Dolto

Nouvelle charge contre Françoise Dolto

Le psychologue Didier Pleux publie un essai sur la pédagogie que défendait Dolto, n’hésitant pas à pointer du doigt son parcours personnel pour critiquer ses idées. Polémique en vue.

La Déraison pure, c’est le titre choc du nouvel essai de Didier Pleux consacré à Françoise Dolto, paru ce mercredi 16 octobre. Cinq ans après un premier tir où il critiquait la conception de l’éducation de la célèbre pédiatre, ce psychologue entend réexaminer cette théorie à l’aune de la biographie, autrement dit juger si la vie de Françoise Dolto est en contradiction avec son œuvre ou si, à l’inverse, elle permettrait d’expliquer des prises de position que Didier Pleux juge déconnectées de la réalité éducative.

Question de méthode

Didier Pleux s’est principalement appuyé sur les dits et écrits de la psychanalyste, et sur sa correspondance. Tout est vérifiable et précisément référencé, bien que certaines sources soient contestées. Il se réfère notamment à l’Autoportrait d’une psychanalyste, paru en 1989 au Seuil, un ouvrage “attribué à tort à Dolto”, selon Élisabeth Roudinesco : “Il s’agit d’un enregistrement réalisé à la va-vite par deux psychanalystes, un mois avant sa mort alors qu’elle était sous assistance respiratoire. Elle dit n’importe quoi” (Elle, 11/10/13). Ce recueil est néanmoins dans toutes les librairies, édité sans mise en garde particulière ; et s’il reprend des propos qui en sont issus, Didier Pleux n’a rien inventé.

La méthode fait grincer des dents : l’auteur est accusé de juger la personne plutôt que son œuvre et de se livrer à un procès d’intention. Sa démarche peut cependant sembler plus nuancée ; elle est dans le sillage de ce que le philosophe Michel Onfray – qui préface le texte – appelait déjà dans son essai sur Freud une “déconstruction existentielle” : de même que les thèses du fondateur de la psychanalyse, loin d’être universelles, répondraient en fait à ses propres névroses, celles de Dolto seraient également la “confession cachée de son auteur, dirait Nietzsche – des sortes de mémoires involontaires”.

Passé trouble

Pour Didier Pleux, en effet, la théorie de Dolto ne peut se comprendre qu’à la lumière de son attitude durant la Seconde Guerre mondiale. Citant la correspondance de la pédiatre dans les années 1930-1940, il rappelle qu’elle était lectrice du quotidien nationaliste L’Action française et qu’elle avait “foi dans le redressement de la France dans la ligne amorcée par Pétain”, selon ses propres mots. Durant l’occupation allemande, poursuit Didier Pleux, elle est enrôlée dans la fondation d’Alexis Carrel, un centre de recherche sulfureux, institué pour créer une élite en recourant notamment à des procédés eugénistes.

Pour autant, comme le note un recueil d’articles sur la psychologie en période de dictature paru en 2012, on ne peut pas en inférer les convictions profondes de Dolto, qui se dira trotskyste à la Libération. “Dolto n’a jamais pris publiquement position en faveur du régime de Vichy, objecte de son côté Élisabeth Roudinesco. Elle n’a pas commis d’acte de collaboration.” Elle confirme cependant que “Dolto était issue d’une famille catholique de la droite extrême et qu’elle en portait les traces”.

Autorité ou autoritarisme

La thèse de Didier Pleux ne se réduit cependant pas à un procès en “collaborationnisme” sans rapport avec l’apport de Dolto comme pédiatre et psychanalyste – ce que le philosophe Léo Strauss dénonçait comme “reductio ad Hitlerum”, on dirait un “point Godwin” aujourd’hui. L’auteur affirme qu’elle rejette ensuite toute forme d’autorité dans l’éducation parce qu’elle rejetterait sa propre attitude sous le régime autoritaire de Vichy. “N’a-t-elle pas “refoulé” tout ce qui la rend coupable dans cette période de l’occupation allemande ?” interroge-t-il. “De ce massif “refoulement” naît une théorie révolutionnaire, poursuit-il. L’enfant va devoir se débarrasser de tout autoritarisme.”

Selon la psychanalyste Claude Halmos, cependant, interviewée dans Elle, accuser Dolto d’être antiautoritaire est “un contresens terrible”. La pédiatre fixerait un cadre, mettrait des limites : “Elle dit que tous les désirs sont légitimes, mais que tous ne sont pas réalisables. Parce qu’il y a la loi et le respect de l’autre (…) Elle dit que l’enfant a une place, mais pas toute la place. En aucun cas, il ne doit être au centre de la famille.” Force est toutefois de constater que certaines citations antiautoritaires ont mal vieilli, rappelle Didier Pleux : dans La Cause des enfants, notamment, Dolto compare le fait d’obliger un enfant à arriver à l’heure à l’école à “du nazisme déguisé” et du “grégarisme” – une comparaison pour le moins excessive.

Histoire

Le débat se poursuit, mais reste difficile à trancher tant qu’une biographie complète de Françoise Dolto ne verra pas le jour. Or la fille et ayant-droit officielle de celle-ci, Catherine Dolto, refuse de rendre publiques les archives qui permettraient la réalisation d’un tel travail. “Elle a refusé plusieurs biographes professionnels, détaille Élisabeth Roudinesco. Ce n’est même pas pour cacher quoi que ce soit, mais pour que rien ne lui échappe. Aucun historien sérieux ne peut travailler dans de telles conditions.” Faute de mieux, on peut toujours (re)lire l’œuvre de Dolto pour se faire sa propre opinion sur ses idées – si connaître l’auteur permet d’apporter un éclairage inédit sur son œuvre, ce n’est peut-être pas nécessaire pour juger cette dernière.

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Pour aller plus loin :

– sur la fondation d’Alexis Carrel : un article de La Recherche

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