Un Salon du Livre fait d'utopie et d'apathie

Malgré un postulat sur l'Utopie alléchant, le salon a fait perdre à cette figure idéale un peu de son piquant mystique.

Un salon-bric à brac littéraire, répertoire à bizarreries

Sur le papier, l'annonce de ces 30 000 bouquins était grandiloquente. Mais les faits ont été quelque peu différents. Le salon faisant aussi office de rencontres entre éditeurs de régions, auteurs et libraires locaux, les produits du terroir étaient à l'honneur. Le marché bovin en Franche-Comté, les produits agro-arômatiques de Provence, les grands vins symbole d'un Languedoc-Roussillon bon vivant ou les recettes gourmandes de l'artisanat alsacien, la chute a été rude pour les grands passionnés de littérature qui s'attendaient à contempler des étalages entiers de romans utopiques du XVII et XVIIIe siècle.

Représenté par une centaine d'éditeurs désireux de promouvoir au mieux leur structure, le salon a aussi été le lieu de toutes les bizarreries littéraires. Des livres du bien-être et du développement personnel pour madame habituée de la médiathèque ; des livres du voyage évoquant cultures du monde et rites africains aux trois rayons récurrents sur la bande dessinée enfantine en passant par une édition carcassonnaise exclusivement gay-friendly pour les plus ouverts d'esprit, l'objectif d'amadouer la famille-tout-le-monde était flagrant.
Là encore, le lien avec le thème de l'utopie est resté lointain voire théorique, n'en déplaise aux férus de littérature romantique qui ont dû se contenter de quelques poches de Kerouac et Kafka, deux auteurs qui ne respirent pas non plus l'utopie.

Et l'Utopie dans tout ça ?

Sous le chapiteau, à gauche des étalages, les plus curieux pouvaient s'extirper de la foule encombrante et assister aux débats sur l'utopie.
Considérée sous plusieurs angles, l'Utopie a fait jaser. D'abord étudiée sous l'angle littéraire le samedi matin, Lire et Ecrire l'Utopie a consacré une conférence foncièrement universitaire à la vision analytique ronflante des quelques maîtres de conférence en présence, sans égard aux néophytes présents dans la salle. Vue comme une métaphore sociale, l'utopie a ensuite été l'élément central de deux conférences politico-historiques qui ont fait un rapprochement habile entre mai 68 et le procédé de l'utopie.

Autre conférence intéressante, celle du dimanche, intitulée Voyages en Utopies qui bénéficiait de trois intervenants à l'expérience fascinante : Christophe Cousin, réalisateur de documentaires et voyageur hors pair, Pierre Gras journaliste, expert de l'Amérique Latine et Jean Pierre Lamic, fondateur de l'association Voyageurs et voyagistes éco-responsables. Tous les trois ont discuté le temps d'une après-midi sur les sociétés alternatives dites utopiques et la question de leur devenir ; un débat exotique, riche et dépaysant qui permit de déplacer l'étude de l'utopie sous un angle davantage pragmatique et utile.

Ce week-end, le visiteur, perplexe au premier abord devant le caractère confus du dispositif du salon (des présentoirs étriqués façon marché dominical) ou face à son atmosphère cacophonique de kermesse, devait alors s'interroger sur l'intérêt moderne de l'utopie. A lui d'opérer des rapprochements, de donner libre cours à sa spiritualité, de saisir l'opportunité des rencontres et de retrouver peut-être le sens de l'utopie pour apprécier ce salon décousu avant tout conçu en confusion et abstraction. Pas sûr que cela fût une réussite.

Julien Lamy

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