CSA vintage 1982© tim douet

“Retirer à Numéro 23 l’autorisation d’émettre ne léserait personne”

Ce lundi 28 septembre, le CSA auditionnait Didier Maïsto, président de Fiducial Médias, dans le cadre du projet de cession de Numéro 23 au groupe NextRadioTV (lire ici). Découvrez l’intégralité du texte lu par Didier Maïsto devant les conseillers du CSA.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Fiducial Médias a répondu à l’appel à candidatures du CSA du 18 octobre 2011 pour 6 chaînes de télévision en haute définition sur la TNT. Ayant vécu cette histoire de l’intérieur et patiemment rassemblé – et conservé – toutes les pièces du puzzle, c’est en connaissance de cause que je puis affirmer que, lors de cet appel, les choix étaient en réalité déjà opérés en amont par l’Élysée. Je vais donc vous raconter cette histoire digne de Millenium de la façon la plus factuelle, la plus sobre et la plus sincère qui soit.

34 dossiers seront déposés quai André-Citroën. Le soir même de la clôture officielle des dépôts, soit le 12 janvier 2012, nous avions déjà la liste des 6 chaînes qui émettraient 11 mois plus tard. C’est qu’à l’époque l’appel à candidatures fonctionnait à l’envers, et n’était lancé par le CSA ancienne mouture que lorsque l’Élysée avait donné son aval pour les futurs bénéficiaires.

Le patron d’un institut de sondage, auquel nous commandions de temps à autre des études, me téléphona et proposa de me mettre en contact avec Patrick Buisson, le principal conseiller de Nicolas Sarkozy, alors président de la République.

Je cite : “Ce n’est pas au CSA que ça se passe, mais à l’Élysée et c’est Patrick Buisson qui tire toutes les ficelles pour Nicolas Sarkozy, je peux t’organiser un rendez-vous. Il connaît tout ça par cœur, en plus c’est le patron de la chaîne Histoire.”

Surpris par une affirmation aussi directe et aussi péremptoire, mais piqué au vif dans ma curiosité de journaliste, rendez-vous fut pris le 25 janvier 2012 à 18h au Royal Monceau, dans le 17e arrondissement de Paris.

Ne souhaitant pas m’y rendre seul, je me ferai accompagner par le consultant qui nous a aidés à élaborer notre projet, bon connaisseur des arcanes du CSA. Le patron de l’institut de sondage sera également présent au rendez-vous.

Tout vêtu de noir, Patrick Buisson, que je n’avais jamais rencontré avant cette date, arrivera avec une demi-heure de retard. Nous passons en revue les différents projets.

Patrick Buisson : Bon, on ne va pas se raconter d’histoires, TF1 et M6 c’est fait, NRJ et TVous la Diversité (ancien nom de Numéro 23, j’y reviendrai), c’est fait aussi. Restent les cas BFM et L’Équipe, pour eux c’est un peu plus compliqué.
Didier Maïsto : Les autres chaînes, je peux comprendre, mais TVous, franchement, ça me dépasse complètement. Comment peut-on sérieusement défendre un tel projet ? La diversité, ça doit être transversal, ça ne peut pas être sur un seul canal, ça n’a pas de sens…
PB : Ne cherchez pas à comprendre. Sa chaîne, il l’a, c’est déjà fait, c’est comme ça, point final.
DM : C’est ce que tout le monde me dit, mais moi j’aime bien ça, chercher à comprendre. C’est même mon métier. Et là, chaque fois que j’essaie d’en savoir plus sur ce dossier, il y a comme un malaise qui s’installe…
PB : Donc, comme je vous l’ai dit, il y aurait peut-être quelque chose à jouer pour vous. Weill est fragile en ce moment et pour L’Equipe, contrairement à ce qu’on raconte, rien n’est encore fait.
DM : Mais on m’a dit que Mme Amaury en personne était venue plaider sa cause auprès de Nicolas Sarkozy…
PB : Oui, d’accord, mais ça ne veut pas dire qu’elle aura sa chaîne.

(À ce moment, Patrick Buisson prend notre dossier de présentation de la chaîne, puis le repousse d’un air dédaigneux).

PB : D-Facto, ça ne veut rien dire ! Quelle est la promesse de la chaîne ?
DM : Comment ça, la promesse ? C’est écrit en toutes lettres ! D-Facto, la chaîne documentaires et débats.
PB : Ce n’est pas assez précis, ça, pas assez thématique. La chaîne Histoire, on sait tout de suite ce que c’est.
DM : Vous préféreriez quoi ? D-Facto, la chaîne de Sarko ?

(Patrick Buisson, surpris sans doute par mon franc-parler, me regarde pour la première fois droit dans les yeux et esquisse enfin un sourire.)

PB : Bon, faites-moi porter un exemplaire par coursier demain matin.
DM : Il paraîtrait que certains conseillers auraient des velléités d’indépendance, à cause des mauvais sondages pour Nicolas Sarkozy…
PB : Pff... Quand Sarkozy dit quelque chose, le président du CSA écoute et tout le monde s’exécute. Demain, je suis à l’Élysée, je lui en parle.

Le lendemain, c’est en fait le patron de l’institut de sondage qui me rappellera, pour me demander de recevoir, dans les meilleurs délais, le fondateur d’un site Internet d’information (que j’avais déjà reçu quelques mois plus tôt, mais je n’avais pas donné suite). “Ça devrait favoriser ton dossier, me glissera-t-il, il cherche des fonds pour se développer et Patrick a pensé que vous pourriez l’aider.”

Le procédé est plutôt inédit et encore une fois très direct, mais je recevrai à nouveau le jeune entrepreneur, le lundi 30 janvier 2012 à 16h, un homme au demeurant sympathique, intelligent et cultivé, avec lequel le courant est assez bien passé. Bien entendu, je ne m’engagerai sur rien, si ce n’est de nous revoir.

Quelques jours plus tôt, le 16 décembre 2011 pour être précis, Michel Boyon tiendra à nous faire savoir que, si notre projet était "particulièrement intéressant", il fallait "absolument être accompagnés par un grand professionnel de la télé pour être vraiment certains d’obtenir la chaîne" et "surtout bien le mettre en avant le jour de l’audition". C’est ainsi qu’il nous fera appeler, le 19 décembre 2011, pour nous transmettre une liste "secrète" de 4 noms :

  • Xavier Gouyou-Beauchamps, ancien président de France Télévisions
  • Claude-Yves Robin, ancien directeur général de France 2 et de France 5
  • Henri Pigeat, ancien président de l’AFP (dans les années 1970-1980)
  • Et un certain Norbert Balit, vers lequel allait sa préférence.

Début janvier 2012, je rencontre donc Norbert Balit à mon bureau parisien. Celui-ci me délivre le même mode d’emploi quant à l’obtention d’une chaîne sur la TNT et, le 6 février à 10h, nous serons donc officiellement reçus tous les deux à l’Élysée par Camille Pascal, plume de Nicolas Sarkozy.

Camille Pascal fut successivement directeur de cabinet de Dominique Baudis au CSA (2001), secrétaire général de France Télévisions (2007), puis directeur de la communication du même groupe (2008) ; il sera en fait le bras droit de Patrick de Carolis. Puis Nicolas Sarkozy le nommera le 3 mai 2012 au Conseil d’État.

Toujours est-il qu’à l’Élysée, en cette matinée hivernale, je ne suis pas au bout de mes surprises. Camille Pascal nous accueille dans sa "soupente", pour reprendre son expression, du 4e étage du 55 rue Faubourg-Saint-Honoré.

Comme le temps nous est compté, Camille Pascal entre immédiatement dans le vif du sujet. Je cite : "Bon, nous ne sommes pas dans une réunion de gitans qui vont se dire la bonne aventure. Quoi qu’on en dise, concrètement, TF1, M6, NRJ, L’Équipe TV et BFM ont leur canal, il n'y aura donc qu’un seul nouvel entrant."

Rappelons que ce discours, pour ce qui regarde les heureux élus, diffère légèrement de celui tenu quelques jours plus tôt par Patrick Buisson, mais je ne relèverai pas, laissant Camille Pascal poursuivre. Je ne serai pas déçu. Je cite :

"Vous avez des chances sérieuses d’être ce nouvel entrant. J’ai lu votre projet, il tient vraiment la route, il comblerait un grand vide et il nous intéresse beaucoup, notamment dans sa dimension “utilité sociale”, une valeur hélas délaissée par le service public."

S’ensuit un passage en apparence plus obscur :

"Le consultant que vous avez choisi est un solide atout, il domine son sujet et connaît bien les arcanes du CSA. Quant à Norbert [Norbert Balit, déjà évoqué], il a un très bon réseau et avec son projet de chaîne dans le Sud, que vous acceptez, si j’ai bien compris, de financer et pour lequel l’Élysée pousse aussi… eh bien tout ça ferait sens, dans la mesure où l’un pourrait diffuser 50% des programmes nationaux de l’autre."

En clair, Norbert Balit, qui, avec l’aval du pouvoir, a pour projet de répondre à un appel à candidatures du CSA pour une chaîne locale (voire 2 chaînes) dans le sud-est de la France, apporte un bel actionnaire susceptible de financer la moitié de ses programmes, en contrepartie l’Élysée est censé lui accorder ses fréquences de télé locales… et du même coup nous accorder une chaîne nationale sur la nouvelle TNT. Bref, un marché de dupes pour le moins alambiqué, et l’on tentera même de nous faire signer par contrat cette tentative d’extorsion de fonds.

Camille Pascal poursuit : "L’Équipe TV a bien plus de légitimité que BFM sur le sport, on va donc donner à Weill RMC Découverte. Pour éviter un combat frontal avec BFM, il conviendra à l’oral du 8 mars de vous différencier, de ne pas vous cantonner aux documentaires, mais de préciser le propos. Vous devrez vous présenter comme la chaîne du décryptage de la société, c’est ce qui fera la différence."

Je lui réponds alors : "Ça alors, ça tombe bien, c’est précisément le cœur de notre projet, on a donc notre chaîne, c’est bien ce qui me semblait, mais je suis heureux que vous me le confirmiez aujourd’hui."

Camille Pascal, un brin gêné – et comprenant sans doute à ce moment précis qu’il s’était lui-même piégé – me lancera : "Compte tenu des progrès techniques en termes de compression, je suis convaincu qu’un nouvel appel à candidatures aura lieu à l’horizon 2014-2015. Si vous n’êtes pas retenu cette fois-ci, vous aurez pris date et serez identifié par le CSA pour le prochain coup."

Lors de son audition, le 8 mars 2012, au CSA, Pascal Houzelot, porteur du projet Tvous La Diversité alias Numéro 23, n’a guère convaincu, en dépit de ses accompagnateurs prestigieux. Michel Boyon et le tout Paris médiatico-politique avaient beau susurrer, sur l’air entendu de la confidence, que tout était déjà ficelé et que cette chaîne serait magnifique, personne, au fond, n’était dupe quant à la nature réelle de l’opération.

Pas même la plupart des conseillers du CSA, qui feront part de leurs doutes, voire attaqueront violemment le projet lors de l’audition. Patrice Gélinet lancera ainsi à l’adresse de Pascal Houzelot : "Est-ce que vous ne craignez pas que chacune de ces diversités ne s’intéresse, au fond, dans les programmes, qu’à ce qui la concerne et qu’au lieu, autrement dit, de fédérer, votre télévision n’entretienne le communautarisme ?"

Alain Méar enfoncera le clou, en rappelant que la diversité devait être promue sur TOUS les écrans de la télévision, pas seulement sur un seul canal, ce qui serait contreproductif.

Rachid Arhab sera quant à lui encore plus direct : "Moi aussi je suis sensible, comme Alain Méar, à ce que vous avez rappelé de l’action du Conseil et notamment de Michel Boyon pour ouvrir ce dossier de la diversité. Mais sur l’ensemble des chaînes ! (…) Encore une fois, c’est plus qu’une différence philosophique et notre démarche a été de bien expliquer aux opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, que nous ne souhaitions pas une chaîne “alibi” dans un groupe, ou une chaîne “prétexte” pour la visibilité, simplement ce qui aurait eu, selon nous, comme inconvénient majeur de dédouaner les autres chaînes de toute obligation de représentation de la diversité. C’est un rappel qui me paraissait important."

Mais la charge la plus lourde viendra de Françoise Laborde. Extraits :

"Je vois bien ce que n’est PAS cette chaîne : elle n’est PAS communautariste, elle n’est PAS alibi, elle n’est PAS la négation des différences. Mais j’ai du mal à voir ce qu’elle est, du coup. Quelle est la différence de programmes ? Combien de programmes allez-vous produire en propre ? Qu’est-ce qu’une information, par exemple, en continu, sur la diversité ? En quoi un feuilleton sur la diversité est différent d’un feuilleton à succès tout court ? (…) Est-ce que l’addition des différences, ça fait une cohérence ? C’est ça la question, est-ce que vous avez un public, à un moment donné, qui s’intéresse à une différence, quelle qu’elle soit – religieuse, culturelle, géographique, que sais-je – qui peut s’intéresser à la différence de l’autre ?"

En dépit de ces assertions, le CSA offrira un canal sur la TNT à Pascal Houzelot, par 7 voix sur 9. Un plébiscite.

En réalité, lorsque le CSA de Michel Boyon lance l’appel à candidatures de 2011, deux projets sont centrés sur “la diversité”. L’un, initialement baptisé Tvous la Télédiversité, porté par Pascal Houzelot. L’autre, Urb TV, défendu par Radio Nova, Pierre Lescure, Luc Besson ou encore l’équipe du mensuel So Foot.

L’humoriste Yassine Belattar défendait le projet Urb TV… Mais le CSA interviendra de façon tout à fait illégale, deux jours avant l’audition, soit le 6 mars 2012, pour que les deux projets "fusionnent". Ecoutons Yassine Belattar : "Un Sage m’a dit : “Vous avez la meilleure offre sur le plan éditorial, Houzelot le tour de table le plus solide financièrement, il faut vous entendre”."

Une fois la fréquence accordée à Pascal Houzelot, le 27 mars 2012, le contenu d’Urb TV sera littéralement jeté à la poubelle, faute de budget ! Je cite Yassine Belattar, avec lequel j’ai longuement échangé sur le sujet, après qu’il a tout confié au Parisien : “Pascal Houzelot nous a reçus une semaine après pour nous dire qu’il n’avait pas l’argent nécessaire, contrairement à ce qu’il avait dit aux Sages, certains de ses prestigieux partenaires n’avaient pas mis un centime dans l’affaire. Nous avons été utilisés ! Avec la vente de Numéro 23, je découvre que la diversité coûte 90 millions d’euros. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’elle n’avait pas de prix.”

À ce propos, il est intéressant de ré-entendre ce que disait Michel Boyon sur LCI, le 30 mars 2012, soit trois jours plus tard :

Michel Boyon : "Un autre critère que nous avons retenu, c’est celui de la solidité financière du candidat, on ne veut pas se retrouver dans un an, dans deux ans, dans trois ans, avec une situation que nous avons déjà connue, où des gens mettent la clef sous la porte parce que, ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts, et ils rendent leur fréquence au CSA, où ils la vendent à un autre opérateur. Ça, je n’en veux plus, parce que ça n’est pas correct, ni vis-à-vis du CSA, bien sûr, ni vis-à-vis surtout du public, et c’est ça qui compte le plus."

Alors, bien entendu, nous avons introduit des recours au Conseil d’État, 7 au total, 6 contre les chaînes, un contre le CSA. Etant donné les moyens soulevés, nous ne pouvions procéder différemment, je n’entre pas dans le raisonnement juridique. Ces recours étaient en train d’aboutir, des suppléments d’instruction tombaient en effet méthodiquement, les uns après les autres, qui auraient abouti à brève échéance au retrait des autorisations des 6 dernières chaînes de la TNT.

À la fin du printemps 2014, Nicolas de Tavernost, patron de M6, cousine de RTL, vient nous voir, car il s’estime, avec 6 Ter, victime collatérale de nos recours. Le 1er octobre 2013, nous avions, je le rappelle aujourd’hui, racheté Sud Radio, qui elle aussi avait des recours pendants au CE, introduits – avant notre rachat d’ailleurs – par le SRGP, un syndicat regroupant 3 des 4 radios généralistes et nationales, RMC, Europe 1 et RTL, et l’idée était par conséquent de se diriger vers des désistements réciproques. Nous nous sommes donc vus ici même, dans le bureau du président du CSA, avec bien sûr Olivier Schrameck, Nicolas de Tavernost, Alain Weill, Christian Latouche, président du groupe Fiducial, et moi-même qui dirige la filiale médias. Nous étions en ce qui nous concerne assez tièdes sur ces désistements, mais nous nous sommes laissés convaincre pour plusieurs raisons :

  1. Le CSA avait changé, il était entretemps devenu une autorité administrative indépendante, dotée d’une personnalité juridique, ce qui n’était pas le cas à l’époque Sarkozy-Boyon.
  2. Effectivement il y avait des victimes collatérales, eu égard à l’introduction de nos recours.
  3. Dans un souci d’apaisement et d’intérêt général bien compris, ces désistements faisaient sens.
  4. Enfin, si les recours avaient été au bout, le budget de la nouvelle autorité administrative n’y aurait pas suffi, car les chaînes auraient en effet demandé des dédommagements colossaux au CSA, plusieurs dizaines de millions d’euros.

Coup de théâtre, un dimanche après-midi Nicolas de Tavernost m’appelle sur mon portable pour m’apprendre qu’Alain Weill voulait changer les règles du jeu à son profit et conditionner son accord au non-passage de LCI sur la TNT gratuite, une chaîne qu’il estimait être une grave menace pour BFM et pour son indépendance.

Nous nous sommes donc revus au début de l’été 2014, les mêmes participants, au même endroit, dans une séance assez houleuse. Nous avons signifié à Alain Weill que son chantage était tout simplement inacceptable, que nous n’étions demandeurs d’aucun accord et que nous avions simplement accepté de nous désister pour l’intérêt général et dans l’intérêt de la filière audiovisuelle.

Nous nous sommes donc quittés sans accord. À la suite de quoi, dans les semaines qui ont suivi, votre Conseil a pris souverainement ses décisions concernant LCI, Paris Première et Planète, après étude d’impact, les 3 chaînes n’ont pas été autorisées à passer sur la TNT gratuite et je m’abstiendrai de tout commentaire à ce sujet, sauf à souligner qu’à aucun moment, et pour ce qui nous concerne, Olivier Schrameck n’a exercé la moindre pression sur nous, quelle qu’elle soit.

Après un été de réflexion, nous nous sommes revus – nous, c.a.d. les opérateurs –, début septembre 2014, avec nos avocats respectifs dans le bureau du président de M6 à Neuilly et avons finalement les uns et les autres abandonné tous nos recours.

Mardi dernier encore, à l’occasion de mon audition publique dans un autre dossier, Patrice Gélinet – mais c’est un argument que j’ai déjà entendu – a dit que j’étais “déçu de ne pas être sur la TNT”, que, je cite, “ceci expliquait sans doute cela” et que cette prétendue déception venait nourrir je ne sais quelle ire contre le CSA et contre certains opérateurs.

Je dois dire de façon très sereine et factuelle qu’il n’en est RIEN et que nous nous étions désistés de TOUS les recours, y compris contre Numéro 23, alors que RIEN ne nous y obligeait et que PERSONNE ne nous le demandait, car Numéro 23 n’était pas adhérente du SRGP, au même titre d’ailleurs que HD1 ou Chérie 25, pour lesquelles nous nous sommes également désistés.

Après le rachat de Sud Radio et notre accord, nous étions vraiment passés à AUTRE CHOSE, nous avions tourné la page et même enlevé du site Lyon Capitale – ce que je n’avais encore jamais fait de ma vie et que je ne ferai plus jamais – la TOTALITÉ des articles consacrés à cet appel à candidatures et à ses suites. Il est important de le préciser pour la suite de l’histoire. D’autant qu’Alain Weill préparait un nouveau coup de théâtre !

Ainsi, le tour de passe-passe que nous évoquions dès le début 2012 – la préemption d’un canal dans le seul but d’une revente rapide à destination d’un opérateur qui sortirait du bois le moment venu – se produisit sous nos yeux début avril 2015 : la chaîne Numéro 23, lanterne rouge de la TNT à l’audience infinitésimale (citer Médiamétrie) était entrée, depuis plusieurs mois sans doute, en “négociation exclusive” avec le groupe d’Alain Weill, NextRadioTV, pour près de 90 millions d'euros !

Ainsi, les chaînes que nous avions sauvées sans AUCUNE contrepartie en profiteront pour se revendre immédiatement l’une à l’autre, ce qui était bien sûr le but initial, Numéro 23 au groupe NextRadioTV, qui se revendra lui-même à Altice !

Nous n’avions dès lors d’autre choix que de republier les articles écrits à l’époque, sans en modifier la moindre ligne et pour ôter toute espèce de doute sur notre acquiescement de ce système, à quelque échelon que ce soit. Se taire, c’est être complices. Nous ne sommes pas complices.

En mai 2015, Pascal Houzelot finira par transmettre au CSA, qui le réclamait avec insistance depuis un an et demi, le mystérieux pacte d’actionnaires de Numéro 23. Souvenons-nous qu’en octobre 2004, et sur la requête de TF1, le Conseil d'État avait annulé 6 des 23 autorisations délivrées le 10 juin 2003 par le CSA.

Pour statuer ainsi, le Conseil d'État avait tenu un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, il avait relevé qu'à la date à laquelle le CSA avait délivré ces autorisations l'article 41 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle limitait à 5 le nombre maximal d'autorisations de diffusion qu'une même personne pouvait détenir, soit directement, soit par l'intermédiaire de sociétés qu'elle aurait contrôlées.
  • Il avait estimé, en second lieu, qu'une société en contrôle une autre lorsqu'elle en possède la majorité des droits de vote et que, lorsque deux ou plusieurs personnes, agissant de concert, déterminent en commun les décisions prises par les assemblées générales d'une société tierce, ces personnes sont réputées exercer un "contrôle conjoint" sur cette société.
  • En dernier lieu, le Conseil d'État avait examiné, à la lumière de ces principes, la structure financière des sociétés visées par la requête.

Aujourd’hui, il s’agit primo de comprendre pourquoi l’oligarque Alicher Ousmanov s’est réveillé un beau matin dans le smog londonien avec l’irrépressible envie d’investir plusieurs millions d’euros dans une chaîne française fantôme et secundo de découvrir à quelle hauteur exacte se situe son investissement – et par conséquent la réalité du contrôle de Numéro 23 par une puissance extraeuropéenne.

L’article 40 de la loi du 30 septembre 1986 est clair, qui limite à 20 % la part d'actionnariat extracommunautaire, directe ou indirecte, du capital des sociétés de télévision titulaires d'autorisation. Peu importe, dès lors, les quotités initialement inscrites au pacte d’actionnaires, celui qui paie étant juridiquement considéré comme le donneur d’ordres et donc le patron effectif de la chaîne.

À l’aune de ces éléments, le CSA est déjà tout à fait en mesure, s’il le décide, de retirer à Numéro 23 l’autorisation d’émettre. Cela ne léserait personne, puisque la chaîne n’a aucune audience et, mieux encore, cela aurait le mérite d’éviter de passer de l’escroquerie intellectuelle à l’enrichissement personnel à partir d’une ressource publique.

Si le Conseil ne va pas jusqu’à cette extrémité, l’amendement adopté il y a quelques jours en CMP permettra au régulateur de ne pas accorder son agrément à une revente si l’opérateur n’a pas respecté les engagements contractés dans sa convention et à obliger ce dernier, sous réserve qu’il se soit mis en conformité au niveau de la loi de 1986, à respecter ses engagements conventionnels.

Mais, autre problème, le pacte d’actionnaires signé le 21 octobre 2013 entre Pascal Houzelot et UTH Russia, le groupe d’Alicher Ousmanov, est assorti d’une clause qui prévoit, outre les millions d’euros versés pour éponger les pertes – il serait intéressant de voir exactement combien et quelle est aussi l’origine des fonds – cette clause prévoit donc “une vente de la société dès que possible, à partir de janvier 2015”.

Au moment même où Pascal Houzelot constitue le capital de la société et signe une convention bien peu contraignante, rédigée sur mesure par Emmanuel Gabla et Michel Boyon, il négocie avec son principal actionnaire russe une clause prévoyant que la chaîne sera revendue sitôt le délai légal des deux ans et demi écoulé. CQFD !

Le projet est une tromperie et l’oligarque russe est seulement venu faire du portage. Pourquoi, l’histoire ne le dit pas encore, tant l’homme est riche et tant ces apports ne constituent pour lui que de l’argent de poche. Mais il a bien un intérêt quelque part.

De toute façon, puisque la puissance publique les attribue gratuitement, il s’agit juste de spéculer sur les canaux de la TNT. Il y a eu des précédents jamais sanctionnés, que tout le monde ici a bien en tête. Dans ces conditions, pourquoi s’en priver ?

Premier miracle, voilà qu’Alain Weill émerge et se porte candidat pour acheter ladite chaîne, le faisant publiquement savoir en avril de cette année, une fois que tout est bouclé – et second miracle voilà qu’au début de l’été émerge Patrick Drahi, qui vient à son tour absorber le groupe NextRadioTv et par conséquent Numéro 23 !

Il y a quelques mois, une drôle de mise sur le marché de Numéro 23 est même organisée. Nicolas de Tavernost et moi-même serons par exemple approchés par des banquiers d’affaires nous demandant, c’est un comble, si par hasard nous ne voulions pas acheter la chaîne, pour qu’il soit bien dit et répété que cette vente n’était pas secrète, mais tout à fait connue sur la place publique – une brève sera même publiée pour acter le tout par un journaliste peu scrupuleux, il y en a aussi.

Sauf que le pacte était déjà scellé en amont – nous l’avions dit et écrit dès le début de l’année 2012 – et que toute personne non incluse dans l’affaire initiale n’était évidemment contactée que pour servir d’alibi en cas de problème.

De plus, avec sa minorité de blocage et son financement du besoin en fonds de roulement, c’est bien Alicher Ousmanov qui apparaît comme le donneur d'ordres et par conséquent le vrai patron de Numéro 23, d’autant que le pacte précise qu’ “aucune décision d’assemblée générale extraordinaire” ne peut être prise “sans l’aval d’UTH Russia”.

Et ce n’est pas fini : Pascal Houzelot a également signé, au mois de mai 2014, un accord avec Qipco (Qatar Investment & Projects Development Holding Company), détenu par l’ancien émir du Qatar, qui a abdiqué au profit de son fils il y a deux ans.

Enfin, les autres actionnaires français ont financé la chaîne fantôme sans programmes ni public via un prêt obligataire et ont apporté 9 millions d'euros (14 millions au total pour le prêt consenti à Numéro 23). Rappelons rapidement qu’un emprunt obligataire est un titre de créance, c'est-à-dire qu'il représente une dette, remboursable à une date et pour un montant fixé à l'avance, et qui rapporte un intérêt. En cours de vie, la valeur d'une obligation évolue à la hausse ou à la baisse. Le capital étant intégralement remboursé à l'échéance, la vente avant l'échéance peut donc entraîner des plus-values ou des moins-values. L’existence de ce pacte (dans lequel figure la fine fleur du CAC 40, le Qatar et la Russie) ne pouvait donc en aucune manière être ignorée d’Alain Weill, qui s’est porté acquéreur de la chaîne Numéro 23, après donc que celle-ci eut été sauvée, comme je l’ai précédemment expliqué, à la faveur de retraits de recours au Conseil d’État. Elle ne peut a fortiori être ignorée d’Altice.

Pascal Houzelot n’aura été qu’un vecteur bien commode, le pont avancé d’un vaste système transversal qui, via “l’entregent” et “les réseaux”, prospère sur le bien public en revêtant les habits des causes les plus nobles et à ce titre difficilement attaquables.

Cette histoire de diversité n’était qu’un moyen pour obtenir à titre gracieux un canal de la TNT, le conserver pendant les deux ans et demi que la loi impose, quasiment sans embaucher ni investir, et la revendre sitôt passé ce délai, deux ans et neuf mois après, en réalisant la plus incroyable des plus-values. C’est un système sophistiqué, international, que Pascal Houzelot n’a pu réaliser tout seul.

Après lecture de nos différents articles consacrés au sujet, Alicher Ousmanov, basé à Londres, me fera appeler par sa proche collaboratrice, le 15 juin 2015. Laquelle me dira, en anglais :

  1. Que M. Ousmanov est seulement un homme d'affaires, qu'il ne fait pas de politique et qu'il n'est pas un espion du KGB.
  2. Que tout ce qui est écrit dans mes articles est juste, mais qu’Alicher Ousmanov a quitté ses fonctions à la tête de la holding chargée des investissements de Gazprom en octobre 2014.
  3. Enfin, qu'il avait bien étudié Yandex, le "Google russe", mais qu’il n’y avait finalement pas investi d’argent.

Pour conclure, je voudrais vous faire part d’une anecdote qui résume bien les choses. Le 12/12/12 à 12h12, selon le vœu de Michel Boyon, les 6 chaînes de la TNT émettaient officiellement. Le lendemain, un petit-déjeuner se tenait à la questure de l’Assemblée nationale, réunissant les députés spécialistes de l’audiovisuel, les 6 nouveaux patrons de chaînes et le président du CSA, Michel Boyon, donc. Présent à ces agapes, j’en ai profité pour poser une question, que je vous livre.

Ma question s’adresse au président Boyon, à M. Houzelot et, ça tombe bien, au représentant de TF1 qui vient de s’exprimer dans la salle. Monsieur Boyon, durant votre mandat au CSA, vous avez souhaité faire de la diversité votre cheval de bataille. Monsieur Houzelot, j’ai assisté à votre audition le 8 mars dernier au CSA, vous avez dit, je reprends votre propre expression, “Chiche pour le passage à l’acte” et vous avez enfourché ledit cheval, pour une chaîne à vocation culturelle axée sur la diversité. En y regardant de plus près, la représentation nationale s’en est émue et Martine Martinel, par exemple, députée socialiste et rapporteure pour avis des crédits de l’audiovisuel, a pu dire que votre projet, plutôt que de promouvoir la diversité, n’était qu’une juxtaposition de ghettos. La charge est importante, l’accusation est grave et vous vous êtes défendu en affirmant qu’il n’en serait rien, que ce serait une chaîne ouverte à tous, qui ferait la part belle aux débats et aux échanges, aux documentaires de création, aux œuvres patrimoniales, qui serait une chaîne thématique et pas du tout une chaîne ghetto. Or, lorsque l’on va sur le site de TF1, quand on est simplement annonceur, l’ex-chaîne TVous la Diversité, qui est devenue Numéro 23, chaîne plutôt neutre dans son titre, est vendue et commercialisée comme une généraliste. Alors, est-ce une chaîne culturelle axée sur la diversité ? Ou est-ce une généraliste ? Je vous remercie.

Savez-vous ce que Pascal Houzelot a répondu, après un long flottement de tous les intervenants à la tribune ? Qu’il ne fallait pas faire de procès d’intention, que j’étais déçu de ne pas avoir obtenu de canal et que j’étais agressif. J’ai déjà entendu ça quelque part, c’est un peu court, jeune homme, on pouvait dire “odieux”, bien des choses en somme…

Alicher Ousmanov n’a quant à lui aucun problème sur le fond, il semblerait qu’à Londres et à Moscou on soit tout à fait à l’aise et décomplexé pour évoquer cette affaire de portage et de plus-value.

À Paris aussi, surtout quand on n’est plus tenu au devoir de réserve ou qu’on a malheureusement servi d’alibi en raison de sa couleur de peau ou de la consonance de son patronyme : Yassine Belattar et Rachid Arhab en savent quelque chose.

La diversité telle qu’elle a été bassement utilisée dans cette affaire – au fond, c’est ça le plus grave – rappelle la lutte contre le cancer dans les années 1990, quand les Français découvrirent que seulement 27 % des sommes collectées par l’ARC étaient consacrées à la recherche.

À la fin de cette histoire, dans laquelle interviennent des personnalités de premier plan – et, vous l’avez sans doute relevé, les principaux acteurs de Bygmalion –, il est légitime de se demander si tout n’était pas prévu dès le début, tant une même main semble avoir conçu la totalité de l’opération.

Nul besoin d’être un expert financier pour comprendre que ce goodwill, c’est-à-dire la différence gigantesque entre l'actif du bilan de Numéro 23 et la somme de son capital immatériel, ce goodwill donc ne peut se justifier que par un contrat préalable de cession finale et donc un montage complet allant de l’attribution de la chaîne jusqu’à la vente de NextRadioTV à Altice, contrôlée par Patrick Drahi.

Un Patrick Drahi qui se promène en permanence avec 15 milliards au bout des doigts, refusés d’ailleurs par Martin Bouygues, qui lui a répondu que “tout n’était pas à vendre”. C’était précisément le sens de mon intervention. Je vous remercie.

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