Tony Garnier et son projet de “cité industrielle” [Une cité industrielle 3 SAT 2 / Gilles Bernasconi / Crédit photographique (reproduction) / Archives municipales de Lyon] (montage LC)
Tony Garnier et son projet de “cité industrielle” [Une cité industrielle 3 SAT 2 / Gilles Bernasconi / Crédit photographique (reproduction) / Archives municipales de Lyon] (montage LC)

Histoire : comment Tony Garnier a façonné Lyon

Petit architecte de province (vu de Paris) ou visionnaire qui a su marquer durablement une ville (vu de Lyon), Tony Garnier a laissé un héritage d’une grande modernité. Mais ses rêves les plus ambitieux n’ont jamais vu le jour. Entre utopie industrielle et ambitions inachevées, ces projets auraient pu encore plus changer le visage de Lyon.

Lorsqu’on pense à un architecte qui a marqué l’histoire de Lyon, difficile de ne pas immédiatement citer Tony Garnier. Son héritage est toujours présent dans le quotidien des Lyonnais, que ce soit le stade de Gerland, la halle qui porte son nom ou l’hôpital de Grange-Blanche (devenu Édouard-Herriot). Pourtant, malgré son empreinte sur la ville, Tony Garnier n’a jamais eu l’aura internationale qu’il aurait pu mériter, relégué au rang d’architecte de province par un Paris tout-puissant. À l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, les archives municipales lui consacrent une exposition, sous le titre “Le maire et l’architecte”. Car, si Tony Garnier tenait le crayon, il a pu profiter d’une relation quasi symbiotique avec le maire Édouard Herriot, de trois ans son cadet, autre monstre sacré de l’histoire lyonnaise avec ses multiples mandats de 1905 à 1957. Grâce à cette exposition, les rêves perdus de l’architecte refont surface.

De la soie aux beaux-arts

Tony Garnier, né à Lyon le 13 août 1869, est le fils d’une tisseuse de la Croix-Rousse et d’un dessinateur en soieries. Il se dirige vers des études techniques à la Martinière, avant d’intégrer l’école des beaux-arts de Lyon en 1886, puis de s’attaquer à celle de Paris de 1890 à 1899. Durant cette période, il tente à six reprises le Grand Prix de Rome, réussissant seulement lors de sa dernière tentative grâce à son projet d’“hôtel pour le siège central d’une banque d’État”. Grâce à ce prix, il obtient une résidence à la Villa Médicis, à Rome, avec pour mission d’établir des relevés de monuments antiques. Il va commencer à se forger une réputation d’iconoclaste, débutant sans qu’on le lui demande son projet utopique de Cité industrielle. Ainsi, quand il envoie les relevés du Tabularium romain, il les accompagne d’une note qui va faire polémique : “Ainsi que toutes les architectures antiques reposant sur des principaux faux, l’architecture antique fut une erreur. La vérité seule est belle.” Il en profite pour joindre son projet de Cité industrielle, qui sera refusé par les Beaux-Arts.

Ainsi commença l’architecte de Lyon

De retour à Lyon en 1904, Tony Garnier obtient son premier projet : la laiterie-vacherie municipale du parc de la Tête-d’Or, commandée par le maire Victor Augagneur. De ce qui doit être une simple commande sans folie, l’architecte tire un projet utilitaire avec un seul bâtiment regroupant une étable pour quarante vaches, des locaux pour la stérilisation du lait et le logement du vacher. Le sol en briques vitrifiées a été pensé pour être plus facile à nettoyer et une ventilation est prévue. Garnier et Augagneur échangent également sur un projet de grands abattoirs à Gerland mais, un an plus tard, Augagneur est nommé gouverneur de Madagascar. Il laisse son fauteuil de maire à Édouard Herriot (avec la ferme intention de s’y rasseoir à son retour, ce qu’il ne parviendra jamais à faire). Respectant les échanges amorcés, Herriot confie le projet à Tony Garnier le 30 janvier 1906. C’est le début d’une relation de travail qui durera jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Les grands travaux

À l’origine, Tony Garnier voulait du béton pour les abattoirs, mais il va rapidement opter pour de l’acier : 210 mètres de long sur 80 de large, aucun pilier, le bâtiment est d’une modernité sans pareille. En 1914, alors que l’ensemble n’est pas encore terminé, il sert d’écrin à l’Exposition universelle de Lyon. La guerre éclate, le voilà transformé en usine d’armement. Il faudra attendre 1928 pour qu’il trouve son utilisation d’origine : abattoir. Mais revenons en 1913. Édouard Herriot a de grandes ambitions hygiénistes pour Lyon et souhaite un stade non loin des abattoirs. Tony Garnier dessine alors ce qui deviendra Gerland, avec une inspiration antique renforcée par ses quatre portes monumentales et la galerie qui fait le tour du stade. Autour de celui-ci, il imagine tout un complexe avec des quartiers pour les athlètes qui ne verront jamais le jour. Le stade lui-même, dont la construction est interrompue par la guerre, sera inauguré seulement en 1926.

Par ailleurs, depuis 1906, Tony Garnier travaille régulièrement sur l’idée d’un nouvel hôpital pour Lyon, dans un premier temps à la place de l’Hôtel-Dieu (qu’il prévoit de raser en grande partie). Le classement du bâtiment, en 1909, met fin à toute volonté destructrice. En 1918, l’architecte présente alors le projet d’une poste centrale qui conserverait les anciens bâtiments en y accolant de nouveaux, plus modernes ; sans succès. Édouard Herriot a une autre idée, inspirée des pays nordiques : un hôpital formé de pavillons, qu’il imagine faire construire loin du centre, dans le quartier de Grange-Blanche. Les travaux débutent en 1913, pour se terminer en 1933. Tony Garnier, qui se définit lui-même comme un libre-penseur, ne veut pas réaliser la chapelle et demande à l’un de ses proches, Louis Thomas, de s’en charger.

Parallèlement, durant près de vingt ans, l’architecte planche sur son projet de “cité industrielle”. En 1917, il en aurait offert un ensemble de plans à Édouard Herriot, original dont est tiré le fac-similé qui vient d’être publié (voir ci-dessous). Avec la cité des États-Unis, il va avoir l’opportunité de façonner un quartier selon ses envies – ou presque, car la ville le contraint à densifier l’habitat en ajoutant deux niveaux à ses immeubles de trois étages. Quand les douze îlots du quartier sont terminés, en 1934, ils sont donc plus hauts, mais aussi plus rapprochés, que ce qu’avait imaginé l’architecte. Même si la philosophie se rapproche de son projet de Cité industrielle, le résultat final n’en est qu’un reflet où l’utopie semble avoir disparu. En 1938, Tony Garnier livre son dernier projet : son tombeau, au cimetière de la Croix-Rousse. Il se retire alors à Bédoule, près de Marseille, où il s’éteint en 1948. Au-delà de ses projets architecturaux, Tony Garnier n’a jamais cessé d’enseigner, formant pendant trente ans les talents qui vont lui succéder. En 1988, les abattoirs sont métamorphosés et la halle Tony-Garnier embrasse une nouvelle vie, qui n’aurait pas juré dans la cité utopique dessinée par l’architecte.

Le maire et l’architecte – Exposition jusqu’au 21 mars aux archives municipales (Lyon 2e/Perrache)


Couverture de l’ouvrage “Une cité industrielle”, éditions 205ÉDITION EXCEPTIONNELLE

En possession d’un des rares exemplaires connus, les archives municipales de Lyon ont récemment numérisé Une cité industrielle de Tony Garnier. Grâce à ce travail exceptionnel, les éditions 205 et Archipel, en partenariat avec les archives municipales, viennent d’éditer le premier véritable fac-similé réalisé à partir d’un original, composé de 164 planches, plans de la ville entière, de quartier, de détail, illustrations en perspective… Certains documents sont des grands formats reproduits sur un ensemble de cahiers non reliés. Cette édition est quadrilingue (français, italien, anglais et allemand), fidèle à la vision d’un architecte universaliste.

Tony Garnier / Une cité industrielle – 29 €, en vente à la librairie Archipel, 21 place des Terreaux, Lyon 1er


[Article extrait de Lyon Capitale n° 793 – Novembre 2019]

Lyon : ces projets de Tony Garnier que nous ne verrons jamais

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