Michel Boyon, le “sauveur” du Maroc

Il y a trois semaines, les Français apprenaient que le groupe Next Radio TV d’Alain Weill allait racheter la chaîne TNT Numéro 23 pour 90 millions d’euros. Michel Boyon, ancien président du CSA, qui avait octroyé en 2012 ce canal gratuit à son ami Pascal Houzelot, dans des conditions très contestables, a intelligemment utilisé une célèbre agence de communication pour faire diversion. De nombreux médias, du 4 au 7 avril 2015, soit au moment de l’annonce de l’acquisition, n’ont ainsi pas hésité à faire de Boyon le “sauveur du Maroc”. Mais qui a-t-il sauvé au juste ?

Michel Boyon ()

Articles dithyrambiques, vocabulaire pompier, emphase, grandiloquence, interviews admiratives, grands titres (strictement identiques), les médias français se sont soudainement emballés pour saluer "le rôle extraordinaire et crucial" joué par un personnage totalement tombé dans l’oubli : Michel Boyon, ex-président du Conseil supérieur de l’audiovisuel. “La population était très choquée et au Maroc, son nom et son visage sont désormais connus de tous”, pouvait-on lire par exemple sur le site de BFM-RMC (lire ici). "Peut-on dire que vous avez sauvé le Maroc ?" lisait-on encore dans Le Figaro, dans un publi-reportage à peine déguisé (lire ici).

Un nouveau messie…

Ainsi donc le royaume chérifien avait-il accueilli sur son sol un nouveau messie ? Les populations étaient en liesse et l’injustice enfin réparée ! Mais de quoi s’agissait-il ? Michel Boyon, reconverti en avocat, avait défendu la cause de l’équipe de football marocaine devant le Tribunal arbitral du sport (TAS). Interdits de Coupe d’Afrique des Nations 2017 et 2019 par la Confédération africaine de football (CAF), suite à son refus d’organiser la CAN 2015 en raison de l’épidémie d’Ebola, les footballeurs marocains pourront donc participer au rendez-vous continental dans deux ans. Tout ça… pour ça ?

Pour Michel Boyon, l’enjeu était plus important qu’il n’y paraissait : il s’agissait, dans un timing parfaitement étudié, de "gaver" Google par une pseudo-information immanquablement relayée par des médias se bornant à faire du copier-coller à partir d’un communiqué de presse d’agence. Ainsi le nom de Michel Boyon ne serait-il pas associé à la revente scandaleuse de la chaîne Numéro 23, que les patrons de TF1, M6 et Canal+ qualifient même de "fraude" mais uniquement au "sauvetage du Maroc", même s’il était question de la simple participation d’une équipe de football à une compétition. Tout était dans le titre. Qui a dit que tous les journalistes avaient un esprit critique et se méfiaient des communicants ?

… en conflit d’intérêts…

Rappelons que Michel Boyon est marié à Marie-Luce Skraburski, membre du comité de direction et consultante dans la célèbre "boîte de com" Image Sept, dirigée par Anne Méaux (ancienne figure du Gud, du PFN et d’Ordre nouveau). Marie-Luce Skraburski a été chargée de la communication d’Alain Madelin au ministère des Entreprises et du Développement économique, puis au ministère de l’Économie et des Finances. Elle a enfin été conseillère du président de Radio France, chargée de la communication et des relations extérieures, un certain… Michel Boyon. Tout de suite, tout devient plus clair. Ou plus opaque. Cela dépend du penchant naturel – presse ou communication, fromage ou désert. Comme dirait un célèbre journaliste média à propos de l’actuel président de Radio France, "Pellerin a fait ping, Gallet a fait pong. Bilan : une démissionnée. En politique, il faut tuer et ne pas blesser." Ambiance…

Michel Boyon © tim douet_0358 ()

© tim douet

"La Tunisie, moi j’y vais", peut-on lire en ce moment sur les murs de nos villes, dans une très belle campagne de communication incitant les Français à séjourner chez leurs voisins méditerranéens, en dépit de l’attentat du musée du Bardo, le 18 mars. Mais, une fois encore, Michel Boyon avait été précurseur : peu de temps avant la révolution, le patron du CSA se rendait à Tunis pour vanter les mérites du régime Ben Ali, déclarant : "Les Français soutiennent les efforts de ceux qui, comme la Tunisie sous l’impulsion du président Ben Ali, sont déterminés à lutter contre toute forme de passéisme ou d’obscurantisme qui conduirait à la régression sociale ou culturelle." (lire ici)

… chez l’ami Ben Ali

Tant de clairvoyance confond. Il est vrai qu’Image Sept avait hérité du budget de la communication de Ben Ali. De nombreux journalistes et hommes politiques étaient alors invités dans de somptueux hôtels et chargés à leur retour en France de divulguer la bonne parole. Enfin, ces choses-là ne se demandaient pas, elles coulaient de source entre gens de bonne compagnie, comme dans l’oasis de Ksar Ghilane. Il faut dire que la "promotion de la diversité" version Boyon, venu assurer le service après-vente d’Image Sept en apportant la caution de l’État français, ne s’embarrassait guère de nuances. Un peu comme un ancien président de la République, qui, de retour d’un voyage aux États-Unis, déclarait : "Il me faut un Noir, ou mieux une Noire !" d’après son ancienne ministre Roselyne Bachelot (lire ici).

Lors de son audition au CSA, le 8 mars 2012, pour sa chaîne TVous la Télédiversité, devenue Numéro 23, Pascal Houzelot avait utilisé le même procédé, plaçant les personnes issues de la diversité "visible" au premier rang, avant de les éconduire sans autre forme de procès sitôt son canal TNT dans la poche, comme le dévoile aujourd’hui l’humoriste Yassine Belattar (lire ici), amer d’avoir servi de simple alibi pour ce qui n’a jamais été, au fond, qu’une affaire de gros sous. À l’aune de ce que l’on sait aujourd’hui, l’interview de Michel Boyon (voir ci-dessous) à la presse tunisienne, peu de temps avant la chute de Ben Ali et de son clan, résonne d’un écho tout particulier. Appelons cela la discrimination sélective.

Voici ce que Michel Boyon déclarait à la presse tunisienne en 2009 (Propos recueillis par Mohamed GONTARA – La Presse)

Récemment de passage en Tunisie, Michel Boyon, président du Conseil supérieur français de l’audiovisuel (CSA), a bien voulu répondre à nos questions.
Monsieur Boyon, vous qui suivez de près les transformations que connaît le secteur de l’audiovisuel en France et dans le monde, comment voyez-vous l’évolution de ce secteur ?
Avec les révolutions technologiques, le monde de l’audiovisuel se transforme à un rythme stupéfiant. Je le rappelle, la mission de la radio et de la télévision, c’est d’informer, de transmettre la connaissance, de divertir. Le progrès rend la télévision accessible à tous. Les particuliers bénéficient de la baisse des prix des équipements domestiques, les procédés de diffusion des images s’améliorent sans cesse, de nouvelles chaînes apparaissent. On peut ainsi mieux répondre aux attentes et aux goûts de chacun. Mais il faut être conscient que certaines chaînes de télévision peuvent porter des messages de haine ou de violence : on ne doit pas rester inerte devant une telle situation. Lutter contre ce danger, qui ne connaît pas les frontières, est une responsabilité collective.
Comment les médias tunisiens pourraient-ils tirer le meilleur parti des nouvelles technologies de l’information ?
Les Tunisiens aiment lire et écouter, s’informer et comprendre. La presse écrite, la radio et la télévision sont très présentes, en français comme en arabe. Elles occupent une grande place dans la vie quotidienne et l’Internet devient quasiment accessible à tous. Je crois que, comme dans d’autres pays, il faut aller vers ce que l’on appelle le “média global”, c’est-à-dire un rapprochement des médias écrits et audiovisuels, une mise en commun de moyens permettant d’ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles à celles et ceux qui travaillent dans les médias, mais aussi l’exploitation des potentialités d’Internet par les médias classiques.
Quelles sont les relations du Conseil supérieur de la communication avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel français ?
Ces relations se bâtissent. Elles reposent sur des échanges d’informations, sur des réflexions communes portant sur les sujets les plus variés : le contenu des programmes, la protection de l’enfance et de l’adolescence, les bouleversements technologiques. Je me félicite du développement des compétences du Conseil supérieur de la communication de Tunisie, ainsi que du renforcement du pluralisme dans sa composition. Le CSC et le CSA de France ont tous deux la conviction que l’audiovisuel jouera un rôle majeur dans le rapprochement entre les peuples. C’est pourquoi ils se tournent aussi vers les autres institutions comparables. La construction de l’Union pour la Méditerranée – pour laquelle la Tunisie a eu un rôle moteur – est un formidable défi pour l’avenir de tous les pays qui ont en partage cette mer, berceau de nombreuses civilisations. Déjà, on vient de jeter au Caire les bases d’une grande banque de programmes télévisés qui sera alimentée par les pays méditerranéens.
Quelle importance le CSA accorde-t-il à la communication audiovisuelle dirigée vers la communauté maghrébine en France ?
Le CSA y est très attentif. L’intégration réussie est celle qui maintient un lien fort avec la langue, la culture, les traditions du pays d’origine. Nous avons accordé de nombreuses fréquences à des radios de langue arabe ou berbère. Nous avons aussi autorisé la diffusion de chaînes de télévision dont les programmes sont émis dans ces langues.
Comment les Français perçoivent-ils la Tunisie ?
Pour beaucoup de Français, le monde arabe est perçu comme un ensemble mystérieux et complexe. Mais ils sont aussi conscients de la nécessité de préserver, de renforcer sa stabilité et ses rapports traditionnels étroits avec l’Europe. La Tunisie a un rôle très important à jouer à cet égard, en raison de sa situation géographique, de sa contribution constante à la recherche de la paix, et de son influence internationale. Elle jouit d’un réel capital de sympathie, d’amitié, et même d’affection en France. S’il subsiste encore certaines incompréhensions, elles sont souvent dues à des idées préconçues. Le renforcement de la coopération entre la Tunisie et la France, la multiplication des échanges dans tous les domaines nous permettront de nous connaître mieux encore, de nous comprendre encore mieux et de contribuer à notre manière à un développement solidaire entre les deux rives de la Méditerranée. Chacun a sa musique à jouer !
Quel message la France essaie-t-elle de communiquer vers le Maghreb ?
C’est un message de paix, de tolérance et de progrès. Un message respectueux des traditions et des valeurs de chaque pays du Maghreb. Il ne s’agit pas d’inciter à copier un quelconque modèle français. Au nom de quoi la France pourrait-elle prétendre imposer tel ou tel système ? Les Français souhaitent ardemment que la concorde règne entre les pays du Maghreb. Ils soutiennent les efforts de ceux qui, comme la Tunisie sous l’impulsion du président Ben Ali, sont déterminés à lutter contre toute forme de passéisme ou d’obscurantisme qui conduirait à la régression sociale ou culturelle.
Comment voyez-vous l’évolution de la Tunisie ?
Lors de mes séjours en Tunisie, je suis impressionné, comme toute personne qui se rend dans le pays, par le remarquable niveau de développement atteint ces dernières années. Tout visiteur constate que l’activité économique, la qualité de l’infrastructure et le niveau de vie des citoyens tunisiens progressent à un rythme soutenu. C’est d’autant plus méritoire que le pays n’a que peu de ressources naturelles. Il compense cette lacune en exploitant, avant tout, sa richesse humaine, en développant ses capacités industrielles, en promouvant des activités de services à forte valeur ajoutée, en accueillant des investissements étrangers productifs, sans oublier bien sûr le socle agro-alimentaire. C’est pourquoi la Tunisie me paraît mieux armée que d’autres, non seulement pour faire face à la crise économique mondiale, mais aussi pour relever les défis du développement durable et de la modernité.
Et comment voyez-vous l’évolution de la société en particulier ?
La prépondérance de la classe moyenne, le nombre de foyers propriétaires de leur logement, les résultats obtenus dans les domaines de l’éducation et de la santé publique, le renforcement des dispositifs de solidarité sont autant d’atouts pour garantir la stabilité de la Tunisie et son progrès continu. Mais le plus spectaculaire tient à la place de la femme tunisienne dans la société. Le pays est à l’avant-garde pour les droits de la femme, ses droits civils et sociaux. Dans les faits, les femmes peuvent exercer toutes les activités, accéder à toutes les responsabilités. La situation des Tunisiennes est enviée à l’étranger ! C’est l’expression d’un modèle tunisien.
Peut-on aussi parler d’un “modèle tunisien” pour le rapprochement culturel entre les nations ?
Ce qui me frappe, c’est la manière dont la Tunisie réussit à concilier authenticité et modernité. La modernité s’est parfaitement conciliée avec le respect des grandes valeurs auxquelles le peuple tunisien est profondément attaché. Les innombrables manifestations de l’expression culturelle tunisienne en sont les témoignages. Les multiples initiatives prises dans le pays pour favoriser le dialogue des cultures et des civilisations l’illustrent également. De ce point de vue aussi, on peut parler d’un modèle tunisien.

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