Guillaume Dubois
© PIERRE VERDY / AFP

Guillaume Dubois : “Stop au BFM bashing !”

À l’instar de l’interview (presque) imaginaire du Canard enchaîné, laissons divaguer notre esprit dans ce monde de brutes. Le meilleur ami de BFM Julien Bellver interroge – sans flagornerie aucune – Guillaume Dubois, directeur général de BFM TV, à l’occasion des 10 ans de la chaîne et de la sortie de son livre Priorité au direct (éd. Plomb) que tout le monde s’arrache, d’Alain Weill à Patrick Drahi en passant par Guy Lux.

La vraie interview est disponible ici. À moins que ce ne soit le contraire ? Bref, le prix Pulitzer n’est plus très loin.

Vous êtes directeur général de BFM TV. Pourquoi ce livre ? Vous vouliez répondre au BFM bashing ?

Oui, c'est ça. C'est vrai qu'en début d'année, après une période difficile d'actualité, il y a eu une recrudescence de ce BFM bashing. Eh ben, je vais vous le dire comme je le pense, c’est injuste, c’est vraiment trop injuste. Et je me suis dit : on est là depuis l’aube de l’humanité, je dirige la chaîne depuis le début, je suis un grand homme, je suis un vrai déontologue et franchement ça vaut le coup de raconter qui on est, d'où on vient, dans quel état j’ai laissé les choses en sortant du cabinet de Sarko, couper court au fantasme, quoi. Parce que zut à la fin : il n'y a pas de complot de domination du monde. BFM TV, c'est juste l'histoire d'une bande de journalistes irremplaçables, d'une chaîne qui est devenue grande. Nous sommes les Zola du monde actuel. J’accuse. Qui, quoi, ça n’a pas d’importance. J’accuse et c’est bien là l’essentiel.

“Il n’y a pas de complot de domination du monde !”

Dix ans de BFM TV, c’est dix ans d’histoire contemporaine. Quel événement vu des coulisses vous a le plus marqué ?

Comme tous les Français, c'est évidemment les attentats du début d'année. Nous sommes tous Drahi. #jesuisdrahi Quand on a révélé en direct où se cachait le trouillard, on était au top, on était en régie, on attendait... C'est un moment très fort. Toute l'histoire DSK a aussi été très forte, ça a été un moment d'explosion de BFM TV… Le voir comme ça, au petit matin, menotté et mal rasé, franchement on s’est régalé. Et Nicolas en personne nous a félicités.

Avec pas mal de polémiques sur les images...

Absolument, pas mal de polémiques parce que c'étaient des images nouvelles, on n'avait pas l'habitude de voir ce genre d'images à la télévision française, le fameux "prep walk". Tous les premiers jours de l'affaire DSK, ça a été une exposition très forte de BFM TV, je suis sûr que beaucoup de Français ont suivi et découvert cette affaire sur BFM. On a explosé l’audience et en plus il avait une gueule à être dénoncé, le type. Enfin je crois…

“Je raconte tout ce qui n’a pas été sur ces dix années”

Un reproche que je fais à votre livre, c’est la quasi-absence d’autocritique. Sur l’annonce erronée de l’arrestation de Mohamed Merah, vous parlez de “boulette”. Sur le cas Dominique Rizet, qui avait annoncé la présence d’une otage dans la chambre froide de l’Hypercacher, vous parlez de “grosse maladresse”, de “faute de jugement”. Vous êtes poursuivi en justice pour ça...

Absolument... Il y a un débat sur les boulettes : cacher, pas cacher… Telle est la question.

Quand, le 29 octobre dernier à 10h, BFM TV annonce par erreur la mort du bâtonnier de Melin, c’est une erreur d’appréciation ?

Alors non, ce n'est pas BFM TV. L'AFP a sorti la mort du bâton de Merlin l’enchanteur, on ne l'a pas sorti.

Vous l’avez reprise dans le bandeau ?

On l'a peut-être reprise quelques secondes, on l'a changée tout de suite. C'est une information de l'AFP... On n'est pas là pour réfléchir non plus, faut pas exagérer, c’est pas toujours nous qu’on paye.

Une info qu’il faut vérifier, on l’a vu avec Martin Bouygues !

Vous avez raison. Mais on a plutôt été ceux qui ont le mieux traité l'info, qui l'ont laissée le moins longtemps. La preuve : il a eu le temps de ressusciter, le fils Bouygues !

Vous voyez, vous avez du mal avec l’autocritique, à revenir sur les petits ratés...

Non, rien de rien ! Je crois que vous conviendrez que je raconte aussi tout ce qui n'a pas été sur ces dix années, c'est un livre assez sincère. Je parle de la machine à café en panne au 3e. De Ginette la standardiste shemale. Ou encore de la BMW d’Alain Weill qui n’a pas démarré le 1er avril.

Après, les critiques sur BFM TV, elles sont souvent sur des éléments fondamentaux : l'information en continu, le direct, le direct, l’information en continu, l’information en direct, le continu continu, etc. Et ça, c'est quelque chose qu'on assume parce que c'est quelque chose qu'on fait donc on l’assume et on le fait et on sait qu’on l’assume parce que. Donc je ne fais pas mon autocritique sur les fondamentaux de la chaîne, c'est certain. Grave, c’est trop génial cette chaîne. Je la kiffe et je me kiffe. Grave. Après, raconter ce qui n'a pas été, c'est sûr. Sur l'élément de début d'année, oui, il y a eu grosse maladresse, faute de jugement, faute de français, faute de goût voire même faute d’ortograf.

Il y a une affaire en cours, je n'irai pas plus loin que ces mots-là, je vous dirai les mots bleus, ceux qu’on dit avec les yeux. Mais je raconte tout ce qui s'est passé, pourquoi pendant dix minutes on a raconté à tort l'arrestation de Mohammed Merah, je raconte les coups de fil, tout ça... Je raconte la vérité. La vérité si je mens. Mais je ne mens pas la vérité. Parce que la vérité ne ment jamais.

“Manuel Valls a autre chose à faire que regarder BFM TV toute la journée”

Un aspect plus léger, le mépris d’une partie de vos concurrents. Le 29 janvier 2012, Nicolas Sarkozy accorde la quinzième interview de son quinquennat et pour la première fois iTélé et BFM TV font partie du dispositif. Vous le racontez dans votre livre, en coulisses, dans la régie, c’est la guerre...

Pour TF1 et France 2, c'était le sentiment qu'on les dépossédait, c'était leur pré carré donc effectivement, en régie, les directeurs de rédaction étaient à l'oreillette de l'ensemble des journalistes présents autour de la table et c'était une bagarre entre les uns et les autres pour dire "Prends la parole !", "Interromps-le !", "Relance-le là-dessus"... Entre eux, c'est devenu un petit peu tendu. Mais nous, les zindépendants, on a gagné. Parce qu’on a l’amour du métier. Et que derrière l’amour il y a, oh, toute une chaîne de pourquoi. Et où y a d’la chaîne y a pas d’plaisir.

Hervé Béroud dit même “Ça va mal finir” à Thierry Thuillier, le directeur de l’info de France 2, si le journaliste de BFM ne prend pas la parole... !

Effectivement, le rédacteur en chef de Delahousse lui disait tellement "Vas-y, vas-y, c’est bon" qu'à un moment Hervé s'est tourné vers Thierry Thuillier, le chef du rédacteur en chef de Delahousse, pour lui dire de lui laisser du temps au temps sinon il lui ferait du bashing brushing. C'était l'Elysée qui avait décidé que cette fois-ci les chaînes d'info seraient représentées – évidemment pas TF1 et France 2 qui nous avaient ouvert les bras spontanément. Mais toutes les autres : BFM, BFM Business, BFM Bizness, BFM Buzzness, BFM Eliot Ness….

Avec les politiques, justement, c’est “Je t’aime moi non plus”. Ils critiquent souvent BFM mais se pressent quand un micro se tend. Vous écrivez même que pour certains “BFM TV est devenue le point central de leur existence politique”. Vous pensez à qui ?

Ils le disent ! Je pense peut-être au deuxième rang, parce que je suis pas fou et que j’ai quand même un peu les jetons de balancer ça comme ça, j’suis pas Drahi non plus... Le premier rang... Manuel Valls a autre chose à faire que regarder BFM TV toute la journée et le chef de l'Etat de la même façon. Nico, j’en parle pas, c’est à part, c’est l’homme qui murmure à l’oreillette. Mais beaucoup de députés très médiatiques, de ministres de second rang ont BFM TV toute la journée dans leur bureau. On peut comprendre qu'ils aient une relation d'amour/haine avec cette chaîne, qui est au cœur du paysage médiatique, et a fortiori sur l'actualité politique. Tous les ploucs nous regardent, quoi.

“Lucette, c’est une erreur des communicants de l’Élysée”

Invité de “Médias le mag” la semaine dernière, Claude Sérillon évoquait un “flux du tout et n’importe quoi” sur les chaînes d’info en continu... “Tout se vaut au royaume de l’info en continu”, écrivait Le Monde en 2013. BFM TV confond l’information et la communication quand il s’agit de relayer la parole publique ?

Non, je pense que tout ça c’est la faute aux politiques. Enfin… aux politiques de deuxième voire de troisième rang. Oui, tout ça c’est la faute aux conseillers municipaux, je n’ai pas peur de le dire haut et fort, j’ose ! Parler de tout et de n'importe quoi, c'est en soi du n'importe quoi, parole d’expert ! C'est évidemment ridicule. L'affaire de Lucette, ce n'est pas nous qui l’avons inventée...

... C’est vous qui avez lancé cette guerre médiatique !

On a juste demandé à la dame comment ça s'était passé, et de nous raconter ça. On voulait avoir les coulisses, on n'avait aucune idée de ce qu'ils étaient et on a découvert un peu stupéfaits, par hasard, que tout avait été écrit, quasiment scripté, qu'on avait amené les tasses à café, qu'on lui avait dit de ne pas poser les questions qui fâchaient, ce qui est grotesque.

Il faut toujours poser les questions qui fâchent. Il faut être libre comme Bourdin. Là, c'est une erreur des communicants de l'Elysée, ce n'est sûrement pas le chef de l'Etat qui avait organisé ça, lui est tout à fait capable de répondre aux questions. Non, c’est la faute aux lampistes, aux zadistes et aux employés municipaux. Salauds ! Salauds ! Nous, on fait notre boulot, on fait notre taf’, on raconte ça, il n'y a pas de souci, il n’y pas de pros, il n’y a pas de blêmes, il n’y a pas de problèmes. Après, les communicants – ce qu'est devenu Claude Sérillon sur l'affaire Leonarda – ont du mal à apprécier ça. Ce qui change aujourd'hui, c'est que quand ils font des boulettes de communication ou de politique, ça se voit. Et comme Sérillon est fini, je n’hésite pas à lui taper dessus. Salaud ! Salaud !

Il y a aussi des coulisses dans ce livre, des moments pas vus à la télé. Vous racontez qu’après son interview sur BFM TV, en avril 2013, Jérôme Cahuzac fond en larmes...

Il y avait beaucoup de pression. Manifestement, il avait pris sur lui d'organiser cette interview-confession, qui relevait certes aussi de sa part d'une certaine communication, c'est une évidence, on ne l'a pas pris au saut du lit, on n'a pas été l'attendre en bas de chez lui de façon impromptue. C'était négocié avec lui. Il a craqué à la fin et les images resteront dans un coffre-fort ! Mais, grâce à Bourdin, on a coincé le coupable, on a trouvé son talon d’Achilli et on l’a viré comme un malpropre : faut pas gonfler Gérard Lambert quand il répare sa mobylette.

“Il y a eu une polémique absurde sur la prise de parole de Leonarda”

Autre moment dingue de direct, l’interview réponse de Leonarda à François Hollande le 19 octobre 2013. Juste avant et après ce moment de direct, Leonarda et sa mère pètent les plombs et ça n’a pas été montré...

Non effectivement ! Il y a une partie qui a été montrée, pas la pire, parce qu'effectivement il y avait énormément de confusion, énormément de médias autour du cirque de Dibarni ce jour-là. Dans la foulée de l'intervention du chef de l'Etat, une première série de réactions audio de la part de la famille a été maîtrisée, puis ils sont sortis, ça s'excite, j'imagine qu'il fait un peu chaud, et il y a des scènes qui n'ont pas été montrées et qui sont un peu lunaires, parce que sur la lune, il fait chaud. On est passé pas loin, mais il n'y a pas eu d'incident à l'antenne. Ouf.

Malgré tout, il y a eu une polémique totalement absurde sur le fait qu'on donne la parole à Leonarda dans la foulée du chef de l'Etat. Il s'était adressé directement à elle dans son intervention, il la citait à cinq reprises, il devait savoir que tous les médias étaient avec elle et qu'évidemment, à partir du moment où il lui faisait une proposition, on allait lui demander si oui ou non elle l'acceptait. Mais tout ça c’est pas la faute au chef, c’est la faute aux employés municipaux roumains. Salaucescus ! Salaucescus !

Dix ans après son lancement, BFM TV n’est plus vraiment indépendante et s’adosse à un grand groupe en faillite, celui de Patrick Drahi. C’était indispensable pour survivre face à la menace LCI et à la chaîne d’info de France Télé ?

Non. Ce sont des menaces, certes. On est rassuré de faire une alliance avec un groupe à la surface beaucoup plus importante mais on ne perd pas notre zindépendance, au contraire même on la renforce dans la faillite en avant. Pendant encore au moins quatre ans, le principal actionnaire, le président-fondateur-géniteur Alain Weill reste le même et se renforce aussi.

Il n'y a pas de changement. Le changement, c’est pas maintenant. Il y a une possibilité pour Altice de prendre le contrôle de BFM TV, on verra à ce moment-là. Mais faites confiance aux équipes, aux journalistes et à leur souci de zindépendance pour conserver ce qui fait notre force, c'est cette zindépendance qui est un élément clé du succès de BFM TV. Demandez aux zabonnés de SFR et au barbier express de Drahi, ils vous en diront des nouvelles ! Altice, c’est pas d’la daube, c’est pas d’la fausse fibre, c’est du costaud !

“Philippe Verdier ? Toute cette affaire est un peu triste”

Philippe Verdier, licencié par France 2, vous pourriez le récupérer sur BFM TV ?

On n'a pas de poste de présentateur météo qui se libère. Effectivement, c'est un ancien de chez nous, il est parti il y a quelques années... Toute cette affaire est un peu triste. Mais au fond, on s’en fout complètement.

On a déjà vu des allers-retours de gens de BFM...

Oui, on en a eu pas mal. C'est pour ça que je vous dis qu'on ne serait pas forcément contre, en tous cas pas pour cette raison-là. Il était invité chez Ruth Elkrief cette semaine. Mais effectivement, être licencié pour une opinion... Ce n'est pas si simple que ça mais ça fait tache. C'est un peu triste.

BFM est une entreprise Autheman philosophique, pas la chienlit qu’on nous décrit ni même un sacré Verdier. On va les fracasser, le Marc et sa commission arbitrale. Non mais. La liberté, faut pas en abuser, surtout quand on est journaliste. Ça nuit gravement à la santé. BFM, c’est pas un paquet neutre. C’est pour des mecs qui en ont, quoi. Vous voyez ? Comme disait Chabrol, l’intelligence a ses limites, alors que la connerie…

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