Patrick Drahi à la suite de l’affaire Panama Papers est un modèle du genre et il devrait être étudié dans toutes les écoles de journalisme en tant qu’archétype de l’intox. S’il reconnaît ainsi avoir “eu recours à une société panaméenne entre novembre 2008 et décembre 2010”, M. Drahi affirme n’y avoir “jamais détenu, directement ou indirectement, de participation”.Ladite société, affirme-t-il, “a été utilisée sur des opérations accessoires pour des raisons de stricte confidentialité et dans des opérations parfaitement légales, sans aucune incidence fiscale, et a fortiori étrangères, de près ou de loin, à toute fin d’évasion, de dissimulation, ou d’optimisation fiscale”.

“Accessoire”, le mot est lâché. L’homme se veut “parfaitement” honnête, loin de lui toute idée de dissimulation, tout ce qui est important est “parfaitement” clair, tout ce qui est secondaire… ne nous regarde en rien ! Parfaitement ! Pour bien se faire comprendre des journalistes qui auraient l’outrecuidance de faire leur travail (il est vrai que peu s’attellent au sujet) Patrick Drahi brandit la menace : “Ces précisions étant apportées, toute évocation de M. Patrick Drahi ou du groupe Altice en relation avec des situations frauduleuses ou liées à l’évasion fiscale visées dans cette enquête serait diffamatoire et donnera lieu aux actions appropriées.” L’affaire est sensible et il ne faudrait pas que la Bourse, basée sur l’air du temps et les bonnes nouvelles, dévisse encore, la faillite interviendrait plus vite que prévu.

Bien sûr, les affirmations de Patrick Drahi sont fausses, et sur toute la ligne. N’en déplaise à ses salariés zélés, qui de Christophe Barbier, écharpe rouge sur chemise blanche, nous explique le plus sérieusement du monde dans les couloirs de L’Express – tout en plaidant pour une “Europe fédérale” et un “Parlement mondial” – que, dans l’affaire Panama Papers, tout est “obscur” et plein de “confusion”, à Laurent Joffrin dans les colonnes de Libération (le journal de Sartre et de July !) qui met surtout en avant le démenti de son nouveau patron, ou encore à Olivier Truchot, qui quant à lui noie le (gros) poisson sur le plateau de BFM :

“Vous avez vu la réaction des gens qui ont été cités ? Ils se défendent, c'est normal. Patrick Drahi, par exemple, qui reconnaît avoir une société, mais rien d'illégal. Lionel Messi, qui dit avoir eu une société, mais pas de fonds. Et puis d'autres. Est-ce que finalement c'est la bonne méthode de jeter en pâture des noms de personnalités, sans qu'elles aient vraiment la possibilité de se défendre ? Elles se défendent après, mais le mal est fait en quelque sorte.”

Ça, c’est du journalisme ! Pensez donc, Patrick Drahi monte des sociétés au Panama juste pour le decorum et la passion de Victor Hugo ! N’est certes pas Laurent Mauduit qui veut.

Une nébuleuse toujours recommencée

Comme nous l’avons déjà longuement détaillé, Patrick Drahi compose et recompose sans cesse sa nébuleuse à partir de paradis fiscaux et/ou de pays où la fiscalité est assurément plus douce qu’en France, ce petit pays situé entre les États-Unis et le Moyen-Orient, et dont la garde rapprochée affirme qu’il est ressortissant, après avoir assuré qu’il avait définitivement renoncé à la nationalité française en devenant israélien.

L’auteur de ces lignes avait en effet eu l’occasion de démonter cette mécanique lors de séances publiques au CSA à l’automne 2015 (tout se retrouve très facilement sur Internet, y compris les vidéos réalisées de profil et avec les moyens du bord, puisque la plupart de nos auditions n’étaient – c’est dommage – pas filmées par le régulateur). À l’époque, si certains conseillers étaient captivés, il faut bien reconnaître que d’autres ne s’y intéressaient guère, quand ils n’affichaient pas une hostilité franchement agressive : ainsi le conseiller Gélinet (vieux thuriféraire de l’équipe Boyon-Sarkozy, dont le mandat se termine à la fin de l’année), grand défenseur des intérêts de NextRadioTV (BFM, RMC) et de Numéro 23, en dépit de ses dénégations tardives, à propos desquelles Michel Boyon l’a sévèrement rappelé à l’ordre, comme seuls le font les chefs de clan.

Du Panama au Luxembourg

En novembre 2008, Patrick Drahi décide donc de créer, au sein de son groupe Altice, la filiale Altice IV SA, société contrôlée par la holding Jenville SA, elle-même contrôlée par l’homme d’affaires, et immatriculée… au Panama. L’acte constitutif de cette société est enregistré au Luxembourg le 9 décembre 2008, comme on peut le découvrir ci-dessous.

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Un drôle de joint-venture

Parallèlement à la rocambolesque affaire Numéro 23, qui n’en est qu’à ses débuts, Alain Weill, qui étrangement se qualifie toujours d’“indépendant”, organisait en réalité la vente de son groupe à Patrick Drahi. Dans l’offre publique d’achat réglée par les deux compères (ils se connaissent et se rencontrent depuis plus de vingt ans), la société Groupe News Participations (GNP) est contrôlée à 51,02 % par une société dénommée News Participations, appartenant à Alain Weill, et à 48,98 % par la société de Patrick Drahi, Altice Content Luxembourg. Cette société de droit luxembourgeois est détenue à 75% par Altice Content, elle même contrôlée par la société luxembourgeoise Altice International…

Et ce n’est pas fini, comme on dit chez SFR ! Altice International est contrôlée par Altice Luxembourg SA, dont l’actionnaire unique n’est autre qu’Altice NV, une SA de droit néerlandais !

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Du Luxembourg à Guernesey

Et ce n’est pas fini ! Altice NV est à son tour détenue (à 58%) par une société dénommée Next Alt, contrôlée par Patrick Drahi et immatriculée au Luxembourg.

Et ce n’est pas fini ! Pour couronner le tout, Next Alt SARL est, en bout de chaîne, elle-même contrôlée par une holding dénommée Next Limited Partnership Inc., immatriculée à Guernesey, 11 New Street, à Saint Peter Port (lire ci-dessous).

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Les trusts offshore

Contrairement aux affirmations de Christophe Barbier, il n’y a aucune confusion possible, juste une sacrée opacité et une volonté délibérée (et déjà ancienne) d’échapper à l’impôt en France. N’oublions pas qu’à l’autre extrémité il y a désormais des radios, des chaînes de la TNT, des journaux, des sites Internet, censés être français ou à tout le moins européens (les deux lois de 1986, sur l’audiovisuel et la presse écrite, limitent à 20% les participations extracommunautaires)… et qu’il y a donc du public de tout âge, trompé en toute connaissance de cause quant à la sincérité des informations divulguées par les différents médias du couple Weill-Drahi, deux sources dont la clarté n’est pas établie, en dépit de communiqués de presse offusqués et menaçants.

Rappelons aussi que la “capitale” de Guernesey, Saint Peter Port, n’est pas seulement l’île magnifique où Victor Hugo vécut quinze années d’exil. Elle est aussi un centre financier offshore performant, une sorte d’hypermarché de la défiscalisation où l’on trouve le top du top de la finance internationale et tous les services sophistiqués y afférents : banques, avocats, experts en placements, représentants de fonds divers et variés... D’une superficie égale à la ville de Limoges, Guernesey dépend de la couronne britannique sans être membre de l'Union européenne. Elle ne connaît ni ISF ni “taxes confiscatoires” sur les sociétés. En réalité, il s’agit dans la majorité des cas d’organiser son évasion fiscale via des trusts. Comment cela fonctionne-t-il et quelle en est la philosophie générale ?

Comme on peut le lire par exemple sur ce site Internet, qui propose la création d’un trust offshore pour la modique somme de 1340 dollars, un trust (ou société de fiducie, ou encore fiduciaire) est une structure juridique de gestion d’actifs basée dans un pays étranger, le plus souvent un paradis fiscal. La personne qui crée le trust transfère les capitaux au trust et identifie un fiduciaire (trustee en anglais), qui va gérer les capitaux selon l’accord passé, et un bénéficiaire… qui peut inclure la personne qui a créé le trust ! Cela permet de détacher légalement les capitaux transférés de la personne qui a justement créé ledit trust. Un trust peut ainsi être utilisé pour protéger un patrimoine contre les jugements étrangers ou les ordonnances d’un tribunal ou encore pour effectuer une succession peu coûteuse.

À propos des îles Anglo-Normandes, voici ce qu’écrivait L’Express en 2007 (alors propriété du belge Roularta mais dont Christophe Barbier était déjà directeur de la rédaction) : “À moins de 50 kilomètres des côtes françaises, Jersey et Guernesey sont des destinations commodes pour les “riches touristes” à la recherche de solutions d'héritage et de défiscalisation. Ces deux gros cailloux ont le statut de membre associé de l'Union européenne, mais ils n'en font pas partie. Le taux de l'impôt est unique, soit 20 %. Il n'y existe ni TVA, ni impôt sur la fortune, ni droits de succession ou de donation. Mais personne n'a vraiment envie de s'exiler comme Victor Hugo dans ces prisons dorées. Dans la pratique, des Français “non résidents” constituent un trust à Jersey ou Guernesey lorsqu'ils veulent échapper au droit successoral. La réserve héréditaire n'y étant pas reconnue, on peut ainsi avantager un enfant plutôt qu'un autre... voire sa maîtresse.” Tout commentaire serait cruel.

Où l’on reparle de Nicolas Sarkozy et de ses proches

Dernières coïncidences et non des moindres, on se souvient que Nicolas Sarkozy avait fait retirer le Panama de la liste noire des paradis fiscaux, sous la pression – on pourrait même dire le chantage – de l’ancien président panaméen Ricardo Martinelli, aujourd’hui poursuivi pour corruption et “réfugié” à Miami. Or, le désormais célèbre cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca (il y en a de nombreux autres du même acabit) a été utilisé pour domicilier dans des sociétés-écrans offshore le riad au Maroc des époux Balkany, comme les avoirs de l'ancien ministre Jérôme Cahuzac.

Mossack Fonseca a effectivement enregistré, en juillet 2007, la société Hayridge Investments Group Corp, propriétaire indirect du riad Dar Gyucy à Marrakech, à la demande de la fiduciaire suisse Gestrust, agissant elle-même pour le compte de Jean-Pierre Aubry, qui n’est autre que l’homme de confiance du couple Balkany. Plus troublant encore, les documents du cabinet panaméen mettent en cause maître Arnaud Claude, l’associé de Nicolas Sarkozy, qui aurait donné des instructions à Gestrust au sujet de la société Hayridge, selon un échange entre le cabinet suisse et Mossack Fonseca.

Rappelons que la justice française enquête depuis 2013 sur le patrimoine des Balkany, notamment sur trois villas aux Antilles et au Maroc, non déclarées au fisc et saisies, et que ce proche de Nicolas Sarkozy est mis en examen dans cette affaire pour fraude fiscale, corruption passive, blanchiment de fraude fiscale et déclaration mensongère de patrimoine.

Quant à Jérôme Cahuzac, son procès pour fraude fiscale a été reporté au mois de septembre.

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