Exclusif : Irak, la chute de Mossoul vécue de l'intérieur

Alors que l'État islamique en Irak et au Levant commence à faire régner la terreur à Mossoul, des témoignages de policiers et soldats nous permettent de comprendre comment les djihadistes ont réussi à prendre aussi facilement la grande ville du Nord de l'Irak.

Ahmed vit désormais sous une tente près de la frontière au camp de Khazer. Avant l’attaque de Mossoul le 9 juin dernier il était dans la police. Il a depuis abandonné son uniforme et revêtu des vêtements de civils. Il porte une djellaba beige, une tenue idéale dans la fournaise de l’été irakien. A l’entendre sa ville est tombée dans la main des extrémistes comme un fruit bien mûr : "Certains militaires n’étaient pas entraînés, d’autres ne voulaient pas mourir pour un pays auquel ils ne croient plus et enfin beaucoup ont eu peur…" raconte t-il la gorge nouée.

Des événements étonnants au moment de l’attaque

Il dénonce les compromissions de certaines personnalités irakiennes : "Oussam al Nujaïfi le président du Parlement irakien et Athil al Nujaïfi, gouverneur de la province de Ninive, ont fuit Mossoul en partant vers le nord, juste la veille de l’attaque des rebelles" s’emporte t-il.

Ahmed accuse aussi les haut gradés de Ninive : "Ahmad Sabhi al Kharaoui, chef des opérations militaires pour la province, à reçu un appel des rebelles qui lui ont demandé de ne pas combattre." Mahmoud un jeune soldat, vêtu d’un jean délavé, et un sous officiers renchérissent : "Ils lui ont promis que sa famille serait épargnée et qu’il aurait une meilleure place dans le nouvel état irakien s’il acceptait de se rendre !"

Ahmed, le jeune policier, décrit des événements étonnants au moment de l’attaque. Tout aurait commencé par l’assaut d’un poste de police qui n’aurait reçu aucun renfort : "C’était le signal d’entrée en action des rebelles" assène t-il. Puis des hommes encagoulés dans des pick-up de l’armée irakienne seraient rentrés en action. Certains étaient étrangers, d’autres étaient originaires de la région, précise t-il. Quelques unités de l’armée auraient résistées tandis que d’autres se seraient débandées rapidement. Quand à Ahmad il a dû fuir à bord d’un taxi avec deux soldats.

La province ne pouvait tomber qu’avec l’aide de complicités internes

Aussi incroyable que cela puisse paraître ces accusations semblent bien reposer sur un fond de vérité. Réfugié dans une région de montagnes au village chrétien d’Al Qosh, non loin de Mossoul, un Colonel de l’armée irakienne à Mossoul admet qu’il a entendu des propos similaires sans pour autant être affirmatif. Mais selon cet officier supérieur, qui préfère taire son nom, la capitale de la province ne pouvait tomber qu’avec l’aide de complicités internes : "Comment la deuxième ville du pays peut-être prise en une seule journée quand dans la petite ville de Tall Afar (à l’Est de Mossoul) on continue de se battre après dix jours ?" demande t-il excédé.

Au delà des félonies et autres révolutions de palais, il semble que l’armée et la police n’étaient pas en mesure de combattre. C’est ce qu’affirme Victoria Fontan, chercheure française en étude des conflits au Kings College de Londres. Depuis le retrait des troupes américaines en 2011, l’armée irakienne est "un vaisseau en perdition" estime t-elle : Elle manque "de moyens techniques, de renseignements humains, elle est minée par la corruption à tous les niveaux, mal entraînée, et marquée par des désertions massives…". Elle la juge aussi dénuée "de sens de l’initiative face à l’adversité." Bref, une armée en déliquescence, à l’image sans doute de l’Etat irakien.

Les commentaires sont fermés

Suivez-nous
tiktok
d'heure en heure
d'heure en heure
Faire défiler vers le haut