LYON Capitale du mercredi 29 juillet au mardi 4 août 1998 page 11

Il y a 20 ans : "Sous l'opéra le smurf"

Il y a 20 dans Lyon Capitale - Au pied de l'opéra de Lyon, les passionnés de hip-hop viennent s'entraîner sous les yeux des passants.

Les danseurs de hip-hop se font de plus en plus nombreux à Lyon. Plusieurs d'entre eux ont décidé de se confier. Chad, Roustem, Halim et le danseur professionnel du Cie Accrorap, David, expliquent leur passion pour cette discipline. Ensemble, ils analysent l'avis des nombreux passants sur cet art, pas toujours accepté auprès des puristes.

LYON Capitale du mercredi 29 juillet au mardi 4 août 1998 page 11

Sous l'opéra, le smurf

Rencontre. Voilà plus d'un an qu'une dizaine de jeunes danseurs de hip-hop se retrouve tous les jours devant l'Opéra. Triple tour sur la tête, c'est le corps à la renverse qu'ils cherchent à être en symbiose avec la ville.

Pantalon de survêt', bonnet vissé sur la tête.... Près d'une dizaine de jeunes danseurs de hip-hop, âgés de 13 à 20 ans, font face à l'entrée de l'Opéra National de Lyon. Sur le sol lisse et brillant de l'imposant monument, l'un d'entre-eux bascule son corps et virevolte sur une main tel un gymnaste sur un cheval d'arceau. La figure s'appelle, en jargon hip-hop, "le moulin". Un autre vient le rejoindre, renverse sa tête et tourne sur le crâne. A vous donner le tournis... A quelques mètres, un touriste japonais aux allures d'homme d'affaires observe la scène, visiblement impressionné par ce qui est en train de se dérouler sous ses yeux. Des mômes assis sur les marches de l'entrée de l'Opéra ne pipent mot, retenant parfois leur souffle comme s'ils assistaient à un numéro de haute-voltige. Voilà plus d'un an que Chad, Roustem, Halim et les autres, pour la plupart issus de la banlieue lyonnaise, viennent s’entraîner presque tous les jours devant l'Opéra. ''Même par temps de pluie" insiste Chad. David est également souvent de la partie. Danseur professionnel au sein de la Cie Accrorap, reconnue nationalement, il aime à faire un petit "retour au source" dès que les répétitions et les tournées lui laissent quelque répits.

Le hip-hop, une philosophie

Le hip-hop, ils sont tous tombés dedans, il y a déjà quelques années. Ce mouvement, né dans les ghettos américains (1) et repris en France dans les années 80 les a séduits pour les valeurs qu'il véhicule : "l'énergie et le respect". L'énergie, il n'y a pas de doute, ils en ont à revendre. A les voir s'entraîner inlassablement pour parfaire leurs figures spectaculaires on croirait qu'ils ont mangé du lion. Pourtant, ils affichent une sérénité presque "tibétaine". D'un ton posé, ils expliquent leur "philosophie de vie'' : David, l'aîné du groupe, celui qui connaît le succès avec sa compagnie Accrorap confie : "ce n'est pas parce-que j'ai un statut de danseur professionnel que je suis au top. Le hip-hop s'est un peu comme une discipline, on n'affamais finit de se former et de chercher les meilleurs enchaînements'' : S'exercer dans la rue est aussi pour lui "tout naturel'' : "Faire partie d'une compagnie n'est pas une fin en soi. Dans les théâtres on s'adresse à un public restreint alors que la véritable essence du hip-hop c'est d'être un art de la rue. Un art pour tous", poursuit David avec une conviction toute inébranlable. Et à ceux qui pour-raient croire que répéter devant l'Opéra est un pied de nez à la culture "officielle", Chad et Roustem répondent sans détour : "trouvez-nous un sol aussi lisse, afin qu'on puisse faire nos figures. Le tout dans un lieu couvert et aussi accessible en bus que l'Opéra, on n'hésitera pas à y aller".
Ainsi, danser devant l'Opéra n'a pour eux rien d'une provocation ou d'une revendication.

Les spectateurs dans la rue

Reste que le public, nombreux, drainé par ce lieu de prestige n'est pas pour leur déplaire. "C'est motivant. Les soirs de spectacles les gens s'arrêtent et applaudissent. Un jour, un spectateur a même cru que la représentation de l'Opéra se faisait dans la rue", souligne Roustem en redressant les épaules, comme par fierté. Certes, les breakers ne font pas l'unanimité auprès du public de l'Opéra. Il y a bien quelques personnes qui disent que ce n'est pas digne d'un lieu de prestige et qui souhaiteraient qu'on les expulse. Mais, la plupart, ont un regard assez positif. C'est vrai que leurs performances physiques sont impressionnantes", confie un agent d'accueil de l'Opéra. Si les danseurs de hip-hop sont aujourd'hui relativement bien perçus à l'Opéra, il n'en a cependant pas toujours été de même. Pendant un temps, les agents de sécurité ont multiplié leurs rondes. "Il nous a fallut leur faire comprendre que notre seul objectif c'était de danser. Plutôt que de le dire avec des mots, on dansait, on dansait, voilà tout'', explique Halim à l'allure juvénile. "Au Moyen Âge, les spectacles de rue faisaient partie intégrante de la vie quotidienne. Mais aujourd'hui, après leur boulot, les gens vont dans des lieux clos pour pratiquer une activité ou voir un spectacle. Sans vouloir être passéiste, je crois qu'on est en train de perdre le sens des choses simples de la vie. Je rêve du jour ou les urbanistes seront capables d'être attentifs à un mouvement comme le hip-hop pour faire des places publiques où l'on puisse danser, sans se faire mal sur le béton. Je rêve du jour où on pourra être en totale symbiose avec la ville", soupire David. Le corps à la renverse et la tête dans les étoiles, cette quête, ils semblent en tout cas bien décidé à la mener.

Aude Spilmont

(1) - Le mouvement hip-hop, né au milieu des années 70 aux États-Unis rassemblent trois pôles artistiques : musical corporel (danse : break-dance, smurf, hype...) et graphique (tag, graff...). Il est aussi un mouvement de conscience. C'est Afrika Bambaataa qui fonda la "zulu nation': porteuse du message hip-hop. Son mot d'ordre : transformer l'énergie négative des gangs en énergie positive et constructive au travers de la nouvelle culture de la rue.

LYON, CITÉ HIP-HOP

Réussite. Après Paris et Marseille qui ont façonné l'histoire du hip-hop français, Lyon est en passe d'imposer sa griffe.

En danse, en graff ou en musique, Lyon possède, à son insu, ses représentants de la culture hip-hop, et non des moindres. Longtemps restée dans l'ombre de ses deux consœurs, la capitale des Gaules n'a enfin plus à rougir. On reconnaissait déjà la valeur des troupes de danses urbaines que la ville possède. Des compagnies comme Traction Avant, Kifig, Accrorap ou encore des artistes tel que Fred Bendongué ont depuis plusieurs années parfaitement joué leur rôle d'ambassadeurs de la région. Tout comme les graffeurs rhônalpins ont contribué à la diffusion d'une avantageuse image de Lyon à travers le monde. Mais voilà désormais que la musique s'en mêle. Par l'intermédiaire de dj Duke et du groupe Color, la ville vient d'être récompensée, pour la deuxième année consécutive, du titre honorifique ce Découverte du Printemps de Bourges. Une reconnaissance musicale que se partagent également des groupes tel que IPM, Mr Zou ou encore la Melting Family et son leader Cherif, tout comme une flopée de petits collectifs moins professionnels. Pour preuve, l'intérêt grandissant qu'affiche, aujourd'hui, la presse spécialisée pour nos artistes locaux. Le hip-hop lyonnais se porte donc de mieux en mieux et sort de sa torpeur. Et la ville possède dorénavant tous les ingrédients susceptibles d'en faire un pôle incontournable dans le palmarès des villes du hip-hop français.

Richard Laporte

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