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Alain Fuchs © Francis Vernhet/Photothèque CNRS

Interview d’Alain Fuchs, président du CNRS

L’Université de Lyon et le CNRS ont signé un partenariat de cinq ans, destiné à renforcer la visibilité internationale du pôle scientifique lyonnais via le renforcement des grands domaines d’excellence universitaires. Selon Alain Fuchs, le président du CNRS, “l’Université de Lyon doit devenir un écosystème favorable à la création d’entreprises innovantes”. Entretien.

Lyon Capitale : À l'origine du CNRS, on trouve des professeurs universitaires agissant pour améliorer leurs conditions de travail et faire une place à des jeunes qui, après la crise économique de 1929, souffrent du chômage intellectuel*. Trois quarts de siècle plus tard, quels sont les liens qui unissent le CNRS aux universités ?

Alain Fuchs : La situation d'aujourd'hui n'est plus celle de 1939, période pendant laquelle le CNRS avait bâti des laboratoires en France et au cours de laquelle les universités n'étaient pas en capacité de soutenir la recherche fondamentale. Aujourd'hui, la situation est très claire : les laboratoires soutenus par le CNRS, pour leur immense majorité, sont hébergés par les universités, les écoles d'ingénieurs ou, comme ici à Lyon, l'École normale supérieure (ENS). C'est ce qu'on appelle des UMR, des unités mixtes de recherche, soutenues à la fois par l'établissement hébergeur, qui y met des ressources mais aussi des enseignants-chercheurs, et par le CNRS, qui y met également des chercheurs et de l'argent. Il y a donc un double financement en quelque sorte de ces laboratoires.

Les structures de recherche CNRS/universités, comme vous venez de le dire, sont pour leur très grande majorité des unités mixtes, au sein desquelles travaillent à la fois chercheurs et enseignants-chercheurs qui appartiennent à des corps différents. La distinction en deux corps a-t-elle encore un sens ?

Je le crois, oui. Ces unités mixtes de recherche constituent les briques de base de la structuration de la recherche en France. L'intérêt de faire vivre ce système hybride est que chacun peut apporter une vision différente et complémentaire. Le CNRS, en tant qu'organisme national, apporte une vision nationale sur un territoire. Le CNRS a donc une capacité à faire de la veille sur la recherche dans tous les domaines au sein des différents sites sur lesquels nous sommes accueillis.

Nous ne sommes pas, comme par exemple en Allemagne, éloignés des universités, voire en concurrence avec les universités. C'est tout le contraire. Nos laboratoires sont implantés au sein même des universités et il existe entre les deux un partenariat très fort. C'est donc un avantage.

Pourquoi certaines personnes souhaitent-elles cloisonner le CNRS et les universités ?

D'un point de vue historique, certaines personnes avaient une dent politiquement contre le CNRS, parce qu’il était censé être un repaire de gauchistes... Ce sont de très vieilles histoires, qui traînassent. À terme, quel sera le paysage dans vingt ans, dans trente ans ? Je n'en sais absolument rien. Aujourd'hui, nous sommes dans une aventure qui consiste à structurer le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche. Si on veut créer à Lyon une vraie université multidisciplinaire fondée sur la recherche – et il faut qu’elle soit fondée sur la recherche, avec une très bonne recherche –, le CNRS ne peut qu'y participer. Imaginez que le CNRS dise “Votre truc, nous on reste à côté, faites seuls”, ça n'a pas de sens. Je crois beaucoup à l'idée selon laquelle un système hybride bien pensé, où on sait qui fait quoi, peut être très efficace pour l'avenir.

La marque CNRS est donc une opportunité pour les universités ?

Je le pense, oui. À l'international, la marque CNRS est très visible ; cela vient aussi du fait que les universités ne le sont pas assez. C'est pour cela qu'on essaie de construire l'université pluridisciplinaire de Lyon, qui est l'un des premiers pôles scientifiques et académiques français. Avec environ 43 000 publications par an en moyenne, le CNRS demeure le premier opérateur mondial en matière de publications scientifiques. Selon le Top 100 Global Innovators établi par la société Thomson Reuters, le CNRS continue de faire partie du club assez fermé des 100 principaux innovateurs mondiaux, aux côtés de grandes entreprises comme Alcatel Lucent, Arkema ou EADS. Mais les chercheurs qui publient sous la marque CNRS peuvent être chercheurs CNRS ou enseignants ou encore professeurs de Lyon. L'objectif du CNRS est de booster la visibilité internationale de l'Université de Lyon.

La recherche française est de bonne qualité, mais on connaît quelques difficultés d'organisation. On y travaille. Il faut aussi travailler sur notre capacité à transformer les inventions de recherche en innovations, c'est-à-dire les concrétiser. On sait créer des petites entreprises, des start-up, en revanche, ce qu'on sait moins faire, c'est les faire grandir.

Le chaînon manquant, l'élément qui manque au puzzle est donc ce rapprochement CNRS/universités/entreprises ?

Absolument. Il manque cette pièce du puzzle. Mais la culture évolue. Nos chercheurs n'ont plus de tabou à travailler avec les industriels. Il y a donc une mixité à entretenir et à améliorer. L'Université de Lyon doit devenir un écosystème favorable à la création d'entreprises innovantes. En France, on n'a pas assez de docteurs en entreprise ; mais ça évolue doucement.

* Girolamo Ramunni, in Revue française d'administration publique, 2004/4 (n°112).

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