L’affaire Sollacaro rebondit

Premier volet de notre série sur l’Ile de Beauté, alors que l’enquête sur l’assassinat de l’avocat Antoine Sollacaro semble avancer à grands pas. Deux suspects sont déférés aujourd’hui devant les magistrats de la JIRS de Marseille.

Il faudra attendre quelques heures pour en savoir davantage sur l’assassinat en octobre dernier d’Antoine Sollacaro. Mais le défèrement cet après-midi devant les magistrats de la JIRS de Marseille de deux suspects membres de la bande ajaccienne du “Petit Bar” pourrait bien apporter une première pierre à l’élucidation de cette affaire et peut-être à l’assassinat le 14 novembre du président de la chambre de commerce Jacques Nacer. Les deux dossiers semblent en effet intimement liés.

La découverte, le 5 décembre 2012, d’une moto BMW 1200 GS dans le maquis de Pila Canale sert de fil d’Ariane aux enquêteurs. Ils estiment qu’elle a pu servir aux deux assassinats. Les investigations ont par ailleurs permis de cibler trois membres du “Petit Bar” – André Bacchiolelli, Michaël Ettori et Pascal Porri –, tous interpellés samedi dernier et placés en garde à vue. Les deux premiers semblent plus particulièrement visés, car Porri était porteur à l’époque des faits d’un bracelet électronique à la suite d’une condamnation, ce qui semble exclure pour l’heure sa participation directe aux faits.

Deux grosses pièces du scénario macabre

Reste à comprendre le mobile de ces assassinats. Antoine Sollacaro, ténor du barreau ajaccien, était connu pour ses liens avec Alain Orsoni, considéré comme l’ennemi intime de l’équipe du “Petit Bar”. Quant à Jacques Nacer, c’était un notable, un homme apparemment sans histoires, qui a pris la succession de Raymond Ceccaldi, empêtré quant à lui dans une sale histoire de fraude aux marchés publics impliquant une société de sécurité sulfureuse (la SMS), dont les deux fondateurs dorment aujourd’hui sous plusieurs pelletées de bonne terre corse : Yves Manunta, assassiné le 9 juillet 2012, et Antoine Nivaggioni, déchiqueté par des rafales de kalachnikov deux ans plus tôt. Deux grosses pièces du scénario macabre.

Comment analyser cette montée en puissance du banditisme et le choix de ce que l’on appelle des “cadavres exquis” ? Le procureur Jacques Dallest, qui supervise l’activité de la JIRS, se refuse pour l’heure à commenter les avancées de l’enquête. Il livre une vision globale de la situation : “Ce qui se passe aujourd’hui en Corse est en fait décrit dans les différentes commissions parlementaires qui se sont penchées sur le sujet après l’assassinat du préfet Erignac, notamment le rapport Glavany. Le grand banditisme n’a finalement que peu de sources de revenus dans l’île. Un casino, des sociétés de transport de fonds, des hôtels… Il ne peut que se réaliser dans l’immobilier, qui connaît une spéculation sans précédent. Ce qui explique l’explosion du grand banditisme, c’est le fait que l’Etat a longtemps mobilisé ses forces dans la lutte contre le nationalisme clandestin, laissant le champ libre aux activités mafieuses. L’affaire Erignac a été d’une certaine façon une aubaine pour le grand banditisme.” Et on serait tenté de dire pour le “nationalisme d’affaires”.

Les femmes et les belles bagnoles

Rien ne va plus en effet depuis qu’Alain Orsoni, leader emblématique du FLNC (il a participé à l’épisode d’Aléria) et fondateur du MPA (Mouvement pour l’autodétermination), est revenu ici en 2008 après plusieurs années passées en Amérique du Sud. L’histoire locale retient qu’il fut à l’origine d’une scission au sein du mouvement nationaliste dans les années 1993-1996 et d’une guerre qui fit plusieurs dizaines de morts. Le retour d’Orsoni sera interprété par les policiers comme la reprise en main de la zone d’Ajaccio à l’occasion de son accession à la présidence du club de foot de l’ACA.

Il existe un fil directeur : Sollacaro, Manunta, Nivaggioni, tous ces morts sont en effet des anciens du MPA. Nacer a gravité autour de la même mouvance. L’histoire s’emballe en 2000, avec la création à Ajaccio de la SMS (Société méditerranéenne de sécurité) par les deux proches du “bel Alain”, Nivaggioni et Manunta. Très vite, la société prospère, trop peut-être : les portes sont grandes ouvertes, notamment celles qui conduisent aux juteux marchés de surveillance de l’aéroport Campo dell’Oro. Nivaggioni a un gros défaut : il aime un peu trop les femmes et les belles bagnoles. Ce comportement dispendieux déplaît à Manunta, qui se sépare de son associé et crée sa propre entreprise.

La SMS continue de prospérer sur le continent, obtient des marchés à Toulon, sur le port de Marseille. Mais Nivaggioni est décidément piètre gestionnaire. La société plonge et la justice s’en mêle. L’intéressé ne comparaîtra pourtant jamais début 2011 devant le tribunal correctionnel de Marseille. Quelques mois plus tôt, les tueurs l’ont criblé de balles.

Ils finissent par avoir la peau de “Manunta la balance”

Le règlement de comptes se poursuit durant le procès et cette fois-ci entre avocats, qui en viennent presque aux mains, sur fond de guerre des polices : Jean-Michel Mariaggi, qui défend Manunta, présente Nivaggioni comme un indic de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), et Antoine Sollacaro accuse ouvertement Manunta d’avoir balancé son ex-client Nivaggioni à la DCPJ (Direction centrale de la police judiciaire).

Depuis, l’abcès n’avait cessé de suppurer. Yves Manunta échappe de peu en novembre 2011 à une tentative d’assassinat. Mais sa femme et sa fille sont très grièvement blessées. Elles se trouvent aujourd’hui sous protection policière. Les deux tireurs présumés, des proches d’Alain Orsoni, sont sous les verrous. Quant à l’avocat Mariaggi, il a reçu voici quelques jours des menaces qui ont déclenché l’ouverture d’une enquête préliminaire. En juillet dernier, d’autres tueurs froids finissent par avoir la peau de “Manunta la balance”, dont on dit qu’il se serait rapproché de l’équipe du “Petit Bar”. ​Une justification, parmi d’autres, aux arrestations de ces derniers jours.

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