LC 719 p. 20-21

Après Mercier, le déluge

Après vingt-trois ans de règne sur le conseil général du Rhône, Michel Mercier a laissé la main en janvier. En gardant un poste névralgique dans le fonctionnement du département, le sénateur centriste s’est toutefois mis à l’abri des critiques jusqu’en 2014. Les socialistes n’osent aujourd’hui le critiquer trop ouvertement. Ils ont en effet trop besoin de lui pour confier à Gérard Collomb les pleins pouvoirs sur l’agglomération lyonnaise. Le futur président du Grand Lyon comme celui du département auraient pourtant tout intérêt à se lancer dans l’inventaire des années Mercier. Directement ou indirectement, ce sont eux qui devront solder un bilan souvent incomplet et, à certains égards, toxique.

Partout où il passe, Michel Mercier s’arrange pour faire supporter le poids de ses décisions à ses successeurs ou à d’autres collectivités. Il en va chez lui d’un art de l’esquive et d’une forme de procrastination politique. Grâce à la création du Super Grand Lyon, il va sortir du champ de compétence du département le musée des Confluences, Rhônexpress, le Grand Stade et une partie non négligeable de ses emprunts toxiques. Il réussit cette prouesse tout en se faisant applaudir par Gérard Collomb et les élus socialistes. De son passage au ministère de la Justice, Michel Mercier laissera une trace à deux milliards d’euros. Michel Mercier se débrouille toujours pour cacher la poussière sous le tapis. Les emprunts du Département ne deviendront ainsi toxiques qu’une fois qu’il en sera parti. Son successeur au conseil général comme le président du Grand Lyon vont aussi devoir se coltiner les projets pharaoniques d’infrastructures routières sur lesquelles Michel Mercier a toujours préféré louvoyer plutôt que de payer. Tour d’horizon des principaux dossiers qu’il laisse en plan.

TOP : 20 ans de renoncement

En 1990 quand Michel Mercier accède à la présidence du département, il scelle un accord avec Michel Noir. À la communauté urbaine, présidée par l’élu RPR, de s’occuper du périphérique nord et au conseil général de réaliser le tronçon ouest (TOP), rebaptisé aujourd’hui Anneau des sciences par Gérard Collomb. En 1997, le Grand Lyon s’acquittera de son engagement. Vingt-trois ans après, Michel Mercier n’a toujours pas honoré sa promesse. Estimant le projet trop coûteux et peu facile à faire passer auprès de ses élus – dont certains verraient leur canton défiguré par un projet autoroutier –, il a joué la carte du pourrissement. Le Grand Lyon a repris le dossier en main et l’on évoque aujourd’hui un début des travaux pour 2025. Demain, avec la métropolisation, la communauté urbaine risque de se retrouver seul payeur de l’infrastructure.

A89 ou COL : des projets sabotés

L’A89 vient d’être inaugurée, sur fond de polémique. Reliant Bordeaux aux portes de Lyon, elle s’arrête au milieu de nulle part, entre La Tour-de-Salvagny et Balbigny. “La pire des solutions possibles, celle qui a consisté à ne pas assurer la liaison des autoroutes A89 et A6, résulte de l’incapacité collective des élus et des services de l’État à mettre en œuvre une solution d’intérêt général”, critique Éric Poncet, conseiller général (UMP) du canton d’Écully. Michel Mercier élude ses responsabilités dans ce dossier, en faisant valoir que ses préconisations ont été rejetées par l’État. Il ne s’est guère mouillé pour trouver un point de chute à l’A89.

Sur le COL, ses difficultés à trancher ont aussi eu pour conséquence de retarder le projet. En 2011, le conseil général a rendu son avis sur le tracé du contournement ouest de Lyon qui épargne le Rhône. Michel Mercier a opté pour un contournement qui impacterait essentiellement la Loire et conduirait à réaliser un tunnel de 20 kilomètres de long sous le massif du Pilat. Autant dire que le COL n’est pas près de voir le jour. Toujours pour ne pas imposer un projet à des élus centristes qui n’en veulent pas, le contournement ferroviaire de l’Est lyonnais ou l’A45 ont aussi été retardés par l’incapacité de Michel Mercier à trancher dans le vif pour sélectionner un tracé. Lors de son passage au ministère de l’Aménagement du territoire, il disposait pourtant des leviers pour faire avancer ces projets d’infrastructures de transport. Il ne les a pas actionnés.

Des emprunts toxiques... après son départ

“Tout le monde pensait que Michel Mercier était un bon gestionnaire. On se rend compte aujourd’hui qu’il a fait de grosses boulettes”, observe Dominique Perben, qui fut son premier vice-président au conseil général de 2005 à 2011. Le conseil général du Rhône a, en effet, signé un quart des emprunts toxiques contractés par les départements français. Le surcoût lié à la dérive de ces emprunts est estimé entre 200 millions d’euros (d’après Michel Mercier) et 400 millions d’euros, selon l’opposition PS. Le conseil général tente de se défendre d’une mauvaise gestion de sa dette en expliquant avoir été piégé par les banquiers comme toutes les collectivités. Plus troublant, la décision d’avoir recours à ces emprunts spéculatifs semble avoir été prise par son fidèle bras droit, Pierre Jamet. Depuis, Michel Mercier l’a fait entrer à la Cour des comptes.

Ayant pris conscience de l’ampleur du problème occasionné par ces emprunts toxiques, la première décision de Michel Mercier a été de renégocier avec les banques concernées les tableaux de remboursement. Jusqu’à l’horizon 2014-2015, les taux d’intérêt ne seront que peu modifiés. Ensuite, ils devraient exploser. Par une curieuse coïncidence, c’est précisément en 2015 que Michel Mercier pourrait tirer sa révérence définitive du conseil général. Et le Grand Lyon, avec la création de la “métropole”, devrait en endosser 75%.

Musée des Confluences : un cadeau empoisonné

À l’écouter, Michel Mercier fait preuve d’une grande magnanimité sur ce projet, qu’il porte à bout de bras depuis plus de dix ans. “Le musée sera départemental jusqu’à ce que nous ayons fini de le payer et après il sera celui de Lyon et de la métropole”, a-t-il expliqué lors de la présentation du projet de Super Grand Lyon. Le legs qu’il estime faire pourrait toutefois relever du cadeau empoisonné pour la communauté urbaine comme pour le futur département du Beaujolais. Le coût du projet est passé de 60 millions à 417 millions d’euros, et le Département doit encore payer 243 millions d’euros. En 2014, les remboursements ne seront pas terminés. Si, comme le soutient Michel Mercier, la métropole n’aura pas à débourser un seul centime pour la construction, les futurs élus du conseil général résiduel peuvent trembler. Leur collectivité sera l’une des plus petites de France et l’une des plus endettée.

Pour le Grand Lyon, le cadeau empoisonné réside dans le projet même de ce musée. Depuis le départ de Michel Côté, l’architecte des collections de l’ancien musée Guimet, le projet culturel est à recréer. Avec à la clé un impératif pour éviter le gouffre financier : réunir plus de 600.000 visiteurs par an, soit trois fois plus que le musée des Beaux-Arts. Pour atteindre cet objectif, la pointe de la Confluence doit devenir l’équipement culturel le plus fréquenté de province... avec des collections d’histoire naturelle.

Grand Stade, Rhônexpress : des subventions au privé qui ne l’engagent plus

En novembre, pour filer un coup de pouce à Jean-Michel Aulas et au Grand Lyon, Michel Mercier a fait voter au conseil général une garantie d’emprunt à l’OL – via sa filiale immobilière La Foncière du Montout – de 40 millions d’euros. Mal à l’aise à l’idée de faire voter au Grand Lyon un énième coup de pouce au projet de Jean-Michel Aulas, Gérard Collomb a donc appelé Michel Mercier à la rescousse. Lequel n’a pas hésité une seconde. Il a accepté d’autant plus facilement qu’il savait qu’il n’aurait jamais à en assumer les conséquences politiques. Gérard Collomb et Michel Mercier s’étaient déjà mis d’accord pour créer le Super Grand Lyon.

Dans la liste des équipements qui battront pavillon du Grand Lyon, les services financiers pourraient aussi s’arracher les cheveux avec Rhônexpress, le tram-train qui relie la Part-Dieu à l’aéroport Saint-Exupéry. Le conseil général s’est en effet engagé, dans le contrat signé avec Vinci, l’exploitant de la ligne, à verser une subvention d’équilibre en cas d’échec commercial.

Au ministère de la Justice, un PPP à deux milliards d’euros

De son passage au ministère de la Justice, Michel Mercier laissera au moins une trace durable sur les finances publiques. Pour construire un nouveau palais de justice à Paris, il a retenu un montage alambiqué qui devrait contraindre le ministère à dépenser 90 millions d’euros de loyers pendant vingt-sept ans. En signant le contrat de partenariat, Michel Mercier se montrait fier de ses talents de négociateur :“Dans le contexte budgétaire difficile, les résultats qui ont été obtenus en matière de maîtrise et d’optimisation des coûts méritent d’être salués (...) Au regard de cet effort budgétaire, le ministère de la Justice économisera près d’un milliard d’euros de loyers sur la période du contrat.”

En découvrant l’œuvre de son prédécesseur, Christiane Taubira avait déclaré sur Europe 1 : “On ne peut pas prendre à la légère et avec désinvolture un PPP [partenariat public-privé] qui engage l’État sur plus de vingt-sept ans avec des loyers qui s’accroissent.” Après avoir tenté de rompre un contrat qu’elle juge trop coûteux (2,7 milliards d’euros sur la durée du contrat, pour une réalisation de 600 millions d’euros), la ministre de la Justice a fait marche arrière. Une clause d’indemnisation du groupement désigné, en cas de rupture du contrat, l’en a empêchée. Pour sortir du PPP, le Gouvernement aurait dû payer 400 millions d’euros.

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