Air Cocaïne, le fantôme de la coke arrêté

Alors qu’il était activement recherché dans le cadre de l’affaire “Air Cocaïne”, le Stéphanois Ali Bouchareb a été interpellé la semaine dernière près de Barcelone. C’est lui qui serait le cerveau du réseau d’importation entre la République dominicaine et la France.

Article paru dans Lyon Capitale (le mensuel) de janvier 2016

Son ombre plane sur le Centre, un quartier plutôt tranquille de Firminy, à douze kilomètres au sud-ouest de Saint-Étienne. Teint mat, coupe en brosse ou cheveux gominés, selon l’effet recherché, la quarantaine, un petit mètre quatre-vingts. Voilà le peu d’informations qui a filtré jusqu’à maintenant. Quant à son nom, il hante toute la ville. Et bien au-delà.


La dernière fois qu’Ali Bouchareb a fait parler de lui, c’était à 750 kilomètres de cette cité-dortoir de Saint-Étienne, sur la Costa Dorada. À Tarragone précisément, à une grosse heure de route de Barcelone. Le 16 octobre 2014, Ali Bouchareb est à mille lieues d’imaginer que des enquêteurs français de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) et espagnols de la police judiciaire de Carthagène sont en planque dans la zone portuaire, à côté d’un entrepôt où deux conteneurs de poisson surgelé sont sur le point d’être déchargés. À l’intérieur des caisses de poisson, 420 kilos de cocaïne, répartis dans douze sacs de sport. Huit personnes sont arrêtées en flagrant délit, cinq Français et trois Espagnols. Parmi eux, un Lyonnais, membre présumé de la Dream Team (équipe de braqueurs baptisée ainsi par la police espagnole, en référence
aux basketteurs américains vainqueurs des JO de Barcelone en 1992), et deux frères de Firminy : Ali et Messaoud Bouchareb, duo jusqu’alors quasi inconnu. Qui ne croisait en tout cas pas dans les eaux transcontinentales du grand banditisme.

Montée en gamme

Au journal télévisé ce soir-là, aucun écho de la grosse prise de drogue et du démantèlement de ce réseau d’importation de cocaïne colombienne. David Pujadas lance un sujet sur l’exil des Français à l’étranger..., de quoi esquisser un sourire. Car Ali Bouchareb est introuvable depuis l’été 2008, après avoir été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Jusqu’à ce qu’il réapparaisse dans une énorme affaire de cocaïne en Espagne, qu’il soit libéré de nouveau et ne s’évapore encore dans la nature.

Petit retour en arrière, en 2007. La PJde Lyon est alors dirigée par le super-flic Michel Neyret (aujourd’hui renvoyé en correctionnelle dans une affaire de corruption qui a ébranlé la police lyonnaise en 2011*). C’est sous son commandement que les plus belles affaires de la police judiciaire sont exposées et que les plus grosses prises de stupéfiants nationales sont faites.

Le 7 février, près d’un centre commercial de Saint-Étienne, une quinzaine de personnes sont interpellées, dans des conditions mouvementées, au beau milieu d’une transaction de haschisch. Sur place, dans une voiture, les policiers mettent la main sur 600 000 euros en petites coupures – ce qui correspondrait à environ 600 kilos de cannabis. Le véhicule appartient à... Ali Bouchareb. 400 000 autres euros seront découverts dans une glacière enterrée dans le jardin d’un complice.

“Cette somme donne la mesure de l’économie souterraine générée par ces trafics, explique alors Michel Neyret**. Car il s’agissait d’hommes entre 30 et 40 ans, connus de la police pour des affaires de trafic de drogue, d’agressions et de “home-jacking”, mais dont la dimension dans le banditisme ne “justifie” pas de telles sommes.” En gros, les enquêteurs, qui considéraient jusque-là Ali Bouchareb comme un petit voyou, ont dû revoir leur copie. Le réseau alimentait l’ensemble du bassin clermontois.

Tête du réseau “Air Cocaïne” ?

Ali Bouchareb ne restera pas longtemps en prison. Après dix-huit mois de préventive, il est relâché à l’été 2008 par le juge des libertés et de la détention (JLD) de Lyon – à l’instar de deux autres présumés trafiquants de cocaïne et d’héroïne, Abdelkader Bessame et Kamel Mebarki. Bien que la décision ait été entérinée par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Lyon, le syndicat de policiers Synergie s’insurge publiquement dans un communiqué. Les enquêteurs craignent que Bouchareb ne prenne la poudre d’escampette. L’Appelou met effectivement aussitôt les voiles afin qu’on ne puisse pas le retrouver. Il se terre probablement en Espagne ou en Italie. Jusqu’à ce 16 octobre 2014, près de Barcelone...

Lors de la perquisition de son appartement en Espagne, la police tombe sur de faux papiers, dont l’un au nom de Rayan Hanouna. Or, c’est ce fameux Rayan qui serait la tête du réseau d’importation de drogue du dossier Air Cocaïne en France, selon les mis en cause dans cette affaire, actuellement en cours d’instruction à Marseille.

“Non seulement le mec se fait prendre en flag’ avec une demi-tonne de cocaïne, mais en plus la police espagnole s’aperçoit que deux mandats d’arrêt internationaux pèsent sur sa tête pour des affaires de braquage et de stupéfiants, explique à Lyon Capitale Jérôme Pierrat, coauteur d’une enquête sur Air Cocaïne***. Il fait deux mois de prison et il est libéré. En France, ça a tellement surpris, c’était tellement anormal, que le ministère de la Justice a même déposé une plainte.” Avant de se demander si Bouchareb “n’[aurait] pas payé les policiers espagnols”.

Des “plans sur la comète”

Philippe Screve, l’avocat d’Ali Bouchareb, en doute fortement. Joint par téléphone entre plusieurs audiences aux quatre coins de la France, il rétorque que “la justice espagnole n’a pas l’habitude d’être laxiste, elle est encore moins réputée pour être aveugle”. “Il est donc hasardeux de tirer des plans sur la comète”, estime Me Screve. Connu pour être un redoutable procédurier (il a notamment fait libérer le présumé trafiquant stéphanois en 2008), celui qui est amicalement surnommé “l’avocat de la pègre lyonnaise” dans les prétoires de la région soutient mordicus que son client n’a pas le profil du gros trafiquant international qu’on veut bien lui faire endosser. Selon lui, Ali Bouchareb “n’était pas installé dans une délinquance d’habitude et n’avait pas un casier judiciaire long comme un jour sans pain. Il n’avait pas un profil qui le poussait à “travailler” dans les stups”.

À propos du deal de 600 000 euros à Saint-Étienne, l’avocat “n’[a] pas le souvenir d’une affaire dans laquelle il avait eu un rôle majeur, et qui aurait pu laisser penser qu’il pourrait, un jour, jouer les grands rôles”. “Je suis très étonné par ce qui se dit, étant donné qu’il est présumé innocent”, conclut Me Screve. Innocent, c’est aussi le mot qui ressort de la bouche de la famille Bouchareb.

Ambulancier aux mauvaises fréquentations

Ali Bouchareb est né en octobre 1971, dans une tour HLM du quartier du Centre, à Firminy, au bord de la nationale 88, à côté de petits ensembles et de pavillons de banlieue. Il suit sa scolarité à l’école du Stade, adjacente au site Le Corbusier, puis au collège Les Bruneaux. Il est élevé par ses parents avec ses deux sœurs et ses cinq frères. Son père travaille pour les Aciéries et forges de Firminy (qui deviendront plus tard Creusot-Loire, disparu en 1984). Pendant les vacances, la famille Bouchareb loue une maison pour s’échapper du quartier.

“On a eu une enfance parfaite. On a été très bien élevés”, estime l’une de ses sœurs, qui a accepté de témoigner. Ali passe même, avec succès, son diplôme d’ambulancier.

Il n’empêche. En juillet 2001, Messaoud Bouchareb n’a que 21 ans quand il fait parler de lui. Avec trois connaissances, il est soupçonné d’avoir brûlé une dizaine de voitures et d’en avoir volé une autre. Condamné à trois ans de prison, il prend la fuite, avant de se rendre à la police. En parallèle, il écope d’un an de prison pour avoir frappé le frère de l’un de ses complices. Quelques mois auparavant, l’ADN d’Ali, de neuf ans son aîné, traîne dans une sale affaire. Lors de la perquisition d’un appartement au Chambon-Feugerolles, les enquêteurs mettent la main sur un sac contenant un pistolet, des cagoules et des postiches. Ali Bouchareb écopera de dix-huit mois de prison ferme pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. De source bien informée, leur nom circule aussi dans des dossiers de braquage de fourgons blindés.

Into the wild

Les frères Bouchareb ne referont plus parler d’eux. “On n’est plus en relation avec Ali, explique l’une de ses sœurs. Il a décidé de couper les ponts il y a plusieurs années. Il voulait passer à autre chose, on respecte son choix. Quand on dit de lui qu’il était voyou depuis son plus jeune âge, c’est faux. Il ne traînait pas dans le quartier. Ce n’était pas un délinquant. Il a peut-être rencontré des gens..., des mauvaises fréquentations.”

Une enquête pour importation de stupéfiants en bande organisée et association de malfaiteurs, dirigée par la juge d’instruction Christine Saunier-Ruellan, est en cours à Marseille. La fameuse affaire “Air Cocaïne”. L’ombre d’Ali Bouchareb plane sur ce volumineux dossier de 35 000 pages.

* Michel Neyret comparaît, en ce moment à Paris, pour violation du secret professionnel, corruption et trafic d’influence passif par personne dépositaire de l’autorité publique, détournement de scellés de stupéfiants, détention, offre ou cession de ces produits et association de malfaiteurs en vue de commettre une partie de ces délits.
** “Cannabis : des RMistes à la tête du réseau démantelé en Rhône-Alpes-Auvergne”, AFP, 8 mars 2007.
*** Jérôme Pierrat & Marc Leplongeon, L’Affaire Air Cocaïne – Mafia et jets privés, Seuil, octobre 2015.

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