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A la Croix-Rousse, les glaneurs font leur marché

Après 13 heures sur le marché de la Croix-Rousse, alors que les maraîchers rangent leurs étales, quelques personnes, précaires ou non, viennent récupérer les invendus. Des produits peu présentables qui sont sinon jetés.

Un caddie fleuri et un sourire jusqu'aux oreilles, Sébastien, barbe de 3 jours et petite queue de cheval, termine son marché, ses trois chiens gambadant autour de lui. Le jeune artiste, gérant d'une galerie, est un glaneur. Loin de l'image misérabiliste que l'on peut en avoir, Sébastien, en ce mardi matin au marché de la Croix-Rousse, affiche une bonne humeur à toute rompre. "Je fais cela depuis mon arrivée à Lyon, il y a 7 ans. Je déteste le gaspillage et puis j'ai le temps, alors ça me permet de promener mes chiens et de bien manger pour pas cher."

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Le principe : les glaneurs attendent que les maraîchers commencent à remballer leurs affaires pour pointer le bout de leur nez, à la recherche d'invendus dénichés au pied des étales et derrière les camions et ainsi "chapardés". Parfois, ce sont les commerçants qui se débarrassent des produits restants pour quelques sous. Le glanage est apparu au Moyen-âge. Il s'agissait alors de ramasser par terre et après la récolte, ce que les paysans avaient oublié lors de leur passage. Aujourd'hui, la pratique a surtout lieu sur les marchés, les grandes surfaces ayant pris des mesures (pétrole et javel aspergés sur les containers) pour écarter les fouineurs.

"J'ai croisé un homme, pas du tout un clochard, avec un plateau entier de pêches biens mures qu'un maraîcher lui avait donné. Il m'en a offert quelques-unes, elles avaient un goût ces pêches !", se remémore Lionel, attablé à la terrasse de la brasserie de la mairie. Car c'est aussi cela l'esprit du glanage. Sébastien affirme avoir de quoi acheter ses fruits et légumes. "Je récupère, je paie souvent un peu, et puis je fais des coulis de tomates et des compotes pour les amis", dit-il en montrant son cageot de pêches, par endroits moisies, que le vendeur ne cesse de lui remplir.

Lutte contre le gaspillage et la précarité

A la Croix-Rousse, le marché est séparé en deux. Sur un trottoir, les vêtements, sur celui d'en face, les aliments, et jusqu'à 13 heures déambulant dans le dédale des étales, des "bobos", comme le dit Lionel, des habitants et des habitués du quartier, des retraités et quelques touristes. "Tout à un euro !" crient presque en cœur les commerçants afin de vendre le plus possible avant de partir. Les premières tables rangées, quelques personnes, pour la plupart munies de cadis, commencent à s'approcher des camions. "On finit par tous se connaître" raconte Sébastien en saluant Hélène, une quinquagénaire fluette habituée du glanage. Un peu plus loin, une vielle dame soulève difficilement quelques cageots abandonnés là par les commerçants, tandis qu'au pas de course, deux hommes en tenues de cyclistes fouillent dans tous les recoins.

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Il n'existe pas de profil type du glaneur, comme l'a montré une enquête du Centre d'étude et de recherche sur la philanthropie (Cerphi), rendue publique en janvier dernier par le haut commissaire aux solidarités actives de l'époque, Martin Hirsch. Souvent en situation précaire (chômeurs, étudiants, travailleurs pauvres ou retraités), les glaneurs réguliers sont rarement des sans domiciles fixes. Dans le lot, il y a également des personnes qui refusent de voir jeter des produits peu présentables, certes, mais tout à fait propres à la consommation. Peut être pour garder la face, les glaneurs préfèrent mettre en avant ce dégoût du gaspillage plutôt que quelques difficultés financières.

Pour les maraîchers en revanche, le glanage n'a qu'une seule cause : la misère. Fayçal, un maraîcher au teint mat et aux yeux verts, fait signe aux glaneurs de récupérer les produits qu'il a mis de côté pour eux. "Je donne, les gens sont dans la pauvreté alors je leur dis de tout prendre." Un peu plus loin, Rémi un autre commerçant semble résigné. "Les glaneurs, nous finissons par les connaître. Il y a beaucoup de misère, alors on les laisse faire. Le seul problème c'est que les gens s'habituent à avoir des produits gratuits. Ce n'est pas forcement bon pour le commerce." Alors que les employés municipaux nettoient à l'eau et à l'aide d'un tuyau percé, le trottoir jonché de feuilles de salade, une voiture neuve s'arrête sur le bas-côté. Une femme à l'allure élégante en descend et inspecte les ananas trop mures prêts à être jetés. Un coup d'œil, et la voiture redémarre. Le glanage ne plaît pas à tout le monde.

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