Ivan Jablonka montage Laetitia

Ivan Jablonka fait (aussi) le portrait d’une jeunesse périurbaine

Invité à Bron pour la Fête du livre ce samedi, mais aussi à la fin du mois à Quais du polar, Ivan Jablonka est un auteur très demandé à Lyon cette année. Peut-être parce que son livre est inspiré d’un fait-divers macabre qui avait fait la une des journaux, mais aussi parce qu’il offre à Laëtitia un tombeau de mots lumineux. Entretien avec un historien qui écrit pour “aider les morts à ne pas mourir*”.

“Le fait-divers est un prisme qui envoie sa lumière dans toutes les directions”

Lyon Capitale : Vous participez cette année à la Fête du livre de Bron, à Quais du polar et aux Assises internationales du roman, comment appréhendez-vous cette triple invitation ?

Ivan Jablonka : C’est un grand honneur. En tant que prof d’histoire à l’université, je suis habitué à m’adresser à des étudiants. Mais là, c’est aux lecteurs de littérature, de sciences humaines, de polar que je m’adresserai. C’est un espace de débat et de rencontres fondamental. En définitive, c’est toujours le lecteur qui a le dernier mot sur ce que l’on produit.

Est-ce difficile de parler d’un livre qui est basé sur un fait-divers si tragique ?

Du point de vue du sujet, il parle avant tout de la vie d’une jeune fille. Ce n’est pas un livre qui est triste ou macabre. On sait qu’elle a été tuée dans des circonstances horribles, mais je rappelle sa joie de vivre, son caractère positif. C’était une personne solaire et j’espère que sa lumière est transmise dans mon livre.

Du point de vue du genre, il y a effectivement une discussion. Mon livre est à la fois un livre de sciences humaines, une biographie, une enquête, un travail littéraire, une oraison funèbre, et c’est aussi un polar – il y a une scène de crime, un procès, un rythme, un suspense… C’est un texte-recherche, il s’interroge aussi sur sa propre forme.

L’actualité littéraire, avec notamment Simon Liberati et son livre sur Charles Manson, a mis en avant des livres basés sur des faits-divers…

Effectivement, et l’on pourrait dire aussi que le Goncourt de Leïla Slimani met en scène un fait-divers. C’est un genre littéraire auquel Truman Capote et Emmanuel Carrère en France avec L’Adversaire ont donné ses lettres de noblesse. Mais la spécificité de mon livre est qu’il est aussi une enquête sociologique, historique, anthropologique… J’utilise des outils qui sont liés à ma formation en sciences humaines. La vie de Laëtitia amène une réflexion plus vaste sur les violences faites aux femmes, le sort des enfants placés dans des familles d’accueil. Mon livre n’est pas centré sur la figure du meurtrier mais sur la victime, sur l’absente.

Vous dites que le fait-divers permet de sonder la “profondeur humaine et historique”…

Oui, j’amène des questionnements qui sont ceux de notre société. Comment le président de la République d’alors s’est emparé de ce crime, le rôle des médias… Je fais aussi le portrait d’une jeunesse périurbaine dont on ne parle jamais. Le fait-divers est un prisme qui envoie sa lumière dans toutes les directions.

Que pensez-vous de cette idée donnée par la Fête du livre de Bron selon laquelle nous sommes à un carrefour ?

Nous sommes proches d’un rendez-vous électoral important. Mon livre pose des questions comme celles des violences, physiques, sexuelles, dont les politiques pourraient s’emparer. Même si Nicolas Sarkozy n’est plus dans la course, les questions sur les liens du pouvoir judiciaire et du pouvoir politique restent posées. La question de l’instrumentalisation de la peur, qu’elle soit liée aux faits-divers ou au terrorisme, reste aussi dans le débat.

Ceci n’est pas (seulement) un fait divers
Table ronde avec Ivan Jablonka, Didier Castino et Thierry Hesse
Samedi 11 mars à 12h45, salle des Parieurs de l’hippodrome de Bron, dans le cadre de la Fête du livre 2017.

Un magnifique “tombeau” pour Laëtitia

Au fond, la question du genre littéraire auquel appartient le livre d’Ivan Jablonka Laëtitia ou la Fin des hommes, prix Médicis 2016, n’a d’importance que si on la dépasse. C’est à la fois une enquête sociologique, historique et un éloge funèbre, un tombeau de mots adressé à Laëtitia Perrais, une jeune fille qui connut un sort tragique un soir de janvier 2011. Elle fut assassinée, démembrée et sans doute violée par Tony Meilhon, voyou multirécidiviste. Une affaire qui connut un retentissement d’autant plus grand que Nicolas Sarkozy, alors président de la République, touché comme tous les Français par cette mort épouvantable, crut légitime d’accuser l’appareil judiciaire qu’il aurait dû protéger.

Si Ivan Jablonka reconstitue parfaitement le climat de l’époque, les péripéties juridiques et la méticulosité de l’enquête policière, il s’attache surtout à dépeindre la vie de la victime. Une jeune fille semblable à beaucoup d’autres, vivant et travaillant comme serveuse dans une petite ville côtière de Loire-Atlantique, La Bernerie-en-Retz. Mais aussi singulière par son courage dans une existence déjà marquée par le sceau de multiples malheurs. On découvre ainsi comment, retirée à la garde d’un père violent, elle fut recueillie par un couple dont l’homme abusera de sa sœur jumelle. Ivan Jablonka réussit à donner à son récit une lumière d’autant plus bouleversante qu’elle éclaire un tableau d’une grande tristesse.

Ivan Jablonka / Laëtitia ou la Fin des hommes, éditions du Seuil, août 2016, 400 p.
* Citation complète : “écrit des textes qui aident les morts à ne pas mourir”. Extrait des quelques lignes par lesquelles Ivan Jablonka se présente sur le site de Quais du polar.
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