Fred Bendongué danse le slam d’Abd Al Malik

RENCONTRE – Chorégraphe et magnifique danseur issu de la première génération hip-hop des années 1980 qui émergea dans la banlieue de Vénissieux, Fred Bendongué crée Silence... on rêve, un solo sur le slam d’Abd Al Malik.

Lyon Capitale : Depuis plus de vingt ans, vos spectacles évoquent, dans des esthétiques différentes, l’esclavage et la diaspora noire dans le monde. Pourquoi ce retour au hip-hop et cette rencontre avec Abd Al Malik ?

Fred Bendongué : Une envie simplement de renouer avec mes racines, avec le recul de la maturité, sans pour autant être nostalgique. Un besoin vital d’artiste et d’homme pour continuer et me dire que je suis toujours en phase avec mes convictions. Mais je ne me suis jamais réellement éloigné du hip-hop dans le fond, seulement dans la forme, avec un travail qui emprunte à la danse contemporaine et africaine, à la capoeira ou la congolaise. Cette envie est venue alors que je découvrais l’univers d’Abd Al Malik. Son écriture et sa sincérité m’ont fasciné, j’ai été touché par le fait qu’il parte de cet être de banlieue pour aller vers l’être universel. Il parle de douleur, d’isolement, de solitude, d’amour, il raconte des histoires d’hommes et de femmes qui touchent tout le monde finalement, quelle que soit leur classe sociale. Je me suis complètement retrouvé dans cette approche et j’ai senti qu’il était le partenaire idéal pour ce solo.

Cette origine sociale résonne avec votre parcours ?

Oui, c’est moi, mais c’est aussi l’histoire de tas d’autres personnes issues de la banlieue, certaines ont eu accès à la scène artistique, d’autres pas mais qui en tout cas cherchent à créer ou à s’ouvrir sur le monde. C’est la gravité du propos au départ qui me relie à Abd Al Malik et j’aime qu’elle soit liée à un individu, un groupe, une femme. Il s’agit de la tirer vers le haut et faire en sorte qu’elle génère du beau, de l’émotion, qu’on ne construise pas son propre cercueil. Ça a été ça mon parcours et, même en abordant l’histoire de l’esclavage, j’ai essayé de créer une autre esthétique chorégraphique. On n’appuie pas sur le mal, on ne surenchérit pas le drame. C’est un fait, une histoire d’hommes, de femmes, on se réapproprie, on raconte aux autres et on crée une œuvre.

“Une fois que le hip-hop a commencé à aller vers le spectacle racoleur, ceux qui voulaient aller vers une réflexion, une pensée n’existaient plus”

Aujourd’hui, la danse hip-hop – à quelques exceptions près – a perdu cette notion de résistance et de subversion qui la caractérisait. Est-ce que vous vous retrouvez dans sa représentation sur scène ?

Non, et d’une certaine manière j’ai tenté de continuer à résister en refusant de tomber dans une forme de spectacle facile, j’ai pris des risques et cela m’a coûté cher. Et c’est dommage, à un moment donné on nous regardait comme des précurseurs avec des propositions pertinentes et, une fois que le hip-hop a commencé à aller vers le spectacle racoleur, ceux qui voulaient aller vers une réflexion, une pensée n’existaient plus. Aujourd’hui, on est dans une espèce de démagogie culturelle, une culture de masse erronée, et je crois que trente ans après on peut être déçu par ce qu’est devenue la danse hip-hop.

Vous avez choisi trois textes d’Abd Al Malik. Quels sont-ils et comment avez-vous travaillé avec ?

Il y a La Gravité, qui parle de cette idée d’aller de l’avant malgré tout, de se propulser, L’Alchimiste qui lance un message d’espoir et d’amour, et Château rouge qui parle de l’isolement, de la douleur, des fractures et d’une envie très forte de trouver des sorties. Je me suis réellement imprégné des textes, en les écoutant de nombreuses fois, et j’ai essayé de travailler avec le plus de tact possible, en veillant à ne pas tomber dans l’illustration. Par moments, la danse recule devant le texte et inversement. Et, dans les temps où il n’y a pas de texte, je me sens toujours relié au sens des mots, à cet univers commun. C’est un dialogue, avec une danse qui n’est pas dans l’expansif mais plutôt dans une gestuelle qui recherche les fondamentaux du hip-hop, le socle qui permet d’aller plus loin. Le rapport au sol, le relâché, les attitudes debout... La manière dont Abd Al Malik dit les choses est beaucoup plus rythmée et plus musicale que d’autres slameurs, et c’est un réel plaisir de danser avec lui. Par-dessus tout, ce qui me semble fondamental dans cette rencontre, c’est cette idée que, même si on ne fréquente pas les mêmes scènes, des auteurs différents et des pensées convergent, des propositions existent et que des jeunes puissent aussi s’en inspirer.

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Silence... on rêve, de Fred Bendongué. Le 16 avril au théâtre Jean-Vilar de Bourgoin-Jallieu (en première partie du concert d’Abd Al Malik), le 28 mai au théâtre de Grigny (69) et les 1er et 2 juin au Château-Rouge d’Annemasse dans le cadre du festival Friction(s).

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