Décryptage de "Defend Europe", le coup de com des identitaires

Trois jours après l'immobilisation de leur navire à Malte, les identitaires européens étaient réunis à Lyon ce samedi pour poursuivre auprès des journalistes l'opération de communication de leur "mission Defend Europe". Vérification du discours par les faits.

David Cattin (identitaire suisse)

Antoine Sillières
David Cattin (identitaire suisse)

Eux sont convaincus de la réussite de leur "mission", et le répètent à l'envie. Si l'équipage européen de "Defend Europe" est toujours coincé à Malte, les militants du mouvement d'extrême-droite Génération identitaire se sont réunis à Lyon ce samedi soir pour faire le bilan de la dizaine de jours passés en mer par leurs camarades. Rendez-vous a été donné à la presse à la Traboule, le QG des identitaires lyonnais, montée du Change dans le 5e arrondissement.

Une poignée d'identitaires européens a rejoint la Méditerranée via Suez début août dans le but de "défendre l'Europe de l'immigration massive qui menace son identité", explique Romain Espino, 24 ans et porte parole du mouvement. Ils ont pour cela loué un navire qui croisait dans l'océan Indien à un armateur suédois condamné pour fraude en 2002. Navire rebaptisé C-Star et battant pavillon mongol.

Romain Espino (Génération identitaire)

Antoine Sillières
Romain Espino (Génération identitaire)

Le coût de la mission est estimé à 200.000 euros par Romain Espino. Un montant financé grâce à une cagnotte en ligne sur WeSearch, site de financement participatif monté par Charles C. Johnson, figure de l'alt-right, l'extrême-droite américaine. L'alt-right a également relayé le projet des identitaires européens. Comme David Duke, ex-responsable du Ku Klux Klan, qui a publié un appel au don, ou Lauren Southern, journaliste ayant tourné plusieurs vidéos favorables au projet.

Ce samedi, à Lyon une grande tenture barrait un des mur de la Traboule. Dessus le message "Mission accomplie" en lettres capitales. Tous leurs objectifs auraient été remplis à en croire les identitaires. La communication est huilée. Les éléments de langages livrées aux journalistes rodés. Mais Lyon Capitale a tenu à opposer à ce discours victorieux des faits.

"Repousser les migrants" : Illégal

Génération identitaire annonçait avant le départ du C-Star vouloir "repousser les migrants" vers les côtes en prévenant les gardes côtes libyens s'ils croisaient des bateaux suspects. Or, une telle entreprise aurait été illégale puisque le code maritime impose de prévenir l'autorité qui gère les opérations de surveillance et de sauvetage dans la zone concernée - en Méditerranée le Maritime Rescue Coordination Center (MRCC) - via un message de détresse indirect. "Defend Europe" avait aussi pour ambition de couler des embarcations vides afin qu'elle ne puissent servir aux passeurs. Ce que font les ONG depuis longtemps.

"Les ONG collaborent avec les passeurs" : Pas prouvé

Les ONG justement c'est un des ennemis des identitaires. Romain Espino les accuse de "collaborer avec les passeurs" en leur donnant "des points de chute, des points de rendez-vous où elles récupèrent les migrants". "Nous voulions aller voir sur place, pour vérifier que les ONG prétendument humanitaires collaboraient avec les passeurs", explique-t-il. Mais les identitaires n'ont rien vu. Qu'importe, c'est une réussite explique Jean-David Cattin, responsable identitaire suisse : "Notre présence a retardé leur rendez-vous avec les passeurs de migrants parce que quand on était à proximité des bateaux des ONG, il ne s'est rien passé". Ou le serpent qui se mord la queue.

"Impact dissuasif" : Invérifiable et très discutable

Sur les réseaux sociaux, qu'ils manient à la perfection, les identitaires annoncent des preuves prochaines de la collusion entre passeurs et ONG. David Cattin souligne "l'impact dissuasif" de leur présence pour les ONG se sachant selon lui surveillées par le C-Star. Les identitaires se sont mis en scène prenant en chasse l'Aquarius, un bateau affrété par Médecin sans frontières. C'est le grand ennemi des identitaires, qui avaient déjà essayé de le bloquer dans le port de Catane en mai. Les militants ont "interpellé" l'équipage de l'Aquarius... au mégaphone. A plusieurs centaines de mètres de distance, en mer, peu de chances que le message soit passé. Ni la dissuasion très forte.

Mais le coeur de leur prétendue réussite tiendrait le recul du nombre de navires d'ONG en mer Méditerranée ces derniers jours. Un recul davantage dû au durcissement de l'union européenne et de l'Italie d'un côté et des milices libyennes de l'autre qu'à la présence du navire identitaire. Eux sont persuadés d'avoir mis la pression sur les pouvoirs publics.

"Nous n'avons jamais été bloqués" : Faux

De nombreux médias de plusieurs pays ont documenté les difficultés rencontrés par le C-Star. Notamment dans le ports de Famagouste, sur la partie turque de Chypre et en Tunisie où des pécheurs ont empêché le bateau de faire escale. "Fake news d'ONG et de groupes d'extrême-gauche, répond Romain Espino. On n'a pas été bloqués, on n'y est pas allés".

Pourtant les traces de la balise du navire montrent bien le C-Star à l'approche des côtes Tunisiennes. Quant à Famagouste, une partie de l'équipage y a été placée en garde à vue pour falsification présumée après la découverte de vingt marins sri-lankais à bord du C-Star soupçonnés de vouloir passer clandestinement à bord du navire identitaire. "Il s'agissait de marins stagiaires qui avaient payé parce qu'ils doivent faire des miles pour valider leur diplômes", ont répondu les identitaires.

"-76% de migrants depuis le début de la mission" : Aucun rapport avec Defend Europe

Les identitaires se targuent d'avoir fait reculer l'afflux de migrants en Méditerrannée grâce à leurs quelques jours de présence. "-76% depuis le début de la mission Defend Europe", se vantent-ils dans des posts très relayés sur les réseaux sociaux. Un chiffre allégrement repris sur les médias dit de "réinformation", en novlangue identitaire, mais qui n'a en réalité aucun rapport avec la "mission" des identitaires.

Ce pourcentage compare l'évolution du nombre de départs de migrants entre la première dizaine de jours d'août 2016 et celle de 2017. Et oublie au passage l'évolution des 12 mois intermédiaires. Or, en 2017 le nombre de départs a fortement chuté, de 53% sur les sept premiers mois de l'année. Une chute qui n'a pas attendu la "mission" des identitaires. Sur certaines périodes la baisse entre 2016 et 2017 atteignait les à 90%.

Lire aussi : Génération identitaire poursuit son coup de com' sur fond de fake news

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