Nicolas Sarkozy
© Clemens Bilan / AFP

Le “prince de la transparence” Sarkozy fait la leçon au pdt du CSA

Auditionné hier par la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le président du CSA a fermement défendu la régularité et l’impartialité du processus de nomination de Delphine Ernotte à la présidence de France Télévisions. S’estimant victime d’une campagne de déstabilisation orchestrée – et ouvertement revendiquée – par Nicolas Sarkozy et docilement relayée par l’UMP, par certains candidats non retenus et même par des membres (restés anonymes) du CSA, Olivier Schrameck a répondu point par point aux questions souvent pleines d’arrière-pensées des députés.

Du temps de l’omniprésident Nicolas Sarkozy, qui voulait tout régenter lui-même, des syndicats de salariés aux relations humaines du Parti socialiste, des recrutements de joueurs de l’équipe de foot du PSG aux patrons et aux journalistes de l’audiovisuel (public et privé), en passant par le tout-à-l’égout de sa belle-famille au cap Nègre, le CSA n’était plus qu’une (riche) institution fantoche, sans pouvoir ni marge de manœuvre (lire ici).

Les chaînes de télé y étaient distribuées par la grâce du prince (avec des auditions totalement factices car tout était déjà décidé en amont) et on en voit les résultats aujourd’hui : les six derniers canaux de la TNT ont des audiences confidentielles, une économie extrêmement fragile, des programmes dont la qualité reste très incertaine, la palme revenant sans conteste à Numéro 23, pourtant en passe d’être revendue 90 millions d’euros au groupe d’Alain Weill (RMC, BFM) – “un braquage”, selon l’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand.

La gauche revenant aux affaires, la promesse de redonner du pouvoir au CSA a été tenue (pour une fois !) et l’institution est ainsi devenue une autorité administrative indépendante, avec une personnalité juridique différente de celle de l’État. Si, bien entendu, tout n’a pas été réglé par cette simple décision, c’est incontestablement un progrès démocratique. Mais Nicolas Sarkozy ne l’entend pas du tout ainsi et s’agite comme un diable pour tenter de jeter le discrédit sur Olivier Schrameck, relayé à l’Assemblée nationale par des députés peu scrupuleux qui, à l’instar de Thierry Solère, ne connaissent rien à l’audiovisuel (voir ici) mais lisent avec fougue – sinon avec conviction – des questions d’actualité rédigées par leur groupe.

Le grand cirque

Bref, rien de nouveau, nous sommes bien là au royaume de la politique politicienne, il s’agit de taper le plus fortement possible sur le camp d’en face, quitte à mentir par omission et à empiler contrevérités et approximations de tout ordre. Les mardis et mercredis sont jours propices à ce grand cirque : lesdites questions d’actualité étant télévisées, les députés de base “se lâchent”, essayant par tout moyen de sortir de leur anonymat pour assurer leur publicité dans “leur” circonscription. Si les effets de manches sont garantis, les débats en sortent rarement grandis –surtout quand le ministre en charge du secteur est globalement faible, joue sa carte personnelle et ne maîtrise pas ses dossiers (lire ici).

La semaine dernière, le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, Christian Jacob, était allé jusqu’à demander la création d’une commission d’enquête (sachant qu’il ne l’obtiendrait pas mais que l’expression marquerait le grand public). La conférence des présidents l’ayant logiquement refusée, le président de la commission des affaires culturelles, Patrick Bloche, avait donc proposé d’auditionner hier Olivier Schrameck. “On fait une audition parce qu’il n’y a pas, de mon point de vue et avant l’audition d’Olivier Schrameck, d’éléments constitutifs d’une commission d’enquête parlementaire. C’est-à-dire une irrégularité ou une illégalité caractérisée traduisant un dysfonctionnement majeur”, avait indiqué M. Bloche au Monde.

Un vote collégial

Sur la prétendue partialité du collège, relayée par certains médias étonnamment complaisants (Le Monde, Mediapart, L’Obs…) – qui n’avaient cependant pas écrit la moindre ligne sur le CSA version Sarkozy-Boyon, laissant à Lyon Capitale un terrain vierge à défricher où l’on trouvait déjà, pêle-mêle, Patrick Buisson et les principaux acteurs de Bygmalion –, Olivier Schrameck s’est défendu de tout favoritisme, affirmant n’avoir jamais rencontré Delphine Ernotte avant le 6 mars. Il a par ailleurs précisé avoir rencontré pléthore d’autres candidats et ne pas avoir eu de contacts avec elle depuis cette date.

Pour ce qui concerne les règles du vote, rappelons que ce sont bien les huit membres du collège du CSA qui ont voté à bulletin secret sur chacun des trente-trois postulants initiaux, et que seuls ceux qui ont obtenu au moins cinq voix ont été retenus, ce qui a entraîné l’éviction de candidats qualifiés par la presse de “sérieux”, comme Marie-Christine Saragosse (France Médias Monde), Emmanuel Hoog (AFP) ou encore Didier Quillot (ex-Orange et ex-Lagardère Active), lequel, vexé comme jamais par tant d’indifférence, est allé jusqu’à parler de plagiat de son projet par Delphine Ernotte.

Certains Sages sont embarrassés par leur liberté nouvelle

Certains conseillers du CSA ont a posteriori assuré à des journalistes que la méthode de vote avait été “imposée” par Olivier Schrameck “au dernier moment”, alors que dans le cas de la présidence de Radio France, un an plus tôt, la liste avait été établie de façon plus collégiale. Le président du CSA a démenti tout changement de procédure de dernière minute et même estimé que le système adopté pour France Télévisions n’avait rien changé par rapport à celui retenu pour Radio France.

Et quand bien même, on comprend mal en quoi le fait que le vote fût secret ait pu altérer la sincérité et la validité de celui-ci. Jusqu’à preuve du contraire, c’est ainsi que le vote se pratique en France, c’est même une condition sine qua non du suffrage universel. Au surplus, quand on est choqué par une procédure ou un ordre qu’on estime injuste et illégitime, on démissionne de l’institution et on le fait savoir. Là encore, ce procès en sorcellerie est assez incompréhensible et personne n’a jamais voté le couteau sous la gorge, surtout à bulletin secret ! Pour être complet, il faut rappeler qu’un journaliste du Monde avait ouvert la voie il y a un mois, en publiant un article pour le moins orienté sur Numéro 23 (lire ici).

La transparence, mais pour les autres

Enfin, interrogé sur le contenu des auditions, également secret, le président du CSA a invoqué une jurisprudence issue d’une décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000. Des juristes (cités par Mediapart) ont cependant estimé qu’il en aurait fait une interprétation extensive. C’est peut-être un point qu’il faudra faire évoluer, “à l’ère des réseaux sociaux et d’Internet”… tout en gardant à l’esprit que l’exercice du pouvoir n’a jamais été aussi visible qu’aujourd’hui, pour confiner parfois au voyeurisme et à l’indécence. Est-ce un progrès pour autant et les auditions, quand elles sont filmées, apportent-elles un gage supplémentaire d’efficacité et d’impartialité ? Rien n’est moins sûr, l’audition farcesque de Pascal Houzelot et David Kessler pour Numéro 23, entièrement publique, n’avait pourtant pas empêché l’escroquerie intellectuelle de se dérouler, dans l’indifférence médiatico-politique générale.

Quelques mois plus tard, les mêmes médias et politiques (essentiellement des UMP, mais aussi M. Mélenchon et quelques socialistes) n’avaient pas de mots assez durs contre le projet de moralisation de la vie politique présenté par Jean-Marc Ayrault à la suite de l’affaire Cahuzac : “démagogie”, “grand déballage”, “discrédit”… tout y était passé !

Robbe-Grillet n’a jamais été autant d’actualité, qui déclarait : “La pornographie, c’est l’érotisme des autres.” Précisons toutefois pour M. Sarkozy que Robbe-Grillet n’est ni le sponsor des Femen, ni un fabricant de gommes mort en 1793. Rappelons enfin pour ses thuriféraires Christian Kert et Sébastien Huygue que la “ré-indépendantisation du CSA” est un long chemin semé d’embûches, n’en déplaise au nouveau “prince de la transparence”*, dont Patrick Buisson avait dressé un portrait fidèle en déclarant à l’auteur de ces lignes, le 25 janvier 2012 : “Quand Sarkozy dit quelque chose, le président du CSA écoute.” Les nouveaux “Républicains” pourraient même ajouter aujourd’hui : “religieusement”.

* La formule complète est due à Christian Kert. Lançant des invectives à Olivier Schrameck durant son audition hier à l'Assemblée nationale, le député de la 11e circonscription des Bouches-du-Rhône a déclaré : “Cette nomination risque de vous laisser l’image d’un prince des apparences  : apparence de la transparence, de l’indépendance”.

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