High Trail Vanoise : des hommes et un avion

Embedded au High Trail Vanoise, plus haut trail européen et "ultra le plus dur d'Europe" dans le cadre des championnats du monde de skyrunning.

2 500 mètres d'altitude moyenne. Des pics (c'est le cas de le dire...) supérieurs à 3 500 mètres, des pentes à près de 30%, une tempête de grêle, soixante quinze abandons – soit un tiers des partants...

Pour sa 2e édition, l'Odlo High Trail Vanoise de Val d'Isère aura tenu toutes ses promesses. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard s'il a été sélectionné comme la seule étape française du championnat du monde de skyrunning 2017 (trail de montagne se déroulant à plus de 2 000 mètres d'altitude), label "ultra le plus dur d'Europe".

Même le vainqueur, l'Espagnol Luis Alberto Hernando, l'actuel champion du monde de trail (qui est donc très loin d'être un bleu, un fromage dit-on en Savoie), reconnaissait que "la course était vraiment difficile et le niveau vraiment élevé."

"L'avion de chasse", comme l'ont surnommé les secouristes éparpillés façon puzzle sur le parcours, a survolé les 68 kilomètres et 5 400 mètres de dénivelé en 8h17, soit une vitesse de 8,4 km/h...

Ciao Alberto !

High Trail Vanoise
© Val d’Isère Tourisme
©iancorless.com

La première (et dernière fois) que j'ai croisé l'Espagnol, c'était au premier ravitaillement, au pied du glacier de la Grande Motte. Je courais depuis 4 heures du matin, après 14,5 kilomètres et 1 400 mètres de dénivelé positif (D+). J'arrivais au premier ravitaillement, l'Espagnol en redescendait...

Bonnet, gants, coupe-vent, semelles à crampons, un bol de soupe aux vermicelles, j'attaque le glacier. Il fait frais, voire froid. Souffle court, allure au ralenti. "Normal, me lance le type qui me précède. On est à 3 600 mètres !" Un coureur commence à avoir mal à la tête (c'est à cette altitude qu'apparaît le plus souvent le "mal aigu des montagnes", conséquence de la raréfaction de l'oxygène). Il faut redescendre. J'avale la pente à vitesse grand V. Ou mieux façon toboggan, sur les fesses. Sur ma droite, des skieurs sur un remonte-pentes...

Retour au ravito de l'aller. Je m'habille pour la descente... près de 17 kilomètres, direction La Daille, le hameau le plus bas de Val d'Isère. Première grosse descente de 1 200 m D+. Pas vraiment technique mais longue, très longue. On contourne le lac de Tignes. Un "petite" bosse qui surplombe la route, cassante à souhait, pour rejoindre l'altisurface Tovière, où s'ébrouent des chevaux en liberté. Un avion passe en rase-motte au-dessus de moi. Je fais des grands signes. J'imagine la tête du pilote : "encore un "monchu" qui court le bouqu'tin ! ».

Arrivée à La Daille en trombe avec mon petit comité d'accueil personnel. J'en pleurerai presque de les voir. Ça fait 6h20 que je cours, 35,7 km et 2 330 D+ de fait. Changement de tee-shirt. Balles neuves !

Et là, c'est le drame (façon voix de présentateur de JT) ... Impossible d'avaler quoi que ce soit. Je bois mais rien de solide ne passe. La veille, les gentils organisateurs avaient prévenu : requinquez-vous avant la montée du Picheru !

Le Picheru, comment dire... Quand vous le toisez d'en bas, vous vous dites que c'est une montée. Une montée sévère mais une montée tout de même. Quand vous êtes dedans, en revanche - qui plus est en plein cagnard -, votre champ lexical se modifie radicalement. De "montée" vous passez à "mur".

Non, le Picheru n'est pas une montée, c'est un mur !! 4,1 km pour 1 000 m de dénivelé ! Plus de 25% de pente ! Pour résumer : "un kilomètre vertical !" en rigole encore Vincent Jay, ancien double médaillé olympique de biathlon aujourd'hui directeur du Club des sports de Val d'Isère.

* le Km Vertical est une épreuve de course à pied en montagne, dont le parcours est une montée raide avec un dénivelé positif d'environ 1 000 mètres.

"Tu verras, c’est beau, il y a des edelweiss !"

High Trail Vanoise
© Val d’Isère Tourisme

Autant vous dire, qu'après 6h30 de course, le ventre vide, le raidard devient compliqué, limite problématique. Il me faudra 2 heures pour en voir la fin. À bout de forces, contraint de m'arrêter toutes les 10 minutes. On m'avait dit : "tu verras, c’est beau, il y a des edelweiss !". Le genre de fleur, hyper complexe sur le plan botanique, si rare et si mythique, que certaines personnes en eurent fait des élixirs énergétiques. Les edelweiss, je n'en ai pas vu une !

Au sommet du col, une descente assez technique m'emmène directement au lac de Sassières, certainement le plus beau ravito du parcours. Lors de ma préparation, j'étais tombé sur un site de randonnée : "pour les lève-tôt, les lieux sont propices à l'observation des marmottes, des troupeaux de bouquetins et des hardes de chamois qui ont élu domicile dans la réserve" (naturelle de la Grande Sassière). Primo, il n'est plus très tôt. Deuxio, quand vous avez deux cents coureurs qui déboulent sans prévenir à la porte de votre jardin, autant dire que vous restez planqué...

1 banane, 2 compotes, 3 verres d'ice tea, 4 quartiers d'orange... "Allez, courage, c'est rien qu'une petite Tour Eiffel à grimper et après c'est une grande descente jusqu'au prochain ravito !" encourage une bénévole, tout sourire. Perso, j'ai le sourire (je me suis quand même inscrit de mon plein gré, faut pas pousser...) mais pas forcément jusqu'aux oreilles, quand je regarde à l'horizon. Au final, ça passera tout seul.

Mais quand j'arrive au Fornet - km 49, 10 heures de course - où m'attendent mes groupies en folie, je m'effondre quasiment. Tellement fatigué que je "rigole" (façon de parler) tout seul, en pensant à Audiard : "c'est curieux chez les marins (que je remplace par humains) ce besoin de faire des phrases."

Une infirmière me demande si ça va. Très gentille. Je traduis par (encore) Audiard : "écoute, on t'connait pas, mais laisse nous t'dire que tu t'prépares des nuits blanches.... des migraines... des nervous breakdown, comme on dit de nos jours."

Pause d'une bonne vingtaine de minutes. Je dis au revoir à mes chéries de groupies. Je ne les reverrai pas avant... cinq bonnes heures. Ciao ciao !

De la grêle grosse comme des petits pois... à 2 700 mètres

©Cyrille-Quintard
©iancorless.com

M'attendent 9,1 kilomètres de montée et 1 470 mètres de dénivelé.... La première partie se passe comme sur des roulettes. J'avance à un très bon rythme pour un type qui court depuis quatre heures du matin. Passage du col de l'Iseran, le plus haut col routier de toutes les Alpes que les cyclistes connaissent bien. Alors que je peux apercevoir le restaurant du col, la pluie se met à tomber. Ouch ! Non, ce n’est pas de la pluie, c'est de la grêle grosse comme des petits pois. 20 minutes à grimper sous les petits pois, en short, à cette altitude, certains pourraient râler. Moi, je me dis très sérieusement que j'ai de la chance. C'est un p.... de sacré trail ! Et que je vais le faire !

J'arrive au ravito, déplacé à l'intérieur du restaurant pour l'occasion. Le brouillard est tombé. On en voit même plus l'aiguille Pers, 600 mètres plus haut. Dans une télécabine (rangée ici pour l'été), je change complètement de look. Je passe du short au collant-pipette-moulant-opérette. Le ridicule ne tue pas à ces altitudes... En revanche, l'aiguille Pers (3372 m), elle, peut te tuer. Mais vu les barrières horaires, je n'avais pas le choix : grimper vite ou échouer.

Je grimpe, donc. Plus je monte, plus je ralentis. J'oublie encore ce sacré paramètre des "plus de 3000 mètres". Corps au ralenti, souffle coupé. Et une pente avoisinant les 30%... Complètement malades les GO de Val d'Isère... En prime, moi qui m'étais habillé chaudement, je dégouline littéralement. Mon corps me dit d'arrêter, le mental tient bon.

Arrivée au sommet. Trois guides de haute montagne et secouristes m’accueille d'un "bienvenu ! bravo!". Je leur demande pour rigoler à quelle heure est passé Luis Alberto Hernando, vous savez, le champion du monde de trail. "À 11 heures du matin... un avion de chasse le type !" Il est 17h50... Comment, du point de vue physiologique, un homme peut mettre 7 heures dans la vue (les pattes) à un autre, juste en courant ?? Bon, l'animal fait de l'athlétisme depuis l'âge de 9 ans, son père était champion du monde vétéran de marathon... mais quand même.

8 km de descente avec un seul oeil

Après 14 heures de course, 58 km et 5 000 m de D+, je suis à bout. Je ne mange plus solide depuis trop longtemps. Je n'ai plus de gel énergétique. "Vu votre fatigue, pour redescendre au col de l'Iseran, vous en avez pour une bonne heure" me dit, bienveillant, un secouriste. La barrière horaire ! Ça va être juste. Sauf qu'en descente, depuis quelques mois, je m'en sors pas trop mal. 37 minutes ! Paf ! Ma petite équipe de soutien est encore là ! "Il est où le bonheur, il est là...". Il me reste le passage du Tunnel des Lessières à 3 000 mètres d'altitude, qui me permet de passer d'une montagne à une autre, pour redescendre ensuite sur Val d'Isère.

Pour ne rien arranger, je perds une lentille de contact. Soit 8 km de descente ultra raide par Solaise avec un seul œil...

Il est 20h26. Je traverse la ligne d'arrivée après 16h30 de course, 68 km et 5 400 mètres de dénivelé positif. Seuls vingt concurrents arriveront dans les temps derrière moi. Et 75 autres auront jeté l'éponge...

Je suis finisher de "l'ultra le plus dur d'Europe"... Avant la TDS (119km, 7 200 D+), une des courses de l'UTMB, à Chamonix fin août...

Statistiques

High Trail Vanoise ()

· 68 km, 5 400 D+

· 2 500 mètres d'altitude de moyenne

· 3 sommets à plus de 3 000 m

· 224 partants

dont 27 femmes (12%)

· 149 finishers, soit 66,5% des partants

· 75 abandons, soit 33,5% des partants

dont 14 hors-délai

 

Répartition des abandons

· 32 au Fornet

· 12 sur l'Aiguille Pers

· 12 à La Daille

· 6 au col de l'Iseran

· 6 au col de Picheru

· 5 au glacier de la Grande Motte

· 2 au col de Fresse

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