Lyon Capitale n°155
© Lyon Capitale

Comment Lyon a déroulé le tapis rouge à Le Pen

IL Y A 20 ANS DANS LYON CAPITALE – Alors que le PS profite de la dissolution de la droite voulue par Chirac, le Front national gagne en puissance. Longtemps considéré comme un parti “à part”, le FN profite d’une vague de dédiabolisation, tandis que Lyon lui ouvre les portes de son palais des congrès.

Lyon Capitale n°155, 21janvier 1998, © Lyon Capitale

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L’événement de 1998 est un grand succès. Inhabituel pour le FN, qui se fait souvent refouler des villes qu’il souhaite investir pour ses meetings. Cette année-là, la maire de Strasbourg a même appelé à manifester contre la venue du parti de Jean-Marie Le Pen dans sa ville. Pourtant, la fin des années 1990 est marquée par le début d’une forme de banalisation du parti frontiste. À l’approche des élections régionales et cantonales, le parti est en bonne posture. Les élus de droite, notamment, sont pour certains déçus de la stratégie de Chirac qui refuse tout alliance avec le FN. Les élections de mars sont l’occasion pour eux de se rapprocher de la flamme bleu-blanc-rouge, ce qui fait gagner en légitimité au FN. Au final, l’élection est marquée par le “vendredi noir” où cinq présidents de conseil régional étiquetés UDF acceptent les voix du FN pour gagner leur siège.

Lyon Capitale n°155, 21 janvier 1998, p. 8 © Lyon Capitale

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Un article de Lyon Capitale paru le mercredi 21 janvier 1998, signé par Philippe Chaslot.

Tapis rouge pour le Pen

La convention du FN samedi et dimanche dernier à Lyon a été un franc succès. Et pour cause. Le Front national a rarement reçu un aussi bon accueil des commerçants (palais des Congrès, hôtels, restaurants...) et bénéficié d'une aussi parfaite "neutralité" de la part des autorités politiques exécutives.
"A Strasbourg, ça a été l'horreur. A Lyon tout s'est très bien passé., A tous les niveaux. Le personnel du palais des Congrès a fait abstraction de ses idées et a été très professionnel. Quelquefois, l'accueil est moins agréable perce que nous sommes le Front national. Au niveau des hôtels, nous n'avons essuyé aucun refus, sauf un. Et l'on nous a proposé des prix intéressants ce qui nous a permis de choisir. Contrairement à Strasbourg où l'état de siège qui régnait nous avait obligé à nous restaurer à l'intérieur de notre lieu de réunion. Il n'y avait pas de problème de sécurité à Lyon et nous avons pu aller manger dehors. A Lyon la démocratie a fonctionné." Serge Martinez, membre du bureau politique du FN, délégué national pour les grandes manifestations est content. Il a des raisons de l'être. La convention FN de samedi et dimanche dernier au palais des Congrès de la Cité internationale ne s'est enrayé sur aucun de ces grains de sable qui soulignent régulièrement que ce parti, pour les républicains, n'est pas comme les autres. Même s'il n'est pas illégal.

La mairie de Lyon "banalise"

Du côté des responsables politiques lyonnais, on est loin de l'attitude offensive qu'avait pris, il y a près d'un an, Catherine Trautmann, alors maire de Strasbourg. Celleci n'avait pas hésité à appeler à manifester contre la venue de JeanMarie Le Pen dans sa ville. La municipalité de Lyon a choisi sciemment d'adopter une autre attitude qu'elle qualifie de "banalisation, non pas du discours du FN mais de ce type de réunion. C'est un problème de stratégie et de démocratie. Le maire n'est pas favorable au fait d'interdire des réunions. Quelles que soient les tendances politiques, il faut que le débat démocratique ait lieu. "Plus on "en" fait des martyrs, plus on leur fait gagner des voix. Il y aurait eu le bordel, ils auraient fait l'ouverture de tous les journaux. Là, ils ont fait 30 secondes sur F2 !", se féliciteton au cabinet du maire, en rappelant au passage que Raymond Barre, quand il s'est agi l'an dernier de louer la Bourse du travail au FN, avait refusé sèchement. "Les propos extrémistes tenus fréquemment dans vos réunions auraient constitué dans un lieu symbolique (...) une provocation (...)", avaitil dit alors (1). Suite à quoi, le maire de Lyon avait fait l'objet d'une plainte de la part du FN. Cette foisci, pour la convention du FN, la mairie fait mine de ne pas avoir été décisionnaire dans cette affaire puisque la gestion du palais des Congrès a été concédée depuis 1990 à la SPAICIL (2), une filiale du groupe Générale des Eaux, la ville restant propriétaire des terrains. Ce qui n'a tout de même pas empêché un échange de courrier entre une SPAICIL, prudente, qui a tout de même fait état de la demande du FN à la municipalité et une mairie qui s'en est lavé les mains, en demandant simplement d'appliquer au FN des "tarifs normaux". Cette logique de banalisation et d'une vision strictement marchande de l'événement a été, de fil en aiguille, poussée très loin. Car, même dans le cadre d'une acceptation de la tenue de la convention, rien n'interdisait à nos édiles politiques, responsables de l'exécutif de la ville, de prendre position publique et de faire connaître les réflexions que leur inspirait la venue de Le Pen à Lyon. Pour le moindre arbre planté, pour la venue d'une princesse ou pour le débat (capital) sur le sort qu'il faut réserver aux chichonneurs, nos députés, nos adjoints s'embrasent et font connaître leur fierté ou leur désapprobation. Mais là, alors que tout le gratin FN déboule avec plus de 3 000 candidats aux cantonales et aux régionales, silence radio. Le sujet, sans doute, n'était pas suffisamment sérieux ou politique. Seule la gauche a appelé à manifester et beaucoup de ses dirigeants locaux ont battu la semelle.

Business is business

Il n'y a pas à s'étonner, dans cette ambiance seulement démentie par l'ampleur de la manif anti-FN, que tous les hôteliers que nous avons contactés nous aient répondu sans complexe la même chose : "Nous répondons à une logique commerciale et nous n'avons pas à trier nos clients sur leurs opinions politiques." En revanche, Philippe Chavent de la Tour Rose reconnaît que s'il avait été contacté, il aurait prétexté d'être plein pour ne pas accueillir le Front national chez lui : "C'est tout de même ma maison !" Une position claire qui n'a pas été celle de Paul Bocuse. Il a accueilli, dans son abbaye, Jean-Marie Le Pen et 150 membres du FN, samedi soir pour leur faire visiter, après le foie gras et le repas à 500 F, sa collection de limonaires. "C'est une agence qui avait loué et nous n'avons su que plus tard qu'il s'agissait du FN. De toute façon, tous les clients ont droit au même respect", explique-ton chez Bocuse. Une version que dément Serge Martinez (FN) : "Nous ne passons jamais par une agence. Ça ne sert à rien de faire la demande sous une autre identité. Tout se fait en direct. Comme ça il n'y a pas de surprise." Suite à ce repas chez Bocuse qui se déroulait pendant qu'un dîner dansant (à 180 F) était organisé au palais des Congrès sous le haut patronage de Bruno Mégret, Jean-Marie Le Pen, sur les coups de minuit est allé se coucher, toujours selon Serge Martinez, à la résidence Astrid. Recherchant confirmation auprès de l'hôtel, nous n'avons eu droit qu'à cette drôle de réponse : "Nous n'avons pas le droit de divulguer le nom des gens qui sont descendus chez nous, que ce soit Jimmy Cliff ou Barbara Hendricks..." (!) Le nom des popstars est sorti tout seul, celui de Le Pen en revanche est resté bloqué. Il n'y a qu'une chose à retirer de tout cela : le business, c'est le business et l'attitude "banalisante" des responsables politiques a donné bonne conscience à tous ceux qui ont fait marcher leur tiroir-caisse. Pendant que les calculettes s'agitaient, entre 1,5 MF et 2 MF pour le palais des Congrès, Roger Holleindre, vice-président du FN dénonçait en parlant des manifestants contre le chômage et contre le FN : "Cette racaille, ces voyous, ces faux chômeurs et vrais pédés (qui) hurlaient leur haine, la bave aux lèvres. "Quant à Jean-Marie Le Pen il fustigeait "l'indécent procès Papon", "l'insécurité croissante, fille bâtarde de l'immigration galopante", "la presse qui est aux ordres", et apprenait à ses militants électrisés une bien étrange chose. Les parents d'enfants assassinés, lorsqu'ils réclament que leur douleur ne soit pas récupérée par les partis politiques, le font par intérêt... pécunier. "On leur explique que s'ils veulent avoir des subventions pour les Photo : Michel Cavalca obsèques de leurs enfants, il faut qu'ils fassent des déclarations contre le FN." Lyon a fait des affaires pendant deux jours. "Tête haute et mains propres", bien sûr.
(1) Conseil municipal 2 juin 1997.
(2) Société d'aménagement et d'investissement de la Cité internationale de Lyon.
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