“Nous n’allons pas calmer le jeu”, parole de policier lyonnais

“Nous ne sommes pas déçus, mais nous n’allons pas calmer le jeu.” Bernard*, ce policier lyonnais qui nous confiait le week-end dernier son témoignage, se félicite de certaines mesures annoncées par le Gouvernement pour soutenir la police mais craint un “enfumage”. Il regrette le manque d’implication de son ministre sur la question de la légitime défense, confie son rejet des syndicats et dénonce la pression hiérarchique qui s’exerce sur les manifestants. Entretien.

Le ministre de l’Intérieur a annoncé des mesures correspondant à certaines de vos demandes, assorties d’une enveloppe de 250 millions d’euros. Êtes-vous satisfait ?

Oui et non. Bernard Cazeneuve a reçu les syndicats, c’est bien. Mais j’aurais aimé qu’il reçoive aussi une délégation non syndiquée. Car les syndicats ne sont pas représentatifs du mouvement des policiers : leur manifestation devant le tribunal, mercredi, à Lyon, a réuni 80 collègues. Nous étions 800 le soir même place Raspail.

Mais sur les mesures elles-mêmes ?

Nous sommes partagés, car il y a une forme d’enfumage. Dans ce qui est annoncé, beaucoup de choses étaient déjà budgétées et prévues. 4 000 gardiens de la paix ? Mais ce sont ceux qui vont sortir de l’école, ce n’est pas une nouveauté. La fin des gardes statiques devant les préfectures ? C’était déjà en cours, suite aux attentats, car ça faisait des fonctionnaires des cibles faciles. La question est maintenant : qu’est-ce qu’une garde dynamique ? Faire le tour du pâté de maison, ou repasser en voiture à intervalles réguliers ? Cela ne libérera pas l’équipage.

Sur les patrouilles, justement, on nous promet des équipages à trois dans les “zones difficiles”, mais ça devrait être la règle tout le temps, et pas l’exception ! En revanche, je vois d’un bon œil le recours pour certaines de ces missions à des sociétés privées, ainsi que la poursuite de l’allègement des procédures administratives.

250 millions d’euros, ce n’est pas rien, tout de même…

Oui, j’imagine qu’il y a une rallonge par rapport au budget déjà acté. Je l’espère en tout cas.

La révision de la légitime défense est également en question…

Un groupe de travail va être installé, pour formuler des propositions d’ici à la fin novembre. Mais de qui sera-t-il composé ? Nous aimerions qu’il y ait des policiers ou des gendarmes, voire des collègues qui ont déjà été confrontés à l’utilisation de leur arme en état de légitime défense et qui ont dû tuer. Surtout pour évoquer l’après. Les années de procédure judiciaire, le suivi psychologique… Nous souhaitions aussi que le Gouvernement donne une indication quant à sa volonté sur le sujet. Assouplir le régime ? L’aligner sur celui des gendarmes ? Il n’en a rien fait et c’est très décevant.

Ce point-là semble être le plus sensible pour vous…

Aujourd’hui, tout le monde dit que les policiers brûlés à Viry-Châtillon auraient pu répliquer en état de légitime défense. Mais moi, je me demande : s’ils l’avaient fait, s’ils étaient sortis de la voiture et avaient tiré sur un des individus portant un cocktail Molotov et qu’ils l’avaient tué, que se serait-il passé ? Auraient-ils été soutenus ? Car la légitime défense, telle qu’elle est prévue aujourd’hui, aurait sans doute eu du mal à être appliquée. Elle l’aurait été sans souci une fois que le cocktail Molotov aurait atteint sa cible, mais ç’aurait été trop tard.

“Aujourd’hui, beaucoup de politiques disent nous soutenir, mais il n’y a pas si longtemps, ils étaient contre nous”

Vous comprenez néanmoins qu’une telle question, qui est du ressort de la loi et du Parlement, ne peut pas être résolue en une semaine…

Bien sûr. D’autant qu’il faut que ce soit voté ensuite, et ce n’est pas gagné. Nous savons que ce n’est pas la bonne période, à six mois de l’élection présidentielle, pour faire bouger les choses en profondeur. Mais les collègues de Viry n’ont pas choisi la date pour se faire brûler. Aujourd’hui, beaucoup de politiques disent nous soutenir, mais il n’y a pas si longtemps, ils étaient contre nous.

Qu’en est-il des relations police-justice ?

Il est prévu un alignement des peines encourues pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique sur celles encourues pour outrage à magistrat. Ça ne sert à rien, il suffirait déjà que la peine prévue soit appliquée ! C’est comme pour la légitime défense, à la fin, c’est une personne, un juge, qui décide.

“Sanctionner les fonctionnaires ne risque pas de calmer leur colère”

La pression de la hiérarchie policière sur les manifestants s’est-elle amoindrie ?

Pas du tout, au contraire. Certains collègues identifiés comme des meneurs ont été convoqués, pour leur suggérer de rentrer dans le rang avant que les sanctions soient effectives. Mais la mobilisation se fait par SMS ou via les réseaux sociaux, il n’y a pas de meneur ! Nous allons être très attentifs à cela, car sanctionner les fonctionnaires ne risque pas de calmer leur colère.

La mobilisation va donc se poursuivre ?

Oui, nous restons plus que jamais vigilants. Pour l’instant, aucun nouveau rassemblement n’est encore prévu à Lyon. Mais il n’est pas exclu qu’il y en ait d’autres. Nous n’avons pas confiance dans nos syndicats. Nous avons obtenu en dix jours ce qu’ils n’ont pas eu pendant des années !

Ce qui est très compliqué pour nous désormais, c’est de structurer notre mouvement hors des syndicats. Il faudrait trouver des gens qui sont prêts à s’exposer et qui conviennent à tout le monde. Mais déjà que je n’ai pas le droit de vous parler, alors comment protéger ces éventuels porte-parole ? Nous restons soudés et nous n’hésiterons pas à descendre dans la rue la journée et non plus seulement la nuit si c’est nécessaire, surtout s’il y a des sanctions contre nous.

* Le prénom a été modifié.
Lire aussi : “Entre colère et défiance, paroles de flics” dans Lyon Capitale-le mensuel de novembre, en kiosques ce vendredi.

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