Victor Dojlida ou le héros ignoré de la France

Les héros discrets nous rassurent. Ils sont comme l’emblème d’une société où l’on agirait gratuitement, sans volonté de pouvoir ni de reconnaissance. Mais l’histoire de Victor Dojlida nous interroge davantage sur la capacité de la France à accueillir ses immigrés et à reconnaître ce qu’ils font pour elle.

Dans son court récit Victor Dojlida, une vie dans l’ombre, Michèle Bresle raconte de manière émouvante l’histoire vraie de celui qui, enfant, est arrivé de Pologne pour s’installer en Lorraine avec sa famille. À cette époque, on a besoin de main-d’œuvre et on ne compte pas le nombre d’immigrés qu’on fait venir ; on ne regarde pas non plus les conditions dans lesquelles on les fait venir. Quand la Seconde Guerre mondiale éclate et que les Allemands envahissent la France, Victor entreprend ses premiers actes de résistance. À peine majeur, il entre au FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans/Main-d’œuvre immigrée). Sans doute son engagement fut-il inspiré par un père communiste, et plus généralement par le milieu ouvrier migrant où régnait une très grande solidarité. En 1944, un policier français l’arrête, un juge français l’accuse et la Gestapo l’envoie à Dachau, d’où il reviendra.

Intransigeant

Ce parcours aurait dû mener Victor Dojlida à la reconnaissance de sa patrie d’adoption. Mais c’était sans compter sur l’intransigeance du personnage. Quand il cherche à faire établir ses papiers d’identité, au retour des camps, il reconnaît le policier qui l’avait dénoncé. De coups de justice en coup de colère (il casse la gueule du flic, braque un café qui était un repère de collabos, puis une usine qui travaillait pour les nazis), Victor Dojlida passe près de quarante années dans les prisons françaises. Lourdement condamné à chaque fois, il ne renonce pourtant jamais et ses tentatives d’évasion ne font qu’alourdir sa peine. Avant l’indignation polie, il y a cette colère incontrôlable contre un système qui a ignoré son courage et sa souffrance.

Ignoré

La terrible histoire de Victor Dojlida montre comment la France a préféré réintégrer des Français qui l’avaient trahie plutôt que d’intégrer un immigré qui l’avait servie. Lui fait écho une expérience de vie, plus récente et moins tragique, retracée dans la livraison d’hiver de la revue XXI* : celle de Mohamed Chelali, né en Algérie et immigré en France dans les années 1990, qui décida, après des années difficiles, d’aller vivre au Canada dont il devint citoyen. En 2002, il revient en France pour des vacances et assiste avec ses enfants au défilé du 14 Juillet. Là, il sauve Jacques Chirac de la tentative d’attentat d’un jeune militant d’extrême droite. Pour cet acte de courage, il reçoit la Légion d’honneur. Mais les médailles sont toujours tardives et ne suffisent pas à faire revenir ceux qu’on a si mal accueillis.

Réhabilité par la littérature

Victor Dojlida n’aura jamais reçu de médaille – il est mort en 1997 –, mais le récit de Michèle Lesbre, par son écriture juste et pudique et avec une empathie tout en retenue, vient comme une réparation de l’ignorance et du dédain dont il fut victime parce qu’il était immigré. Si ce n’est pas le propos du livre, on pense souvent à notre époque, où les craintes de chacun se convertissent si facilement en une haine de l’autre.

* “Mohamed, l’homme qui sauva le président”, par Éric Lemasson, XXI, hiver 2013.

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Victor Dojlida, une vie dans l’ombre, de Michèle Lesbre, éditions Sabine Wespieser, févier 2013.

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