Michel Boyon, le guide Michelin des fromages de la République

A l’heure où Michel Boyon s’apprête à quitter la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (le jeudi 24 janvier au matin), une information puisée aux meilleures sources institutionnelles nous apprend qu’il fait feu de tout bois pour être prochainement nommé membre du Conseil constitutionnel. Avant de commenter cette nouvelle aussi ahurissante que véridique, une rétrospective s’impose.

Auditeur puis maître des requêtes et enfin conseiller d’Etat depuis 1989, Michel Boyon aime décidément les conseils. Il aime d’abord en donner, beaucoup, notamment, depuis une dizaine d’années, aux patrons des entreprises de télévision et de radio, alors que lui-même n’a exercé, au cours de sa longue carrière administrative, que 36 mois à un poste de responsabilité opérationnelle dans un tel type d’entreprise. Nommé à la tête de Radio France en novembre 1995, par le CSA, alors présidé par Hervé Bourges, il en fut en effet aimablement remercié par le même CSA, toujours présidé par Hervé Bourges, trois années plus tard, à l’issue donc de son premier et unique mandat. Michel Boyon détient ainsi le record historique de la plus courte présidence de Radio France depuis plus d’un tiers de siècle (à savoir depuis la naissance de cette société en 1975, en conséquence de la loi de 1974 "éclatant" l’ORTF), si l’on met à part les cas honorables de Michèle Cotta et de Roland Faure qui, eux, ne quittèrent prématurément cette présidence que par leur seule volonté et pour accéder à d’autres fonctions (respectivement présidente de la Haute Autorité en 1982 et membre "fondateur" du CSA en 1989 (ici).

Débarqué donc de Radio France en novembre 1998, et cruellement blessé par cette décision du CSA sonnant comme une lourde sanction de son bilan, le conseiller d’Etat Michel Boyon mit quelques mois à retrouver un poste digne de ses éminentes qualités. Par défaut, ce fut, par la grâce d’un décret du 15 juin 1999, la présidence du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, autorité administrative tout nouvellement créée par une loi du 23 mars 1999. Vous n’aviez jamais entendu parler de ce schmilblick administratif, sis dans un immeuble cossu du quartier des ministères du 7e arrondissement de Paris, rassurez-vous, nous non plus. Toujours est-il qu’il s’agissait là de l’un de ces généreux et moelleux « fromages » que la République reconnaissante sait offrir à ses serviteurs zélés, avec traitement et voiture de fonction à la hauteur de leur noble mission. Ce "Conseil", absolument indispensable à la vie de la nation, était composé d’un collège de 9 membres, disposant d’un mandat irrévocable de 6 années, dispositif exactement semblable à celui du CSA que l’intéressé rejoindra quelques années plus tard.

Monsieur le vice-Premier ministre

Malgré les avantages de la fonction, dont on peut imaginer qu’elle fut harassante, Michel Boyon ne resta que quatre années au "CPLD", puisqu’en octobre 2003 il fut appelé à de plus flatteuses responsabilités et devint le directeur de cabinet du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Les ministres du gouvernement Raffarin se rappellent encore que, pendant ses 19 mois à ce poste qui donna à son titulaire l’ivresse et l’illusion d’incarner un vice-Premier ministre, Michel Boyon s’appliqua à leur prodiguer de nombreux et impératifs conseils et à s’immiscer sans détour dans l’activité de leurs propres cabinets ministériels.

"Si l’on met la voiture France à l’envers, nous n’aurons plus la capacité de rebondir", dit un jour, on s’en souvient, Jean-Pierre Raffarin, et son départ de Matignon le 1er juin 2005 n’incita pas son directeur de cabinet à retrouver d’urgence les pénibles servitudes du Conseil d’Etat, ses lourdes et longues procédures juridiques, et a fortiori les obligations de réserve s’imposant à ses membres. Aussi, dans la tradition "républicaine" constante qui s’applique à soigner les plus proches collaborateurs de nos principaux dirigeants, fut-il récompensé en étant parachuté quatre mois plus tard, par décret du 1er octobre 2005, à la présidence de la société Réseau ferré de France, créée en 1997 par scission de la SNCF, avec pour mission d’entretenir et de développer le réseau ferré national. On pressent immédiatement que les attributs de cette présidence pouvaient certes présenter quelques intérêts matériels, mais risquaient, en l’espèce, de conduire à une voie de garage. "La route est droite mais la pente est forte", comme le disait Raffarin, qui affirmait aussi : "On n’a pas besoin d’être en pyjama pour exprimer ses convictions".

Du sarkozysme au hollandisme, Michel-Buzz-l’éclair

De fait, dès l’année suivante, en 2006 donc, Michel Boyon s’activa pour être nommé patron du Conseil d’Etat (très exactement "vice-président du Conseil d’Etat", qui détient la fonction effective de président), c’est-à-dire rien moins qu’au neuvième rang de l’ordre protocolaire national. Hélas, malgré ses efforts et la mobilisation de tous ses réseaux, et en dépit notamment du soutien ardent de l’ancien Premier ministre Raffarin, Jacques Chirac choisit en septembre 2006 un autre candidat au profil sensiblement moins politique et plus consensuel, et à la carrière administrative autrement plus riche et complète, Jean-Marc Sauvé.

Mais la faveur présidentielle sut néanmoins se montrer généreuse quelque temps plus tard, puisque, dès janvier 2007, après à peine 15 mois de présidence de Réseau ferré de France, Michel Boyon put retrouver un nouveau siège plus conforme à son imposante stature : celui de président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Nommé là pour 6 ans, avec un salaire désormais supérieur à celui du président de la République et deux voitures de fonction (dont une grosse berline avec vitres fumées, qui fait pin-pon-pé pour traverser la Seine et se rendre à l’Elysée), Michel Boyon tenta même avec acharnement, de juin à décembre 2012, d’obtenir le bénéfice d’une prolongation exceptionnelle de son mandat pour une année afin "d’accompagner" l’élaboration et la mise en place de la nouvelle loi audiovisuelle annoncée pour le premier semestre 2013. On ignore s’il entendait jouir en exclusivité de sa vision extensive de la durée légale des mandats ou bien s’il comptait en faire profiter aussi ses deux petits camarades, Alain Méar et Rachid Arhab, simples « conseillers », également touchés par l’échéance de janvier 2013, toujours est-il que le Gouvernement lui fit savoir que cette farce n’était pas inscrite à l’ordre du jour, en tout cas pas sous cette forme.

Papy fait de la résistance

Conseil d’Etat, Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, Conseil supérieur de l’audiovisuel, sans compter une flopée de conseils d’administration où il siégea quelques demi-journées par an (France 2, AFP, CELSA, Réunion des musées nationaux…), il reste aujourd’hui à cet insatiable amateur de conseils, âgé de 67 ans le 30 avril prochain et admis à la retraite du Conseil d’Etat depuis le 3 juin 2011, à gagner son "bâton de maréchal" en s’asseyant au Conseil constitutionnel, pour un confortable mandat de 9 années. Cela tombe fort bien, car trois de ses membres doivent précisément le quitter dans quelques semaines, début mars 2013 : Mmes Jacqueline de Guillenchmidt et Claire Bazy-Malaurie, et M. Pierre Steinmetz.

On peut supposer que, dans son actuelle campagne de candidature dans les coulisses de l’Etat, auprès des entourages tant du président de la République que des présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, autorités désignant les membres du Conseil constitutionnel, Michel Boyon espère bénéficier du soutien actif d’au moins deux des membres partants : Pierre Steinmetz, son ancien condisciple à l’ENA, promotion Robespierre 1970, et qui le précéda au poste de directeur de cabinet du Premier ministre Raffarin de 2002 à 2003, et Jacqueline de Guillenchmidt, ancienne membre du CSA, de 1999 à 2004. Nul doute également que son épouse, directrice associée du fameux cabinet de lobbying Image 7, joue un rôle de premier ordre dans la mobilisation en sa faveur de tous les réseaux de pouvoir (lire ici). On comprend par ailleurs que notre impétrant prenne tant de soin à exprimer publiquement l’admiration qu’il voue désormais à Olivier Schrameck, son successeur au CSA, qui fut justement secrétaire général du Conseil constitutionnel et reste très proche de l’actuel président de la République (voir par exemple son discours aux vœux du CSA, le mercredi 16 janvier, pour un moment de franche rigolade, musique d’ascenseur en prime, c’est ici).

On saisit mieux enfin le sens de ses multiples prises de parole récentes, sonnant comme autant de déclarations d’allégeance, et tout particulièrement la ferveur avec laquelle, quelques semaines à peine après l’élection de François Hollande, Michel Boyon opéra un revirement total de ses positions passées en exprimant soudainement en juin 2012, et à maintes reprises depuis, son adhésion inconditionnelle et « militante » (sic) à un rapprochement entre le CSA et l’ARCEP, collant ainsi au souhait du nouveau président de la République, revirement qui cloua de stupeur (et d’inquiétude) l’ensemble des collaborateurs du CSA.

L’Antéattila, partout où il passe l’herbe repousse

Il reste néanmoins douteux que cet activisme forcené aboutisse au succès. Objectivement, la partie de carrière de Michel Boyon réellement exercée au sein du Conseil d’Etat, donc dans l’exercice de missions juridictionnelles, fut somme toute de courte durée et essentiellement concentrée dans les lointaines années 70 et 80. Quant à ses passages dans les cabinets ministériels (directeur de cabinet de François Léotard et plus tard de Jean-Pierre Raffarin), ils furent marqués d’une couleur politicienne tellement indélébile qu’elle ne sied guère à l’impartialité et à la hauteur de vue que l’on attend des membres du Conseil constitutionnel. Enfin, la pratique du pouvoir exercé par Michel Boyon au cours des six dernières années, au CSA, ne lui décerne assurément pas ce brevet d’indépendance, comme on l’aura constaté à la lecture des précédents épisodes de notre "feuilleton CSA" (ici).

En définitive, la nomination surprise au Conseil constitutionnel de ce haut fonctionnaire très marqué à droite n’aurait pour le pouvoir actuel qu’un seul avantage tactique, mais léger et surtout de très courte durée : celui d’une pure communication politique, en vue de compenser une série de nominations "de gauche" autrement plus conséquentes, telle que précisément celle d’Olivier Schrameck à la présidence du CSA. L’argument n’est toutefois probablement pas suffisant pour donner satisfaction aux ultimes ambitions de Michel Boyon, même si en politique, les décisions ne sont pas toujours rationnelles. Il nous paraît donc temps de saluer le départ à la retraite de cet inestimable "grand serviteur de l’Etat", en l’assurant de notre éternelle reconnaissance, à la fois pour avoir totalement éradiqué le dopage (CPLD), apuré la dette de la SNCF (Réseau ferré de France) et surtout pour avoir créé, au cours de son mandat au CSA et comme il le revendique lui-même en toute modestie, "la meilleure télé du monde". Partout où il est passé, ce fut une franche réussite. C’est certes injuste, mais ce sont toujours les meilleurs qui partent.

Didier Maïsto

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