Elections à Lyon : qui sont ces patrons qui ont peur des verts ?

En ballottage favorable après le premier tour des élections locales, les écologistes portent un projet d’alternance qui inquiète certains réseaux économiques qui reconduiraient volontiers un écosystème qui leur convient. La peur des verts a été renforcée par leur alliance de second tour avec les Insoumis et les communistes. Si la plupart des patrons s’engagent anonymement pour ne pas insulter l’avenir, d’autres prennent position publiquement.

En 2001, l’arrivée au pouvoir de Gérard Collomb avait charrié son lot d’inquiétudes dans les milieux économiques qui craignaient de voir l’écosystème dans lequel ils s’épanouissaient être remis en cause. Ils avaient été très vite rassurés. En 2020, la peur a changé de visage.

Ce ne sont plus les chars de l’armée rouge déferlant sur la place Bellecour qui inquiètent les réseaux économiques, mais des hordes de vélos comme s’en amuse Bruno Bernard, candidat EELV à la présidence de la métropole. “Ce qui nous fait peur, ce sont les pastèques. L’enrobage est vert, mais à l’intérieur, ils sont rouges, considère Laurent Fiard, président régional du Medef. L’alliance des écologistes avec l’extrême gauche n’est pas rassurante pour l’attractivité et la croissance du territoire. Elle fait peur à nos adhérents”.

Mails anonymes

Les milieux économiques relaient à bas bruit ce message du péril vert saupoudré de rouge. Souvent d’une manière désordonnée et régulièrement anonyme. C’est par exemple le cas de l’appel des Acteurs de Lyon qui circule par mail depuis une semaine. Ce collectif qui revendique l’anonymat, de peur d’exposer leurs entreprises qui dépendent parfois de la commande publique, a tenté de donner corps à cette crainte d’une alternance franche.

Une semaine après son lancement, la plateforme a échoué à se trouver des porte-voix et annonce changer de méthode. Les instigateurs de l’appel vont intensifier leur campagne de mailing se transformant ainsi en lobbyiste contre les candidats écologistes. Ces derniers les soupçonnent d’ailleurs d’oeuvrer de concert avec leurs rivaux. En prenant le même nom que le comité de soutien à Gérard Collomb en 2014, les instigateurs d’Acteurs de Lyon n’ont rien fait pour dissiper tout malentendu.

Des acteurs politisés ?

Certains signataires ne cachent pas non plus leur proximité avec l’actuel maire de Lyon et François-Noël Buffet. “Leur alliance me va bien. Je soutenais Béatrice de Montille dans le 3e et Gérard Collomb à la Métropole”, se réjouit Jean-Lous Maier, bijoutier et signataire de l’appel des Acteurs de Lyon. “Les écologistes, c’est la décroissance et la misère. L’exemple de Grenoble est extrêmement parlant même si Éric Piolle a eu une quasi-victoire au premier tour. Mais les votants et les instances économiques n’ont pas les mêmes préoccupations”, appuie ce commerçant de la presqu’île qui redoute une réduction de la place de la voiture qui lui enlèverait des clients.

Jean-Christophe Lavorel, patron d’un groupe hôtelier qui emploie 550 salariés, a lui aussi paraphé l’appel anonyme des Acteurs de Lyon. Son épouse était sur les listes de Gérard Collomb avant d’en être éjectée par l’alliance avec Les Républicains. “Je n’ai pas un problème avec l’écologie et les écologistes mais avec leur programme. Ces idées ont eu des conséquences catastrophiques à Grenoble. La ville est descendue dans les classements et l’économie marche moins bien. Lyon est une ville attractive. La ville se porte mieux qu’avant en matière de tourisme. Il ne faudrait pas casser cette bonne dynamique. Surtout qu’après la crise sanitaire, le redémarrage est déjà très délicat”, pointe Jean-Christophe Lavorel.

Bruno Guinand, dirigeant d’une agence de communication et ancien conseiller municipal sous Francisque Collomb, souligne lui l’inexpérience des écologistes qui pourraient s’avérer, à ses yeux, préjudiciables en période de crise économique.

Dialogue de sourd

Bruno Bernard s’évertue pourtant depuis des mois à déminer le terrain. Mais l’alliance avec les Insoumis et les communistes est venue rajouter une couche d’inquiétude. “Le gros des élus viendra des rangs écologistes et nous n’avons pas prévu de déléguer la compétence économique. Lyon en Commun aura trois élus et les communistes en auront cinq ou six”, tente de rassurer Bruno Bernard.

Face aux inquiétudes du monde économique, le candidat d’EELV développe un discours rôdé après des mois à tenter de démonter le refrain du péril vert : “Je viens de l’entreprise et ma compréhension des enjeux est plus réelle que celle d’autres hommes politiques. Notre projet crée des emplois. Les patrons que je vois sont rassurés après que l’on ait échangé. Je discute avec tous ceux qui le veulent. J’ai participé à des débats et j’ai toujours joué le jeu”.

Avec le responsable régional du Medef, il a visiblement échoué. “Nous avons discuté, mais je n’ai pas été rassuré. Quand je l’ai vu, il n’avait pas de projet. Quand on veut présider la métropole de Lyon, on ne vient pas les mains dans les poches”, cingle Laurent Fiard.

L’inquiétude du BTP

Le secteur de la construction est l’un de ceux dans lequel l’inquiétude est particulièrement prégnante. “Nous avons besoin de réponses sur le plan local d’urbanisme et sur le nombre de logements qu’ils veulent construire. Nous interrogerons aussi tous les candidats sur leurs alliances”, explique un acteur du monde du BTP qui auditionne Bruno Bernard ce jeudi matin.

Les propositions de différents candidats écologistes aux élections municipales et métropolitaines, comme le gel du plan Part-Dieu, ont ainsi crispé le monde du BTP.“S’ils gagnent, je pense que j’aurai forcément moins d’activité, anticipe Nicolas Gagneux, promoteur immobilier. J’ai lu leur programme et clairement, il n’est pas celui qui s’adapte le mieux à mon métier. Mais je m’adapterai”. Le patron du groupe 6e sens espère d’ailleurs que les écologistes feront aussi preuve d’adaptation : “je pense qu’ils ont donné des gages à leurs électeurs en parlant de gel des constructions, mais à quelles entreprises vont-ils refuser de s’implanter. Ils ne pourront pas faire sans le développement économique et ce ne serait pas responsable de le casser”. “Ne pas développer la Part-Dieu veut dire que nous ne voulons pas rajouter d’immeubles de bureaux. Mais nous avons d’autres projets. Nous avons chiffré à 6 000 le nombre de logements sociaux que nous voulons construire. Nous souhaitons densifier les quartiers desservis en transport en commun, mais nous ne sommes pas favorables à l’augmentation de la population de la métropole de 15 habitants tous les ans”, précise Bruno Bernard.

Leur appel du 18 juin

Ses efforts pourraient être vains, indépendamment de son oral devant le monde du bâtiment. Le secteur de la construction sera à l’origine de la prochaine prise de position du monde économique. Le 18 juin, la fédération du BTP, la CPME et le Medef vont lancer leur appel à voter.

Mais en des termes bien plus politiquement corrects que ceux des Acteurs de Lyon. “Nous disons juste à nos adhérents d’aller voter, mais pas pour qui ils doivent voter. Nous sommes apolitiques. Nous n’avons pas de problème avec l’écologie et les écologistes. L’écosystème en place jusqu’à maintenant me va bien. Il était fait en concertation avec les pouvoirs publics et je voudrais que cela continue. Après les grèves et le coronavirus, si nous rajoutons d’autres problèmes existentiels, nous pourrions avoir une crise grave”, explique François Turcas, président régional de la CPME.

“Dans notre appel du 18 juin, nous ne donnerons pas de consigne de vote. Ce n’est pas notre rôle, mais nous ne pouvons pas cautionner la décroissance”, rajoute Laurent Fiard. L’appel du 18 juin des institutionnels de l’économie lyonnaise devrait se lire facilement entre les lignes.

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